Au temps où le FLN était à son apogée, avait droit de regard sur tout, contrôlait tout, le bon sens populaire de l'époque disait, avec le ton corrosif qu'on lui connaissait, que si tel ou tel problème était confié à une commission, on était pratiquement sûr qu'il n'aurait aucune chance d'être résolu. Ainsi, quand nos dirigeants voulaient se débarrasser d'un sujet trop encombrant, ils n'avaient qu'à le mettre en débat dans une quelconque commission – sous l'égide du FLN bien sûr – qui aurait alors toute latitude, tout le temps de l'étudier avant de tirer des conclusions qui ne seront jamais suivies d'effet. C'est ce qu'on appelle l'art de noyer le poisson dans l'eau, pratique velléitaire bien connue qui a permis à l'ex-parti unique de se tirer d'affaire de situations parfois très complexes. Même si, aujourd'hui, le vieux parti n'est plus (en apparence) seul sur la scène politique, on continue au plus haut niveau de faire confiance à ses recettes qui consistent en général à diluer dans le temps les aspirations citoyennes les plus imminentes dans le but évident de les faire échouer, à tout le moins de les rendre inopérantes ou improductives. La commission (comme son nom l'indique) pour les réformes lancées par Bouteflika dans les moments forts de la contestation populaire, confiée au président de la deuxième Chambre pour mener une vaste consultation auprès de tous les acteurs potentiels de la société algérienne sur les plans politique, social, économique, est la parfaite illustration de cette volonté du Pouvoir à compliquer au maximum la donne pour éviter d'attaquer de front les vrais sujets et, par conséquent, apporter les solutions. Depuis près d'un mois maintenant qu'elle a été mise sur pied avec, pour faire sérieux, un passage médiatique régulier à la télévision dans le JT de 20 heures, cette mission qui ne semble même plus exalter les gens qui l'animent, conforte auprès des Algériens, au fur et à mesure qu'elle s'enfonce dans l'inconnu, l'idée que derrière cette initiative il y a une forte présomption à vouloir aller à contresens des revendications pour un authentique changement démocratique. Bensalah et ses deux collaborateurs auront beau afficher sur le petit écran une mine studieuse, c'est plutôt l'aspect disparate des partis, personnalités et délégations reçues – n'importe qui, n'importe quoi, dira Louisa Hanoune – qui reste pour les citoyens l'élément de lecture le plus fiable pour la crédibilité de cette consultation, engagée de toute façon pour traîner en longueur et refroidir les ardeurs les plus optimistes. On ne s'étonne donc pas de voir cette commission boycottée par les principaux courants de l'opposition (partis et associations) qui estiment tous qu'il s'agit-là d'une manœuvre de diversion, pour gagner du temps. Devant la virulence des propos tenus par le président de l'APN contre les absents qui, selon lui, «ne travaillent pas pour l'intérêt de l'Algérie», allant jusqu'à dire que «l'opposition est faible et n'arrive pas à proposer des solutions dans plusieurs domaines», le leader du FFS ne mâche pas ses mots pour s'interroger sur «les fonctions véritables assignées à cette commission». Aït Ahmed, dont le parti a évidemment rejeté cette offre de dialogue, estime que «dans notre pays, la crise nationale continue et les propositions de réformes proposées par le chef de l'Etat sont peu crédibles», ajoutant qu'«après avoir déstructuré les rapports entre Etat et citoyens puis entre citoyens eux-mêmes, le problème de gouvernance du pays est en train de détruire les relations entre les institutions elles-mêmes». C'est a peu près la même réflexion qui a été développée par tous ceux qui ont refusé de cautionner la démarche présidentielle de vouloir présenter les réformes comme une alternative de changement sans toucher cependant aux fondamentaux du système. Alors que la rue s'est révoltée pour demander le départ du système, Bouteflika n'a pas trouvé mieux à proposer que des consultations interminables pour faire illusion et, au final, conserver le régime en l'état. C'est ce qui a fait dire à l'ancien président du Haut-Comité de l'Etat (HCE), Ali Kafi, sollicité lui aussi en sa qualité d'ex-chef d'Etat à donner son avis, que «le régime ne cherche qu'à se maintenir à travers des consultations peu sérieuses». C'est un avis comme un autre, diront certains, mais venant de la part de personnalités politiques qui connaissent bien le fonctionnement du système de l'intérieur, à l'instar de l'ex-chef du gouvernement Mouloud Hamrouche qui, lui aussi, aurait refusé de s'impliquer, il semble bien que l'entreprise confiée à Bensalah a peu de chance d'atteindre les grands projets qu'elle s'est promis de concrétiser. Bien sûr qu'elle pourra compter sur tous les partis satellitaires et tous les appendices du pouvoir pour dire le contraire, mais il y a des pratiques (et des recettes) qui ne trompent pas. Le fourre-tout de Bensalah, au demeurant, se révèle une salutaire opportunité pour les laissés-pour-compte qui cherchent toujours à se recycler dans le système, prêts à faire toutes les concessions. Ce sont les meilleurs alliés de cette consultation qui, pourtant, s'est essoufflée avant même de passer à la vitesse supérieure. Le Pouvoir a-t-il conscience que le temps des manœuvres dilatoires pour perdurer quitte à s'enfoncer dans la crise est bel et bien révolu ? Apparemment non, puisque non content de nous distraire par cette trouvaille prospective qui pourra être l'alibi pour dire que tous les Algériens, de quelque bord qu'ils soient, ont été consultés, voilà qu'il pousse le bouchon jusqu'à organiser des états généraux de la société civile sous la bannière du CNES, une institution étroitement contrôlée par l'Etat, c'est-à-dire le système. Ce n'est pas une plaisanterie, le Pouvoir veut encore formater la société civile et, là aussi, on comprend pourquoi nombreux sont les démocrates qui ne veulent pas marcher dans la combine.