Dans le stade de la ville, les stades de la mystique musicale sont vite atteints. Au fil des jours, la foule devient imposante. La quête du lien affectif se raffermit au contact de cette expression diwan qui, la nuit venue, plonge entièrement l'aire du stade En Nasr de Béchar dans une sorte de communion poético-spirituelle entre public et troupes participantes. La fascination opère tous les soirs avec les mêmes ardeurs et dispositions d'esprit. Indéniablement, le guembri a un pouvoir magique, comme le dit si bien Azeddine Ben Yacoub, fervent adepte du chant incantatoire, valeur sûre de la recherche académique sur le genre gnawi. En ouverture de cette cinquième soirée, la danse «Touba» fait un retour triomphal sur scène grâce au doigté du maâlem (l'initié) de la troupe Blel Bouhadjar de la wilaya de Aïn Témouchent. La généalogie du diwan est revisitée avec respect et intelligence par les disciples de Sidi Bouhadjar et Sidi Saïd. Les sonorités métalliques des crotales en forme de huit, les karkabous, autorisent l'introduction aux chants sacrés en réhabilitant de fort belle manière les voix aiguës des interprètes. Des chorégraphies lumineuses se mettent en place sur un mode précis. Les couleurs sont vives. Les couplets mystiques et soupirs élégiaques alternent avec bonheur avec des pas de danse empruntés à d'anciens mythes. L'enchantement est immédiat. La fête du gnawi est en marche. Elle s'ouvre sur le religieux pour continuer avec des formules du patrimoine vocal, gestuel et symbolique de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb. El Hadj Brahim ou, si vous préférez, âami Brahim, du haut de ses quatre-vingt ans, initie sur scène son petit-fils aux arcanes de l'art. Il lui indique les premiers pas et lui offre les premières clés qui l'aideront, plus tard, à poursuivre l'aventure mystico-musicale de l'aïeul. Geste d'amour et idéal de continuation définissent les gestes du père fondateur de la troupe Diwan Debdaba. La graine est semée, la semence généreuse. A son tour, l'ensemble traditionnel, Nesmet El Janoub, participe à l'initiation. Profondément attachée à l'héritage spirituel, la troupe estime que la refondation doit d'abord s'exprimer par la consolidation de ce qui existe et la préservation, à tout prix, face aux appétits illimités des porteurs d'images qui ne se reconnaissent d'aucune frontière ni d'aucune morale, sinon celle de la globalité. En son sein, tous les âges sont représentés. L'effet tresse est garanti, le lien ne sera pas rompu. Rites, mythes et croyances sont réexprimés avec force et élégance à l'endroit des ancêtres. Les figures de la représentation sont stylisées dans leur connivence avec l'esprit gnawi, perpétué par ses traditions caractéristiques. Partageant les mêmes influences, les musiciens-interprètes, jeunes en grande majorité, rappellent de vieux contenus de la chanson locale. Très souvent, ils demeurent fidèles aux invariants qui nourrissent leur imaginaire, irriguent leurs instruments, régularisent les rythmes qui les bercent. Ils arrivent à convaincre et surtout à émouvoir. Leurs performances vocales et physiques, authentiquement colorées, imposent à tous et à toutes (une bonne partie du public est féminine) une adhésion sincère. Les corps bougent, des bras s'agitent, la transe est dans les airs et arrive à instaurer son cadre mystique, ses signes distinctifs et ses symboles identitaires. Un rapport inextinguible s'établit entre les auteurs du spectacle, inspirés par le temps et ses mystères corollaires, et le spectateur ébloui par ces lectures fantastiques ou fantasmatiques que prodigue l'imaginaire. De part et d'autre l'attention n'est jamais relâchée. Cette complicité continue réaffirme une conviction, réitère un engagement, ajoute de la saveur à la prestation publique. Chaque partie a foi en l'autre, et c'est ce qui fonde la valeur singulière de cette manifestation artistique entièrement consacrée aux disciples du Bordj, totalement vouée à l'épanouissement de talents capables de poursuivre l'aventure que le vénérable âami Brahim continue à servir.