« Lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles, on oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer les places […] Oui, j'aimerais mourir au combat avant la fin» (1) Mohamed Larbi Ben M'hidi , héros de la guerre d'indépendance( 1923-1957) Le titre de cet article n'est plus une déroute sémantique ni un écart langagier, mais c'est un plagiat intentionnel, une sorte de parallélisme nourri de réflexion et de méditation avec les mots de l'ennemi de la parole unique, le défunt «Ferhat Abbas». Cet article est également un ensemble de paroles amères qui dépeignent volontiers ces bougies du printemps et d'espoir qui achèvent de se consumer en jetant des lueurs irréelles sur le visage de l'Algérie d'aujourd'hui. Plus de 49 ans après l'indépendance nationale, notre pays est toujours en quête des remèdes sauveurs et des solutions concrètes à même de le mettre en harmonie avec lui-même, il vit cruellement dans l'aboulie et le désespoir qui ont dégénéré en une certaine frigidité au progrès, se résumant laconiquement en la sentence suivante: «un pas en avant, trois pas en arrière», si ce n'est pas plus. Voilà le mot récapitulatif du marécage algérien, les élites se plaignent toujours de l'immaturité des masses et celles-ci, bien qu'elles aient à plusieurs reprises prouvé leur conscience nationale et inscrit leurs empreintes d'or sur les fastes de l'histoire plus que millénaire de notre pays, se sont vues toujours délester de tous les honneurs. Pire, elles sont souvent perçues comme arriérées, inaptes au progrès, et très en retard en matière de conscience et de maturité politiques. Mais, elles sont patientes et persévérantes sous la pire des vilenies qui lui sont décochées. Toutefois, elles renvoient la balle à chaque fois que l'occasion se présente en direction de leurs élites gouvernantes détractrices pour les accuser à leur tour du mépris et de condescendance. On dirait qu'on est dans une sorte de mare aux poissons où il y a beaucoup plus de compétition et d'incompréhension entre les deux blocs que de coopération et d'entraide. Au fait, cette élite politique carriériste qui n'a aucunement répondu aux plaintes et aux galéjades des couches sociales de basse extraction voit d'un œil suspect ce printemps des peuples qui «dégage» un peu partout dans l'espace arabo-musulman ses cancres véreux en les mettant devant la sentence irrévocable de la rue. Il s'agit plutôt d'une espèce d'effet cathartique du malaise arabe où les vieilles gardes nationalistes croient toujours aux vertus du feu et négligent les valeurs de la science et de la démocratie. Celle-ci dirait la militante malienne engagée «Aminata Traoré» est une danse indansable dans la mesure où les régimes arabes et africains, très rétrogrades à plus d'un titre, savent danser toutes les danses de l'absurde et de la nullité à part celle de la bonne gouvernance: de l'autoritarisme débridé au mépris des masses, d'abus de pouvoir aux fraudes électorales, de scandales financiers aux répressions féroces, toutes les frasques sont donc permises dans les républiques bananières. Le cas de l'Algérie n'en est pas moins différent, le chômage massif a pris ses proportions les plus alarmantes, s'y ajoute celui de diplômés, encore plus dramatique et préoccupant à plus d'un titre, le C.N.E.S, seule institution habilitée à rendre des comptes sur la situation économique et sociale du pays, n'arrive plus à établir des statistiques fiables et viables vu que l'économie informelle écrase l'économie réelle dans un désordre et une gabegie inimaginables. C'est une erreur d'optique de croire aujourd'hui que la distribution passive de la rente pourrait juguler le basculement de la rue vers la violence même si dans ses tréfonds celle-ci, c'est-à-dire la rue, a subi des traumatismes atroces: les pierres vivantes de l'édifice national ne sauraient être consolidées que par un dialogue continuel et constructif entre la société et le régime politique de nature à tempérer les injustices et à désamorcer à temps «la bombe sociale». L'effet boule de neige des répercussions négatives du marasme économique et social de l'Algérie conjugué aux