La vie politique en Egypte donne l'impression d'un fleuve tranquille depuis que la rue s'est vidée de ses contestataires, la classe politique reprenant aussi bien son souffle que sa place. Et cette fois, c'est le passage aux urnes et par les urnes, car il faut bien un arbitre, se disent en toute logique les uns et les autres engagés dans un dialogue à distance. C'est le cas de l'ancien directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui vient d'annoncer qu'il ne sera pas candidat à l'élection présidentielle de juin prochain. Evidemment, Mohamed El Baradei ne manque pas d'arguments. Ou pour être plus précis, car c'est là qu'il y a débat, il partage l'analyse faite depuis longtemps déjà et qui consiste à relever que la contestation, qui a contraint au départ l'ancien président Hosni Moubarak, le 11 février 2011, n'est pas venue à bout du régime. Autant dire que la révolte a été récupérée et étouffée par les militaires qui en ont pris les commandes, et même par la force, puisque les prisons égyptiennes sont demeurées pleines. 12 000 Egyptiens ont été mis en prison depuis la chute du régime de Moubarak. Pour El Baradei, «l'ancien régime n'est pas tombé», ou encore, selon lui, les institutions sont toujours contrôlées par des personnes issues de l'ancien régime. Pas un mot sur les élections législatives qui viennent de se dérouler donnant aux islamistes une confortable majorité et auxquelles il n'a pas participé. En quelque sorte, c'était un sondage grandeur nature, même s'il y avait à dire, puisqu'il ne concerne qu'une partie de la population égyptienne, celle qui a le droit de voter, et qui l'a effectivement exercé. Les enjeux étant importants sinon fondamentaux puisqu'est envisagée l'élaboration d'une nouvelle Constitution, la sortie de M. El Baradei ne manque pas d'intérêt, même s'il se trouvera quelques-uns, et même beaucoup, pour lui porter la contradiction et l'interroger notamment sur son audience réelle et sa capacité de mobilisation, à ne pas confondre avec popularité bien réelle celle-là, a-t-on constaté lors des manifestations place Tahrir. Le débat est bien réel, sauf que les propos de M. El Baradei, rapportés à certaines analyses, ne manquent ni d'intérêt ni de pertinence. A cet égard, l'ancien président américain, Jimmy Carter, a affirmé tout récemment que l'armée égyptienne voulait garder certains pouvoirs après l'élection présidentielle. «Quand j'ai rencontré les dirigeants militaires, l'impression que j'ai eue, c'est qu'ils voulaient avoir certains privilèges au sein du gouvernement après l'élection du président», a déclaré M. Carter. L'ancien dirigeant américain – dont la fondation, le Centre Carter, fait partie des observateurs internationaux des élections législatives en cours – a rencontré des membres du Conseil suprême des forces armées (CSFA), des dirigeants politiques et des représentants de la société civile. Il n'en fallait pas plus pour que soient au moins renforcées les craintes de nombreux mouvements et personnalités de voir l'armée conserver des prérogatives, ce que dément fermement cette institution. Dans ses premières observations, le Centre Carter a reproché au CSFA d'avoir «créé une incertitude quant à son engagement pour un pouvoir civil». La bataille s'annonce rude pour l'élection présidentielle de juin prochain, une dizaine de personnalités étant données partantes, mais étonnamment discrètes sur cette question de régime et de pouvoir. Et surtout de ce que sera l'après-élection présidentielle. La marge paraît bien étroite pour un pays pressé de rompre avec la crise qui mine ses institutions et l'affaiblit économiquement. A l'inverse, la pire des conséquences sera une instabilité chronique et le prix serait encore plus élevé.