Les agriculteurs sont montés au créneau pour dénoncer la mafia du sable et la démission des autorités de leur mission de protection du domaine hydraulique de l'Etat. Eboulements de terrains agricoles, rétrécissement de berges, perte des cultures ; il n'en faut pas plus pour susciter le courroux des agriculteurs. Ces derniers cultivent plusieurs hectares de leurs champs d'orangers et de maraichers le long des berges de l'oued Sebaou, un cours qui continue de subir le pillage massif de son sable sur le territoire de la commune de Tadmaït, à 18 km à l'ouest de Tizi Ouzou. Inquiets pour l'avenir de leur activité, les fellahs d'une exploitation agricole (EAC) de cette commune ont décidé de monter au créneau pour dénoncer la mafia du sable et la frilosité des services de sécurité dans la lutte contre l'extraction illicite de sable. «Nous exploitons cette parcelle depuis 1987 et sa superficie ne cesse de se rétrécir du fait de l'exploitation effrénée de ce matériau. J'ai perdu une cinquantaine d'arbres fruitiers, rien que sur cette partie de mon terrain. Des pilleurs, à l'aide de pelles baladeuses, extraient le sable illicitement dans une totale impunité, causant d'importants dégâts à nos cultures», raconte, dépité un fellah. Il suffit de se rendre dans les fermes agricoles, à proximité de l'oued, pour constater les allées et venues de camions transportant des chargements de tout-venant (TVO). Les axes empruntés sont pourtant sécurisés. A quoi servent les points de contrôle des gendarmes et le corps de la police des eaux ? s'interrogent nos interlocuteurs. «Depuis que nous nous sommes installés ici, nous n'avons jamais vu cette police des eaux et rarement un gendarme dans ce coin. Ces derniers effectuent des descentes pour la forme, puisque les voleurs sont souvent avertis du déplacement des darkis (gendarmes)!», ajoutent-ils faisant allusion à «la frilosité» des services de sécurité, voire de leur complicité. Ces agriculteurs s'interrogent : «Que peut-on attendre d'un gendarme qui côtoie des pilleurs de sable dans des cafés autour d'un thé ?Quels genres de relation peuvent-ils avoir en commun?». Pour rappel, les agriculteurs du domaine Ali-Benour de Tadmaït ont procédé, à la fin juillet dernier, à la fermeture du siège de l'APC pour attirer l'attention des autorités sur ce pillage qui compromet leur activité agricole. Il aura fallu, faut-il le dire, beaucoup de courage à ces paysans pour briser le mur du silence et dénoncer «une activité illicite entretenue par ceux qui sont censés lutter contre le fléau», un fléau qui engendre des préjudices non seulement aux terres agricoles mais aussi aux infrastructures publiques et aux nappes phréatiques. «Les responsables de la gendarmerie nous ont promis de réagir, mais nous attendons toujours leur action. En ce qui nous concerne, nous avons fait l'essentiel en déposant plainte contre un groupe de pilleurs identifiés», nous affirment les agriculteurs victimes. Le sujet n'est plus un tabou. Dans les institutions publiques, l'on continue de dresser des constats. Des batteries de mesures sont annoncées à chaque occasion mais celles-ci ne sont jamais appliquées. Les élus de l'APW, qui dénoncent «la complicité de l'administration et des services de sécurité», avaient pointé du doigt «la frilosité» des autorités dans la lutte contre l'extraction illicite du sable et la protection de l'oued Sébaou. La fermeture, en 2009, de 7 sablières agréées par l'Etat n'a fait que favoriser le marché informel des agrégats, au lieu de répondre à des impératifs de protection de la nappe et de son environnement. L'administration s'avoue impuissante. La direction de l'hydraulique de Tizi Ouzou a établi entre 2005 et 2011, 109 procès verbaux à l'encontre de 128 contrevenants ; un chiffre qui ne reflète pas l'ampleur de ce trafic. La direction note dans son rapport que «les agents de la police des eaux ne font que constater, impuissants, l'agression que subit le cours d'eau du Sébaou». Ce corps de la police des eaux, en cours de restructuration, ne remplit pas les conditions définies, outre qu'il accuse un manque d'effectifs, précise-t-on. Le manque de fermeté des autorités quant à protéger ce cours d'eau et ses enivrons est illustré par la non-application du dispositif de lutte qui comporte plusieurs arrêtés interdisant l'extraction du TVO depuis 1990. Désarmée, la DHW reconnait dans son document que «la situation de l'oued est alarmante. Vu le manque de moyens humains et matériels, elle (la DHW, ndlr) ne peut s'acquitter de la tâche de surveillance et de la protection de l'oued». Parmi les mesures prises pour arrêter les dégâts sur le lit du Sébaou et approvisionner le secteur du BTPH en ce matériau qu'est le sable, les responsables se sont tournés vers les carrières d'agrégats. Cependant, certaines de ces dernières sont sous-exploitées, alors que d'autres buttent sur des oppositions (8), voire carrément abandonnées pour d'autres encore (2). Elles sont 13 carrières seulement à être opérationnelles, alors que 4 sont à l'arrêt. En attendant la réaction des autorités, des camions, ainsi que des engins mécaniques divers, continuent de sillonner les sentiers étroits de l'oued Sébaou, engrangeant des gains au détriment de l'essor agricole de la région et de l'environnement.