Cheikh Dahou des Trois Marabouts, l'actuel Sidi Ben Adda, cet artiste, qui n'était à nul autre pareil, vient de s'éteindre à 85 ans dont près de 80 ont été consacrés à l'art de la halqa. Il est mort celui qui faisait accourir autour de lui, aussitôt qu'il arrivait sur une place de village. Il venait là, souriant, l'air lutin, petite taille, petite moustache, ample gandoura, la chéchia rouge entourée d'un turban orange. Le bonimenteur de talent faisait oublier le vieillard qu'il était. Les spectateurs ne s'apercevaient même pas de la maladie qui pouvait le tenailler lorsqu'il était souffrant et qu'il officiait pour leur plaisir. Ainsi, le week-end dernier, c'est tout un pan de la culture populaire qui s'est écroulé avec la mort de ce dernier survivant d'une civilisation de l'oralité à travers la région ouest. Tahtaha de Mdina Jdida à Oran était un de ses lieux de prédilection. C'est d'ailleurs, sur elle que le défunt apprit le métier de la bohème alors qu'il était tout enfant parce que l'école coloniale ne lui était pas ouverte et parce qu'il devait prioritairement être les yeux de son père, un meddah aveugle qui se déplaçait de marché hebdomadaire en marché pour gagner de quoi subvenir aux besoins de la famille. Cheikh Dahou n'eut alors d'autre enfance et jeunesse que celle-là. Il apprécia la liberté de voguer au jour le jour, sans se soucier de quoi serait fait le lendemain, supportant avec stoïcisme les jours sans. « Il pouvait crever de faim et s'entretenir avec vous avec le sourire. Il ne tendait jamais la main sauf lorsqu'il était dans l'exercice de son métier pour recevoir son dû », témoigne tous ceux qui l'ont connu. « Il dépensait tout l'acquis du jour, convaincu que le lendemain il fera jour, se fiant à sa bonne étoile ». Il n'a jamais craint la menace terroriste qui pesait sur l'artiste qu'il était, s'en remettant à la providence qu'il invoquait invariablement par un medh en début de halqa. Mais cheikh Dahou n'était pas seulement un meddah, il fut également un chansonnier et un iconoclaste fantaisiste. Il était d'un humour corrosif, tournant son public en bourrique, un public bon enfant qui acceptait tout de lui. Il était si demandé qu'avant de prendre de l'âge, avant l'ère des DJ et autres clinquantes modernités, il animait les soirées de noces, parfois au-delà des frontières, le Maroc et la France ! Il était sans préjugés sur tous les genres musicaux, s'étant lui-même fait une indulgente opinion sur la nature humaine, sa bêtise, son intelligence ou sa versatilité. Ainsi, sur les places, pour une rechka, avant que la K7 ne s'impose dans les moeurs, on pouvait obtenir de lui la chanson de son choix, quelle soit canaille ou pieuse.