Quatre jours de neige et une première éclaircie ce lundi après-midi. Un timide soleil a fait son apparition sur le village de Mouka, blotti dans un épais manteau blanc étincelant. Nous sommes sur les hauteurs d'Ighil Ali, au village de Mouka Ath Ahmed, perché à 960 mètres d'altitude, sur les hauteurs hérissées de pins d'Alep des Bibans. En fait, le village de Mouka se divise en deux : Les Ath Saïd à gauche et les Ath Ahmed à droite. Vu de loin, le village offre un paysage de carte postale. Cependant, cette image d'Epinal peut cacher bien des drames et des misères. En quittant la grande route, notre véhicule renonce piteusement à gravir la piste enneigée qui mène au centre du village. Nous le plantons là, enferré dans l'épaisse poudreuse, pour partir à la rencontre des villageois que nous ne tardons pas à trouver à Tajjmaâth Amar Ouvarouche, l'agora qui réunit grands et petits autour d'un bon feu de bois. Le feu n'est pas encore allumé mais cela n'empêche nullement les langues de se délier. Bloqués par les incessantes chutes de neige depuis jeudi soir, les habitants de Mouka peinent encore à rompre leur isolement. Pourtant, les niveleuses de la commune n'ont pas chômé, mais la route était à peine ouverte qu'elle se fermait sous l'effet d'une neige drue, collante et entêtée. Dimanche soir, quelques téméraires ont pu se frayer un chemin jusqu'au chef-lieu communal, Ighil Ali. Il a fallu que tout le monde donne un coup de main pour arriver à sortir un véhicule jusqu'à la grande route. Certains, comme le vieux Mohand, ont fait les 12 kilomètres à pied. Arrivés en soirée, les quelques habitants qui ont bravé le froid et la neige ont vite déchanté : «Hélas, il n'y avait rien à acheter. Ni pain ni lait et encore moins de gaz butane», dit Samir. «Dénicher une bouteille de gaz relevait du miracle. Certains la proposaient à 700 DA», dit son ami Brahim Cherrad, 42 ans. Pour ces montagnards habitués aux rudes conditions climatiques des altitudes et des solitudes enneigées, une seule peur hante le cœur et l'esprit par temps de neige : l'urgence médicale et la maladie. «En cas d'urgence, impossible d'évacuer le malade. Tu as tout le temps de le voir mourir», disent-ils à l'unisson. L'un des habitants nous informe qu'il a précisément un malade à ramener de l'hôpital d'Akbou, mais pour l'instant, cela demeure très aléatoire. Il ne veut pas prendre le risque car en cas de rechute, il n'y a ni médecin ni infirmier à contacter. «Quand on tombe malade, l'injection nous coûte 500 DA. C'est le prix de la course jusqu'à Ighil Ali où se trouve le dispensaire de santé», dit encore Brahim. «Nous demandons toujours au médecin des cachets et pas d'injections dans la mesure du possible», précise un paysan emmitouflé dans sa vieille gabardine. Mouka, l'un des fiefs du légendaire colonel Amirouche pendant la Révolution, ne compte plus que quelque 300 habitants. «Il ne reste ici que ceux qui n'ont pas les moyens de partir ailleurs», dit Samir. Et pour cause, il y a un seul enseignant pour tous les niveaux et toutes les classes. Brahim nous avoue qu'il a envoyé son fils à Alger pour suivre ses études. Il n'y a pas de dispensaire de santé. La seule richesse de Mouka, son immense forêt, a été entièrement brûlée par des mains criminelles l'année passée. Très souvent paysans, chômeurs ou journaliers exerçant des petits métiers précaires, ceux qui ont fait le choix de rester à Mouka subissent toutes les vicissitudes d'une vie de campagne fruste. Les villageois ont dû s'organiser pour construire leur mosquée et la djemaâ qui leur sert de lieu de réunion. Il a fallu également se cotiser pour ramener l'eau potable et l'électricité. «Nous avons dû aider même la Sonelgaz en creusant les semelles pour les poteaux électriques», disent-ils encore. Il y a un seul fourgon de transport mais il quitte le village à 5 heures du matin et ne rentre qu'à la nuit tombée. Quand on habite un village de montagne enclavé, il faut apprendre à tout faire soi-même. «Les politiciens ne viennent nous voir que pour nous gaver de promesses pendant les périodes électorales», dit encore Samir. «L'Etat nous a oubliés depuis l'indépendance», soupire le vieux Mohand Arav. Cet été, le village a brûlé sous le regard plus souvent indifférent qu'impuissant des autorités. Cet hiver, il gèle sous une épaisse couverture de neige, affrontant la nonchalance d'un Etat plus enclin à se rappeler des devoirs que des droits des citoyens. Exemple on ne peut plus vivant : un cantonnement de l'armée se trouve à Bouni, à 6 kilomètres du village. Les troupes sont restées sagement calfeutrées dans leur caserne, pour le feu comme pour la neige. Alors que nous quittons le village, la radio annonce un autre BMS prolongeant l'alerte neige jusqu'à mercredi. L'Etat, lui, continue à envoyer des SMS appelant les gens à voter…