L'Algérie va se réveiller très bientôt sur le premier anniversaire des émeutes de la jeunesse déshéritée de début janvier 2011. Avec une grosse migraine. Car le souffle du mouvement est retombé. Et l'inertie donne mal à la tête. Sur le plan institutionnel, le changement des lois lancé par le président Bouteflika se déroule comme convenu. C'est-à-dire comme un non-événement. Au gouvernement, à l'APN, au Sénat, les acteurs sont partout les mêmes. Pas de nouveaux entrants. Ni en format parti politique toujours en instance de reconnaissance. Ni en syndicats ni en association. Rien ne doit bouger plus vite que l'agenda présidentiel. Et son enchaînement tranquille : changements de loi, changement de constitution, élections législatives. Selon un triptyque têtu qui rappelle Guy Mollet en 1956. Un périmètre aurait pu échapper à ce calendrier de la torpeur à des années lumière du tohu-bohu novateur des révolutions arabes. Celui de l'entreprise. Le secteur privé est bien ce qui grandit le plus constamment en Algérie depuis vingt ans. Premier partout en hors hydrocarbures. Valeur ajoutée, emplois, fiscalité. Et même en exportations. Le changement dans le monde de l'entreprise pouvait-il prendre de vitesse celui bloqué, dans les institutions politiques ? L'élection du président du Forum des chefs d'entreprises (FCE) jeudi dernier penche pour le non. Non pas parce que Réda Hamiani a été réélu pour un troisième mandat, la modernité de la gouvernance se mesure autrement. Mais parce que la principale organisation patronale en Algérie est figée, comme le reste, dans une sous-légitimité de représentation qui biaise toute la vie publique nationale. Le reste ? La présidence de la République avec un «résident» réélu par moins de 30% du corps électoral en avril 2009, une assemblée nationale encore plus mal élue en 2007, une direction de l'UGTA, le principal syndicat du pays, mixture nord-coréeno-colombienne, combinant bureaucratie et affairisme. Le Forum des chefs d'entreprises peut toujours revendiquer à son actif d'avoir une gouvernance démocratique. Son président est librement élu. Et les perdants, cette fois Mohamed Bairi et Hassan Khelifati le reconnaissent. Mais 160 chefs d'entreprise seulement ont voté à l'assemblée générale à l'hôtel Riadh de Sidi Fredj. Dans une organisation qui ne compte que 230 membres. Une contre-publicité affligeante. Le grand enseignement de la semaine est donc bien celui-là. Personne n'est réellement bien représenté en Algérie. L'entreprise autant que les citoyens. L'année 2011 aurait dû changer les choses. L'onde de choc des émeutes de janvier, la chute de Ben Ali et de Moubarak, le printemps des protesta en Algérie, tout poussait à l'ouverture. Y compris à l'accès d'un nombre plus grand d'adhérents au FCE. En acceptant d'aller pour la première fois à la table de la tripartite en mai dernier, le «club» FCE des débuts, se dénommant lui-même «force de proposition», a implicitement changé de positionnement. Il a glissé vers le terrain de la négociation sociale directe. Celui du syndicalisme patronal classique. Qui revendique un vrai coefficient de représentativité. Mais que ses mentors, au fond, ne veulent pas assumer. Il faut afficher 100 millions de dinars de chiffres d'affaires et être parrainé par des adhérents pour prétendre devenir membre du Forum des chefs d'entreprise. Il existe bien au moins 1000 chefs d'entreprise dans l'Algérie de 2011 qui entrent dans ce cahier des charges. L'UTICA, l'organisation tunisienne, certes née en 1947, affiche 1200 unions syndicales locales toutes filières professionnelles confondues. Le FCE refuse le projet tentaculaire d'une organisation de tous les entreprenants. C'est son droit. A l'autre extrémité, celle de l'élitisme par la surface d'affaire guette le risque de ressembler, en dépit du vote interne démocratique, à l'APN, à la présidence de la République, à l'UGTA, et même à la CAP et la CGEOA qui n'entraînent pas beaucoup d'adhérents dans leurs rangs. Si Issad Rebrab et Ali Haddad venaient à se retirer, le forum perdrait plus de 80% du chiffre d'affaires qu'il cumule parmi ses adhérents. Revers de l'élitisme. L'ouverture et le changement qui partent de l'univers patronal ? Ce n'est pas ainsi que le monde avance. Il ne fallait donc pas en demander tant au FCE. Il a organisé une vraie élection pour la seconde fois. De l'autre côté de la table de la tripartite Ahmed Ouyahia ne pourra jamais en dire autant.