effets inattendus de la révolution du Jasmin sur la conscience des masses pourrait agir dans un proche avenir tel un catalyseur d'un grand mouvement insurrectionnel si la rue ne reçoit pas dans l'urgence un feed-back apaisant de se douleurs. L'on assiste, en quelque sorte, à une souveraineté populaire en déshérence et à l'abandon. C'est pourquoi, il importe au plus haut degré de rassurer le citoyen sur la bonne gestion des deniers publics, de l'éradication de ce fléau pestilentiel de la corruption car les masses souffrent mille morts en voyant ce potentiel immense d'hydrocarbures gâché sans contrepartie, sans effets apaisants sur leur quotidien morne. La société civile, s'il y en a une, ne veut plus tourner comme un électron libre dans l'orbite du système politique ni se voir confisquer ses droits d'être juge et partie de ses dirigeants. La souveraineté populaire est on ne peut plus la source authentique du pouvoir politique. Or dans notre pays, outre la manne viagère du pétrole qui a plongé les masses dans ce que les spécialistes appellent « l'errance rentière», l'élite dirigeante s'octroie sans scrupules, la rente viagère de l'histoire comme un attribut supplémentaire. Celle-ci, comme l'a laissé entendre le «Dr Rachid Tlemçani » dans son ouvrage «élites et élections en Algérie: paroles de candidats», est plus qu'un héritage politique. Sinon comment pourrait-on justifier les paroles du patron du F.L.N, en l'occurrence «Abdelazziz Belkhadem» qui déclarait en son âme et conscience, il y a quelques mois que son parti gouvernerait encore l'Algérie pendant les 50 ans à venir? On ne sait pas jusqu'à l'heure actuelle s'il s'agit vraiment d'une simple déclaration politique pour épater la galerie ou si c'est une véritable croyance en l'instinct d'immortalité!! Quoiqu'il en soit, l'expérience éternelle dirait l'écrivain «Montesquieu»(1689-1755) dans son ouvrage «l'esprit des lois», prouve que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Notre intelligentsia compense en fait d'une manière malicieuse et machiavélique ses prévarications et ses pharisaïsmes par les lustres et les glorioles d'une ère révolue à laquelle plus de trois tiers d'algériens n'y ont pas participée. En conséquences de quoi, un vide intergénérationnel effarant se creuse chaque jour davantage entre deux générations qui se frictionnent, se bousculent, et se basculent mais ne se rencontrent plus jamais. Mais comment en est-on arrivé là? A ce point névralgique de non-retour, de fausses évidences et de désenchantement. Pourquoi notre Algérie refuse-t-elle de rénover en profondeur ses soubassements doctrinaux, idéologiques et politiques? Pourquoi nos élites gouvernantes méprisent-elles souvent les masses? Dans la logique des choses, ce grand tintamarre des réformes ne devrait en aucune manière tenir lieu dans l'enceinte hermétique du sénat ou de l'assemblée nationale mais dans la rue, au côté du citoyen de Relizane, de Annaba, de Ghardia et Timimoun. Bref au côté du citoyen de l'Algérie des profondeurs. Ce serait un travail de longue haleine qui nécessiterait une véritable mise en perspective des priorités nationales telles que: l'étude sérieuse de l'histoire, la prise en charge des préoccupations de la jeunesse, la consolidation de la recherche scientifique et la revalorisation du travail dans la vie sociale et l'inconscient collectif des algériens. L'Algérie actuelle est souffrante, à titre d'exemple dans le seul domaine de l'agriculture et n'oublions pas que notre pays fut le grenier de Rome au temps du roi numide «Massinissa», l'auto-suffisance est loin d'être atteinte car le pays ne couvre que 14% de ses besoins annuels en céréales et les 85% qui restent sont du domaine de la pure importation. C'est pourquoi, l'économiste «Juan Carlos Rodado» aurait classé au début de mois de janvier dernier l'Algérie en tête de liste des pays les plus exposés aux émeutes sporadiques et plus particulièrement aux révoltes sociales au côté de la Jordanie, la Mauritanie, l'Egypte et la Tunisie. Pays qui, rappelons-le bien, ne possèdent presque plus des ressources énergétiques autant que notre patrie. En ce sens, la