C'est par atavisme que les autorités ont interdit les conférences-débats que la Laddh avait programmées pour célébrer la Journée mondiale des droits de l'homme. Et c'est aussi par «hérédité politique» qu'elles ont déployé un important dispositif sécuritaire à Alger, pour mettre sous haute surveillance les citoyens ayant répondu à l'appel de différents collectifs pour un sit-in commémoratif de cette date. L'atavisme est la marque de fabrique du personnel politique dirigeant, qui perpétue fidèlement, et cela depuis l'indépendance, l'autoritarisme d'Etat. Exceptées peut-être les deux années du «printemps démocratique» algérien, 1989-1990, les citoyens ont, de tout temps, été privés de leur droit constitutionnel de jouir pleinement des libertés. Ils devaient subir leur sort et se garder d'exprimer publiquement tout mécontentement à l'égard des dirigeants, à tous les échelons du pouvoir politique. La répression peut s'abattre sur eux à tout moment, qu'elle prenne la forme d'une torture dans un commissariat ou d'un lourd emprisonnement, sans recours possible. Pourtant, il y a presque une année, alors que commençait à souffler un vent de révolte dans les pays arabes et que l'Algérie elle-même commençait à s'agiter, on pensait pouvoir assister à la fin de cette malédiction héréditaire. Bouteflika parlait de réformes, voulait écouter tout le monde, mettait en place une commission. Un petit espoir commençait à poindre lorsqu'il fut procédé à la levée de l'état d'urgence au nom duquel pendant des années toute expression politique publique était interdite ou soumise à un strict encadrement. Las. Très vite, le naturel reprit le dessus. Alors qu'ils devaient refléter fidèlement les idées émises par les invités de la commission Bensalah, les projets de loi organiques (électorale, partis politiques, information, associations) s'en écartèrent totalement. Ils reflétèrent les seuls points de vue de l'administration et donc du pouvoir politique dont elle dépend organiquement. Tous ceux qui avaient répondu à l'appel de cette commission se sentent aujourd'hui floués, y compris les alliés objectifs du régime, à l'image du PT et du MSP qui se rendent à l'évidence, amère pour eux, que les réformes Bouteflika n'étaient destinées, finalement, qu'à assurer à leurs concurrents que sont le FLN et le RND le maximum de chances pour qu'ils s'imposent aux élections législatives de mai 2012. La société civile n'est pas en reste. Le CNES voulait en assurer la réémergence après des années de reflux ; ses recommandations, après de grandes messes, restèrent lettre morte. Le coup de grâce est venu de la loi sur les associations qui suspend une épée de Damoclès sur la tête de toutes les associations nationales œuvrant pour les libertés individuelles et collectives et pour une bonne gestion de l'économie. Les plus ciblées sont celles qui travaillent en partenariat avec des ONG étrangères, telles Amnesty International et Transparency. Une manière pour le pouvoir de se préserver des rapports annuels accablants en matière de droits de l'homme, de corruption et de gouvernance. Quelques voix militantes ont pu malgré tout s'élever, hier, journée commémorative des droits de l'homme. Si le constat est amer, l'inquiétude est grande quant à l'avenir proche du pays. Il y a une année, des émeutes avaient failli faire basculer le pays dans une situation incontrôlable. Le péril est loin d'être conjuré.