Au moment où le président Amadou Toumani Touré achevait sa visite officielle en Algérie, l'ombre d'une nouvelle rébellion au nord de son pays se précisait. Les informations publiées par la presse malienne sur le renforcement massif des troupes militaires dans les trois régions du nord (Gao, Tombouctou et Kidal) confirment la situation dans cette zone que partagent les Touareg, les terroristes et les trafiquants en tout genre. La chute d'El Gueddafi et la fin de son régime semblent avoir libéré les bonnes et les mauvaises initiatives dans ce no man's land. En effet, en plus de l'armement de guerre en provenance de Libye tombé entre les mains de Mokhtar Belmokhtar et Abou Zeïd, le retour massif d'anciens loyalistes maliens d'El Gueddafi vers le nord a constitué une aubaine pour les compagnons de feu Bahanga, chef de la rébellion touareg, pour revenir restructurer leurs rangs et créer une nouvelle organisation armée, le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA). Leur objectif : «Libérer l'espace de toute occupation», a déclaré son porte-parole chargé des relations extérieures, Hama Ag Sidahmed. Nouvelle organisation militaire Née du Mouvement national de l'Azawad (MNA), du Mouvement touareg malien (MTM) ainsi que de l'Alliance pour le changement et la démocratie (ADC), la nouvelle organisation est en réalité une initiative de Brahim Ag Bahanga, qui s'est attelé durant tout l'été jusqu'à sa mort, vers la fin du mois d'août 2011, dans des circonstances douteuses, à préparer le terrain pour unifier les rangs. Sa mort suspecte a retardé quelque peu l'échéance de ce projet, mais ses proches compagnons l'ont poursuivi et concrétisé. Ainsi, le 15 octobre dernier, les dirigeants des mouvements, le MNA et le MTM, ainsi que de nombreux responsables «militaires» et «politiques» de l'Azawad se sont réunis et ont décidé, après concertation, de «convenir d'un commun accord de dépasser les difficultés et asseoir des revendications politiques communes prenant en comptes les aspirations profondes des populations de l'Azawad», a déclaré Hama Ag Sidahmed. «Après des débats constructifs sur l'avenir des populations de la région, du danger qui pèse sur l'Azawad, les parties présentes ont décidé de fusionner et de créer une nouvelle organisation, le MNLA, et ce, dans l'esprit des démarches déjà entamées, en accord avec les promesses et les engagements pris par le leader défunt Ibrahim Ag Bahanga», a affirmé notre interlocuteur, soulignant que la nouvelle organisation a pour objectif «de sortir les populations de l'Azawad de l'occupation illégale de leur territoire par le Mali étant donné que ce dernier est l'animateur, depuis plusieurs années, de l'insécurité dans la région». A ce titre, un communiqué annonçant la création du mouvement a fait état d'un appel «pressant en direction de Bamako afin de répondre dans l'urgence aux revendications politiques déjà transmises par le MNA», alors que la communauté internationale est quant à elle interpellée pour «soutenir et appuyer cette initiative historique au profit de la stabilité de la région». Le MNLA a par ailleurs exprimé son «rejet et sa condamnation» de «toute forme de terrorisme», estimant que celui-ci est «contraire aux valeurs et à la culture des populations». Scénarios pessimistes Depuis, le mouvement s'est doté d'un chef d'état-major militaire, un des fondateurs de la rébellion, Mohamed Nadjem, ainsi que d'un secrétaire général chargé du volet politique en la personne de Billal Ag Cherif, et enfin d'un porte-parole en charge des relations extérieures, Hama Ag Sidahmed. Ce dernier a confirmé «la désertion d'au moins 23 officiers de l'armée malienne de rang supérieur pour rejoindre la nouvelle organisation», citant par exemple les cas des commandants Ag Habré et Hassan Feggaga, ou encore le colonel Essadat, mais également de nombreux ex-combattants de la rébellion. «Le noyau dur du MNLA est constitué de quelque 300 hommes armés et entraînés. Des campagnes de sensibilisation ont été menées en direction des nombreuses tribus de la région, et toute la population, qu'elle soit touareg ou arabe, a adhéré à l'initiative. La nouvelle organisation a tiré les leçons des anciennes erreurs et pris le serment de faire la guerre non seulement à Al Qaîda mais aussi aux troupes militaires maliennes qui se préparent à réagir», a noté Hama Ag Sidahamed. Les propos du porte-parole font allusion aux informations publiées, la semaine écoulée, par la presse malienne faisant état de l'acheminement d'hommes et de matériel militaire vers le nord du Mali, juste avant la visite du président ATT à Alger. «Les militaires de la région de Gao, Kidal et Tombouctou verront bientôt leurs effectifs augmenter en hommes et en matériel pendant cette semaine. L'armée malienne est en train d'acheminer 18 BTR, une trentaine de BRDM et 120 véhicules tout-terrain équipés en armes. Avec, à l'appui, un nombre nécessaire de militaires qui s'élève à un millier d'hommes. Ce dispositif d'hommes et cet arsenal de guerre sont destinés aux trois régions du Nord-Mali qui connaissent un regain de tension ces temps-ci», lit-on sur plusieurs journaux. Un mouvement qui ouvre la voie aux scénarios les plus pessimistes. Certains analystes n'ont pas hésité à faire le lien entre l'invitation d'ATT par Bouteflika et l'évolution dangereuse de la situation au nord du Mali. En dépit du huis clos imposé autour des discussions avec le locataire d'El Mouradia, le président malien aurait conditionné sa participation effective à la lutte contre le terrorisme, et notamment contre le refus de jouer à l'intermédiaire entre les preneurs d'otages et leurs pays respectifs pour arracher des rançons, par l'implication de l'Algérie dans l'extinction de la flamme qui risque d'embraser une grande partie de son territoire, sachant que les nouveaux «rebelles» ont un atout de plus que ceux qui les ont précédés : un armement sophistiqué, de l'argent et de l'expertise dans la guérilla. «Non», diront d'autres sources. Selon elles, ATT est en fin de mandat. L'envoi d'escadrons militaires au nord du pays est un signal fort en direction des Touareg. «Il vient à Alger quémander l'implication des dirigeants pour faire taire la révolte de la population et, sur le terrain, il envoie ses troupes pour parer à toute action. S'il voulait vraiment fermer définitivement le dossier du Nord, il aurait juste appliqué les décisions qu'il a lui-même prises dans le cadre du règlement de la seconde rébellion. Sur cette question personne ne le croit, d'autant qu'il est à la porte de sortie…», a noté une source au fait du dossier. Scénario plausible sachant que celui-là même qui, jeudi dernier, à l'issue de sa visite à Alger, affirmait haut et fort qu'il ne permettra jamais aux troupes étrangères d'intervenir sur son territoire, a autorisé la France, et à deux reprises, à mener des opérations de libération d'otages et la Mauritanie ainsi que le Niger à poursuivre des terroristes. Des décisions qui viennent à contre-courant des mesures prises par les ministres des Affaires étrangères des pays du champ (Algérie, Mali, Niger et Mauritanie) en mars 2010, surtout que ces mêmes Etats ont créé une structure des états-majors de leurs armées, le Cemoc, à Tamanrasset, pour coordonner leur stratégie de lutte contre le terrorisme. Force est de constater qu'un autre conflit armé va faire sombrer la région du Sahel dans l'inconnu, faisant d'elle un espace où les pires scénarios d'embrasement sont possibles.