L'aspartam rattrapé par l'Histoire C'est en cherchant à mettre au point un médicament contre les ulcères qu'un scientifique américain des Laboratoires Searle (USA) découvre l'aspartam. En goûtant par hasard une pincée de sa poudre, il se serait rendu compte de son goût étonnamment sucré, une bénédiction pour l'industrie agroalimentaire américaine qui s'empara de cette découverte pharmaceutique fortuite, pour en faire une alternative aux cyclamates (E952) et à la saccharine (E954), interdits dans les aliments en 1970 par la Food and drug administration (FDA), après que des études en 1966 avaient montré qu'un métabolite du cyclamate, la cyclohexylamine, présentait une toxicité chronique chez l'animal. Confirmée par d'autres expériences en 1969 qui avaient montré que le mélange usuel 10:1 cyclamate : saccharine augmentait la probabilité du cancer de la vessie chez le rat. D'autres études impliquèrent la cyclohexylamine dans l'atrophie des testicules chez le muridé. Les Japonais, prudents, l'interdisent à leur tour et procèdent à la culture et la commercialisation massive d'un édulcorant naturel tiré du Stevia rebaudiana, (chanvre d'eau), plante contenant naturellement un fort pouvoir édulcorant (300 fois celui du saccharose), dont les extraits édulcorants, occultés pendant des années par la Food and Drug Administration (selon certaines indiscrétions, au nom de sa loyauté envers le puissant lobby de l'aspartam), viennent d'être approuvés par celle-ci comme supplément diététique et de bénéficier également d'un avis favorable par l'Autorité européenne de sécurité alimentaire pour leur utilisation dans les aliments (14 avril 2010). 40 ans après, l'aspartam (E951), cet édulcorant au pouvoir sucrant très fort (environ 200 fois celui du sucre), est rattrapé par l'Histoire et risque de ne plus continuer à camoufler l'amère réalité. Il est au centre d'une controverse qui annonce un autre scandale après celui du Médiator, entachant davantage la crédibilité des instances sanitaires européennes, piégées par ses connivences avec les puissants lobbies des firmes industrielles pharmaceutiques et agroalimentaires. L'aspartam : Bientôt un avertissement par la EFSA La publication, le 19 novembre 2009, par The American Journal of Clinical Nutrition d'une étude danoise qui suggère une corrélation entre les naissances prématurées et la consommation d'aspartam des boissons non-alcoolisées édulcorées à l'aspartam, et une deuxième étude italienne suggérant un lien entre consommation régulière d'aspartam et prévalence de cancers sont à l'origine d'une levée de boucliers par certaines associations de consommateurs et de professionnels de santé, entre autres Réseau environnement santé et Générations Futures dont le leitmotiv est que le principe de précaution doit prévaloir. Constat soutenu par trois parlementaires européens, dont Corinne Lepage, députée européenne à la Commission Environnement et Santé, qui relève que les modalités d'expertise doivent favoriser les citoyens, pas les firmes. Le Parlement européen vient ainsi de voter un amendement afin de modifier l'emballage de quelque 6000 produits alimentaires contenant l'édulcorant : yaourts, boissons ou céréales. Tous les produits seront touchés. «Pourrait ne pas convenir aux femmes enceintes». C'est la mention un peu ambiguë mais qui aurait le mérite de mettre en garde contre la consommation d'aspartam pendant la grossesse que porteront désormais ces produits. La décision de refus des deux études danoise et italienne par l'European food safety authority (EFSA) (la haute autorité sanitaire européenne des produits alimentaires) serait contestée par bon nombre de représentants des professionnels de santé, de défense des consommateurs, et ce, pour deux principales raisons : la première concernant la DJA (Dose journalière admise de l'aspartam) qui était fixée à 40mg/kg/jour, en se basant sur l'évaluation de la FDA américaine, une évaluation qui ne se réfère à aucune étude scientifiquement documentée, selon le témoignage de Jacqueline Verrett, toxicologue de la FDA, devant le Congrès américain. La seconde raison est l'existence éventuelle de conflits d'intérêts au sein-même de l'EFSA, qui remet en cause l'indépendance de ses membres et l'impartialité de leur jugement. On l'aura compris à cause, notamment, de l'énorme marché mis en jeu par cet édulcorant présent dans des milliers de produits agroalimentaires, diététiques et médicamenteux. L'aspartam dans les produits alimentaires en Algérie Le problème de la présence de cet édulcorant dans les produits alimentaires, pharmaceutiques et parapharmaceutiques en Algérie doit se poser avec toute la pertinence qu'il mérite, car non seulement le produit est utilisé d'une manière répandue, il est de surcroît sujet à des pratiques frauduleuses, surtout dans le secteur de l'industrie des boissons non alcoolisées. En effet, beaucoup de fabricants indélicats ont recours à l'usage de l'aspartam qui leur offre une alternative économique bon marché dont le rapport coût/pouvoir sucrant en termes de rentabilité est beaucoup plus avantageux que le sucre de table. «Combien sont-ils à mentionner sur leurs étiquettes la présence d'édulcorants dans leurs formules ?» se demande-t-on dans l'enquête menée par El Watan dans son édition du 17 août 2008. Parler de DJA (Dose journalière admise) d'aspartam dans ces conditions est une aberration. L'aspartam dans les pharmacies prescrit et dispensé en double aveugle L'autre domaine tout aussi important et stratégique qui connaît une large utilisation de cet édulcorant est celui de l'industrie pharmaceutique. Nombreux sont les médicaments qui en contiennent, et beaucoup de praticiens sont incapables de reconnaître ceux qui en contiennent, de ceux qui n'en contiennent pas. Prendre le temps d'évaluer la dose journalière admise (DJA) dans leurs prescriptions quotidiennes, en tenant compte de l'apport alimentaire, est un exercice d'autant plus difficile que les laboratoires n'ont pas jugé important, du moins à ce jour, de le mettre en évidence par un étiquetage adéquat sur leurs emballages et dans leurs notices. Par ailleurs, la promotion des médicaments génériques connaissant un développement considérable en Algérie, médecins et pharmaciens, à l'instar de nombreux pays, sont invités à prescrire et à dispenser ces médicaments par diverses mesures d'encouragement et des dispositions réglementaires, tels que le droit de substitution consacré par la loi algérienne et des compensations financières accordées par les caisses d'assurances. Cependant, dans cette course effrénée de la promotion des génériques, une autre aberration vient compliquer davantage la tâche des praticiens de santé : l'absence d'un répertoire national des médicaments génériques. Ce répertoire qui aurait dû être mis à la disposition des praticiens au début de la campagne de la politique des génériques n'a pas encore vu le jour, laissant les praticiens se débattre au milieu d'un foisonnement de dénominations commerciales sources de nombreuses erreurs et confusions dont les conséquences sont parfois fatales. En effet, le répertoire national des médicaments génériques est un guide indispensable aux praticiens. Il est censé répertorier tous les génériques jouissant d'une autorisation de mise sur le marché dans notre pays avec une identification actualisée et précise de leurs fabricants, leur composition, la traçabilité de leur principe actif, et l'inventaire de tous les excipients utilisés dans la formulation, et leurs effets éventuels, notamment les excipients dits à effet notoire. En réalité, le droit de substitution et la prescription des génériques ne s'exercent pas par la simple connaissance de la DCI (Dénomination commune internationale) du principe actif, mais en se référant à un répertoire qui décrit avec exactitude les différents excipients qui composent la forme galénique du générique proposé en substitution par le pharmacien ou prescrit par le médecin, qui sont désormais les deux acteurs incontournables de la promotion de la politique des génériques prônée par leur tutelle, dans le cadre de la convention médecins - caisse d'assurance - pharmaciens. En effet, même si le générique substitué au princeps comporte exactement les mêmes principes actifs aux mêmes doses et présentés sous la même forme galénique, les excipients peuvent parfois différer du princeps au générique, ou d'un générique à un autre, ce qui se traduit par des effets dits notoires qui peuvent êtres ressentis par certains malades comme très gênants, voire intolérables ou qui peuvent occasionner chez les femmes enceintes par exemple de graves complications. Le cas de l'aspartam est à ce titre l'exemple d'actualité le plus éloquent. L'aspartam est utilisé dans de nombreux médicaments comme excipient dont le rôle est de conférer au médicament des qualités de goût pour les formes à administration orale. C'est le cas de beaucoup de spécialités pharmaceutiques qui proposent des supplémentations vitaminiques, fer, oligoéléments et minéraux destinées à la femme enceinte, et ce, pour traiter des situations liées à des carences alimentaires ou pathologiques. D'où les conséquences qui découlent de la présence d'aspartam dans ces produits et sa consommation par la femme enceinte. Pour illustrer ce cas, je m'arrêterai à un seul exemple : une spécialité pharmaceutique remboursable par la sécurité sociale qui compte plusieurs génériques, utilisée dans la supplémentation calcique et vitaminique D chez la femme enceinte. Les déficits en calcium chez cette dernière, même s'ils sont peu fréquents peuvent exister. Ils conduisent alors à une hypocalcémie maternelle et fœtale. On les incrimine aussi dans la survenue de l'hypertension artérielle dite toxémie gravidique... Par contre, les déficits en vitamine D sont plus fréquents. La supplémentation en vitamine D a été démontrée comme un facteur de diminution significative des épisodes d'hypocalcémie néonatale. Connaissant les habitudes alimentaires (pauvres en produits laitiers) de leurs patientes enceintes, beaucoup de médecins ayant à leur disposition cette spécialité pharmaceutique remboursable par la sécurité sociale contenant calcium et vitamine D associés n'hésitent pas à la prescrire systématiquement, souvent pendant une période significative de la grossesse. Les pharmaciens emboîtant le pas aux médecins, la dispensent en conseils quand la femme enceinte vient la demander en officine. Cependant, pratiquement toutes les spécialités contenant calcium et vitamine D associés et leurs génériques correspondants disponibles sur le marché pharmaceutique algérien sont édulcorés à l'aspartam, sauf une seule spécialité qui n'est pas fabriquée localement est édulcorée au sorbitol, un sucre naturel. Cette spécialité est actuellement en rupture de stock à l'échelle nationale. Les femmes enceintes se voient alors obligées de se faire prescrire ou délivrer par substitution une autre spécialité équivalente, ou un générique qui sont tous, comme on vient de le voir, édulcorés à l'aspartam. Et ce, au risque d'avoir les complications craintes, comme nous venons de le voir, par la consommation de cet édulcorant suspect. L'utilisation classique du magnésium au cours de la grossesse, devant la présence de crampes musculaires, que la supplémentation magnésique améliore bien, est un autre cas fréquent de prescription-dispensation systématique à la femme enceinte de médicaments contenant de l'aspartam. On peut citer une centaine d'autres cas de médicaments et de compléments alimentaires édulcorés à l'aspartam : des comprimés antibiotiques dispersibles et oro-dispersibles aux sirops de salbutamol, la liste est longue… Sans oublier tous les produits minceur édulcorés à portée de main des femmes enceintes sur les étals des supérettes sans aucun conseil ni mise en garde. Ces exemples illustrent parfaitement l'intérêt et l'urgence de mettre à la disposition des praticiens de santé, pharmaciens, médecins et dentistes un répertoire national de tous les génériques et les produits dits compléments alimentaires pour une prescription-dispensation de qualité. Je terminerai par cet extrait de l'allocution du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, prononcée à l'ouverture des travaux de la Rencontre euro-méditerranéenne sur la Santé «Regards Croisés sur la Santé» (Alger, 14 février 2004) : «Je voudrais insister plus particulièrement sur un déterminant majeur de la santé de nos populations. Je veux parler de la périnatalité. Les expériences menées dans les pays européens et les résultats obtenus montrent que la promotion et le développement d'une politique volontariste dans le domaine de la périnatalité et de la néonatalogie préviennent de nombreux handicaps et réduisent considérablement les taux de mortalité infantile.» Les incertitudes qui s'accumulent autour de l'innocuité de cet édulcorant, placées dans le contexte de la politique des médicaments génériques et des ruptures de stock suffisent à remettre en cause l'intérêt de sa présence dans notre alimentation et nos médicaments. Nous devons indubitablement, dans le cadre de la politique volontariste évoqué par le président de la République, et dans le cadre des plans nationaux de périnatalité et de cancer tenir compte de l'espace officinal comme un espace de prévention par excellence qu'il faut promouvoir en moyens humains et matériels afin que le pharmacien puisse y jouer son rôle pleinement.