En ce mois de décembre, l'Algérie fête le premier centenaire de la mort du poète Si Mohand U M'hand, le Baudelaire ou le Verlaine algérien. Le coup d'envoi de cette célébration a été donné hier matin, à la salle Ibn Khaldoun, par une journée d'étude organisée par l'Etablissement Arts et Culture et un comité créé spécialement pour l'organisation de ce centenaire. Au programme de cette journée, plusieurs interventions ainsi qu'une table ronde autour du poète d'expression kabyle. Pour certains, c'est une évocation et un retour sur son œuvre. Pour d'autres, le personnage est toujours peu connu et reste à découvrir, au moment où une université italienne a décidé d'introduire un module de poésie de Si Mohand U M'hand. Mais pour situer quelque peu ce poète du XIXe siècle, il suffit peut-être de souligner le fait que son enfance est placée sous le signe de la violence et de l'exil et que son œuvre est directement inspirée de son vécu. Certains événements bouleversants, au début de la colonisation française, ont été les catalyseurs de ses vers. Il assiste à l'arrivée des troupes françaises du général Randon en Kabylie et à la destruction de son village. A la place, les Français avaient construit une ville fortifiée devenue Fort National (Larba Nath Iraten). Installé dans un hameau voisin, le jeune homme se consacre ensuite au fiqh. Mais la révolte de 1871 met un terme à ses projets. Son père est exécuté, son oncle déporté avec les Kabyles en Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique et la famille dispersée. Seul et déraciné, Si Mohand U M'hand devient un poète errant. Dans sa bouche, l'exil, sa terre natale, l'amour et le destin deviennent des vers. Exclusivement dans sa bouche, parce qu'il jure de ne jamais répéter deux fois le même poème, un peu comme pour conjurer le sort, le sien. Seule la mémoire populaire a permis de conserver son œuvre. Œuvre qui a très tôt inspiré des chanteurs kabyles de l'émigration. C‘est sur cet aspect, en particulier, que s'est penché le premier intervenant de cette journée d'étude qui lui est consacrée. Rachid Mokhtari, auteur de La chanson de l'exil : les voix natales (1939-1969), insiste sur Slimane Azem et Zerrouki Allaoua. Pour l'intervenant, Si Mohand est « le premier poète à se pencher sur le thème d'el ghorba (l'exil), en lui donnant le sens de dépossession des terre et du pays, au sens matériel et symbolique », explique Rachid Mokhtari en ajoutant que le poète se sentait étranger dans son propre pays. Moins d'un demi-siècle après sa mort, explique-t-il, des chanteurs kabyles émigrés vont reprendre sa poésie. « Slimane Azem est différent de Zerrouki Allaoua, mais selon la sensibilité, le vécu et la culture de chacun d'eux, ils vont puiser dans le verbe mohandien et se servir du poète comme témoin ». L'intervenant continue son développement en évoquant, entre autres, les reprises de poèmes avec quelques légères variantes, dont l'extension du cadre géographique de l'exil, pour ce qui est du chanteur Slimane Azem. « Zerrouki Allaoua, lui, puisera dans un autre registre, continue Rachid Mokhtari, celui de la nostalgie et donc de l'amour et de la femme. Parce que les deux chanteurs ont vécu une tragédie qui vient se greffer à celle du poète, ils vont puiser dans sa matrice poétique pour exprimer la tourmente de l'exil, à travers les mots de Si Mohand ». Pour l'intervenant, le poète « a dépassé le cadre de la poésie pour entrer dans le champ de la recherche universelle ». Dans ce sens, il est utile de souligner le fait que le centenaire de la mort de Si Mohand U M'hand est également célébré en France. La Maison des sciences de l'homme lui consacrera un colloque international de deux jours, les 4 et 5 janvier prochain ayant pour intitulé « Centenaire de Si Mohand U M'hand ou la poésie d'expression kabyle d'hier à aujourd'hui ». On sait d'avance que l'une des recommandations de cette rencontre sera l'établissement de sa biographie en tenant compte des récents acquis de l'anthropologie historique, de l'ethnohistoire et de l'histoire sociale. Pour les organisateurs de ce colloque, l'objectif est à la fois de discuter chaque point de vue des auteurs qui se sont intéressés à l'homme et à l'œuvre et de replacer le distingué poète kabyle dans les acquis du savoir en matière de sciences sociales, sur un plan méthodologique et épistémologique.