cyberdissidence citoyenne qui a eu pignon sur rue en Tunisie a trouvé son levain nourricier dans le marasme collectif de la jeunesse des marges. Il ne saurait en être autrement en Algérie où le terrain de l'émeute a été des décennies durant défriché par une population assoiffée des libertés, le potentiel de la haine sociale intergénérationnelle s'est accumulé au fur et à mesure que le temps passe et le pic de la détresse populaire a dégénéré en confrontation frontale et totale entre société civile et régime politique. Cet écart est visible à l'œil nu, sans avoir osé faire outre mesure des efforts philosophiques. Les élites politiques qui gouvernent n'ont jamais l'intention de faire peau neuve, réfléchir au moins une seule année au destin de l'Algérie, croire en l'évolution des mentalités et au progrès social de la rue. Un jeune algérien de 20 ans en 2011 n'est en rien comparable à celui des années 70, la carte graphique de la mentalité a évolué et changé ses contours spatiotemporels. Qui croirait un jour qu'un jeune diplômé, chômeur de surcroît, marchand ambulant de fruits et légumes en Tunisie allait renverser un dictateur qui avait accaparé le pouvoir pendant 23 ans? Personne. Mais cela est arrivé parce que le contexte a changé et les mœurs politiques des masses ont devancé de loin les visées opportunistes des élites gouvernantes militarisées et en mal de repères, «autres temps, autres mœurs» dirait le rhéteur romain «Ciceron». La jeunesse tunisienne autant que celle de notre pays et de celle de tous les territoires arabes sans exclusive vivent les mêmes problèmes, supportent les mêmes angoisses, et endurent les mêmes obstacles et handicaps. En d'autres termes, ils conjuguent tous les verbes de la frustration au présent de toutes les privations, mode indéfini bien sûr, mais s'accordent un supplément d'existence par la révolte dans tous les sens, une première bouffée d'oxygène que respirent les masses opprimées, celles-ci rejettent d'ailleurs d'être taxées du cheptel expiatoire sur l'autel de la démagogie ostentatoire des nomenclatures véreuse, maffieuse, et odieuse. Le moi collectif a, en quelque sorte, pris le dessus sur les égos individuels, les renoncements aux rêves, les déceptions sclérosantes, et les reculades débilitantes. Alors que les élites politiques ont longtemps hésité à puiser dans le vivier de leurs déconfitures et dans la grammaire de leurs erreurs, leurs ratages historiques et leurs fautes de frappes économiques, les masses ont par contre résisté à la dilution morale et à la corruption de leur idéal en optant dans leur anarchie innocente et leur spontanéité à tout-va au dépoussiérage de leurs régimes corrompus. Bien que la rue tunisienne en ait la primeur, les tressaillements de l'Algérie profonde ne sont pas du reste négligeables. La rue balbutiante a pris au départ une allure endiablée afin d'embrasser la révolte mais elle s'est vite essoufflée faute d'un encadrement efficace de la part des élites. En Algérie, contrairement à tous les autres pays arabes, la rue est complètement désabusée car d'une part, elle ne croit point ni au discours des politiques ni à la charabia de l'intelligentsia. D'autre part, il y a un réservoir de détresse sociale qui a fait des fuites gigantesques de son potentiel par mouvements de révolte saccadés en des périodes peu espacées: les événements de 80, les émeutes de 88, le printemps noir 2001, la révolte de 2011, sans oublier les les émeutes sporadiques qui éclatent ça et là depuis pratiquement presque une décennie. En ce sens, le mouvement de révolte en Algérie s'est fourvoyé dans des détours inimaginables et laissé un avant goût de déception dans le cœur des masses. Le caractère passager des émeutes ayant secoué la plupart des wilayas en janvier dernier est fort manifeste, la rue algérienne aurait raté une fois de plus le coche. Mais elle a toutefois transmis un message clair et précis aux autorités politiques « mieux vivre une seule nuit comme un lion rugissant que vivoter des siècles durant comme un lièvre glapissant» comme le dirait bien un proverbe très connu du terroir algérien. D'où la multiplication d'actes désespérés d'immolation par le feu un peu partout sur le territoire national en signe de protestation contre la hogra, la malvie, le déni de justice, le chômage endémique, la cherté de la vie, le manque de libertés, et surtout la mauvaise gestion sinon la dilapidation éhontée des deniers publics par des élites carnassières, plus intéressées par le lucre que par le service public. Le rêve de l'indépendance nationale n'a malheureusement pas été suivi par un effort de perspectivisme social de l'élite sur la rue. Celle-ci reste l'éternelle incomprise et la soi-disant panacée de l'indépendance n'a pu s'immerger dans ses tragédies intimes. Ainsi, ses rêves de progrès sont mis au placard des oubliettes et une béance atroce a désarticulé les ressorts énergétiques de sa conscience. La crise à laquelle l'Algérie profonde est astreinte avec son terrible cortège de souffrances, l'attristant dogmatisme et l'abjecte forfanterie des élites l'a projeté sur le cratère du volcan. C'est pourquoi, l'on assiste à un état d'ébullition social permanent, «les guerres et les révolutions, écrirait le sociologue «Edgar Morin», sont des tornades historiques». En ce sens, l'égarement éthique des élites pourrait facilement mener à l'irréparable dans la mesure où les bas-fonds de la société ne supporteraient plus à long terme les dérapages constatés en haut de la sphère gouvernante. On ne saurait décérébrer une société ni entretenir avec elle un rapport au vitriol au long cours sans causer des césures et des fractures dans la marche ascensionnelle du pays. Les flonflons de l'indépendance nationale ont, pour le moins que l'on puisse dire, été suivis par la lutte pour le pouvoir, puis ont donné par la suite lieu aux indicibles horreurs de la décennie 90. Pour reconquérir son espace réel, notre pays devrait revaloriser son histoire, faire des liaisons associatives entre son passé, son présent et son avenir, procéder à une déconstruction sérieuse de tous les échecs, à une remise à plat de toutes les évidences erronées, les idées reçues, les attitudes convenues, et refuser les consensus déformateurs qui falsifient l'histoire nationale. Autrement dit, «décoloniser l'histoire» pour reprendre le terme de l'historien algérien «Mohand Chérif Sahli» car l'histoire n'est pas une partie de cricket ni un match de football ni encore moins une arène de polémiques arides. L'histoire est quelque chose de sérieux auquel on doit attacher une importance capitale. L'Algérie a failli encore en ce domaine au serment des «Chouhadas», si la France des «droits de l'homme» avait voté une loi qui met en évidence le rôle positif de la colonisation en Algérie le 23 février 2005, l'Algérie, quant à elle, réticente et incohérente aurait retiré une proposition au parlement pour criminaliser le colonialisme en 2010. Voilà le désastre!! Par ailleurs, la réhabilitation de personnalités historiques à l'image de Messali Hadj, le père du nationalisme algérien, Abane Ramdane, le colonel Chabani et le colonel Mohand Oulhadj par le président Bouteflika au début de son premier mandat fut un geste très fort dans ce sens s'il avait été suivi par une véritable redynamisation des études historiques afin d'échapper, du moins le croit-on, au strabisme des visions, au statisme des de la pensée et aux stéréotypes de tout ordre. L'imprégnation des idées du progrès passe impérativement par la connaissance de l'histoire nationale, la compréhension des attentes populaires, et surtout la réponse aux besoins de cette société trop longtemps maintenue sous perfusion et de ces jeunes naufragés de la vie qui vivent d'expédients et souffrent de cette verrue morale de la hogra. La confiscation de l'histoire est un crime de lèse-dignité et l'accaparement du pouvoir, un génocide social de lèse-souveraineté. En un mot, cette jeunesse qui réclame à cor et à cri son droit à une vie digne devrait être associée au «Deal» de l'Algérie des Lumières afin qu'elle s'en approprie l'histoire qui lui appartient de jure et de facto. Et c'est cela la vraie… révolution!!! Note (1) Cité in Ferhat Abbas, l'indépendance confisquée, Flammarion, 1984, p44 Lectures: