Le ton monte entre la Libye et le Niger depuis vendredi. La cause, cette fois, n'a rien à voir avec un différend frontalier comme il y en a eu beaucoup entre les deux pays par le passé. Il ne s'agit pas non plus d'un problème de contrebande ou de terrorisme. La crise latente qui oppose Tripoli et Niamey est directement liée au devenir de Saâdi El Gueddafi, fils de l'ancien guide libyen, réfugié dans la capitale nigérienne depuis septembre dernier et qui vient de cibler les nouvelles autorités libyennes par de violentes attaques. Les relations se sont tendues entre les deux pays après notamment que Sâdi El Gueddafi ait accordé, vendredi, une interview à la chaîne Al Arabiya dans laquelle il est tombé à bras raccourcis sur le Conseil libyen de transition (CNT) et promis de retourner en Libye où, selon lui, «70% des Libyens ne sont pas satisfaits de la situation actuelle». «Je retournerai en Libye à n'importe quel moment. Il y a une rébellion qui s'étend jour après jour et il y aura une rébellion dans tout le pays», a menacé le fils de l'ancien leader libyen, non sans avoir qualifié les responsables du CNT de véritables «gangsters». Il n'en fallait sans doute pas davantage pour mettre hors d'elles les autorités libyennes qui ont réclamé son extradition sur-le-champ. Alors que tout le monde s'attendait à ce que Niamey s'exécute et se plie aux quatre volontés de Tripoli, le gouvernement nigérien a opposé, au contraire, une fin de non-recevoir à la demande du CNT. Mis dans la gêne par la sortie aussi inattendue que provocatrice de Saâdi El Gueddafi, le ministre nigérien des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum, a tout de même appelé son homologue libyen, Achour Ben Khayal, pour exprimer ses «regrets et excuses au gouvernement et au peuple libyen». Les autorités libyennes accusent, rappelle-t-on, Saâdi El Gueddafi «de s'être emparé de biens par la force et d'intimidation quand il dirigeait la Fédération libyenne de football». Interpol a également émis une «notice rouge» pour demander à ses 188 pays membres son arrestation. «La justice n'est pas indépendante en Libye» Au-delà, le Niger a clairement refusé, hier, d'extrader Saâdi El Gueddafi bien qu'il ait «violé» ses conditions d'asile par une déclaration «subversive». «Notre position reste la même et elle est simple : nous remettrons Saâdi El Gueddafi à un gouvernement qui a une justice indépendante et impartiale, c'est clair. Comprenez que nous ne pouvons pas livrer quelqu'un là où il risque de connaître la mort et là où il n'est pas susceptible d'avoir un procès digne», a déclaré le porte-parole Marou Amadou devant la presse, à Niamey. En disant cela, M. Amadou a certainement en mémoire le rapport accablant de la Haut-commissaire pour les droits de l'homme (HCDH), Navi Pillay, qui s'est montrée, en janvier dernier, «très inquiète des conditions de détention des personnes détenues par les thowar». Des conditions que Médecins sans frontières (MSF) a qualifiées carrément de «situation de non-droit». En guise d'alternative, Mohamed Bazoum a fait savoir que le Niger est prêt à remettre le fils d'El Gueddafi à la Cour pénale internationale (CPI). «A plusieurs reprises, nous avions autorisé la Cour pénale internationale qui a voulu se saisir de ce dossier, elle n'est jamais hélas arrivée», a-t-il déploré, tout en assurant que le gouvernement du Niger est loin d'avoir cautionné ou suscité cette affaire. Selon lui, Saâdi El Gueddafi et la trentaine d'autres proches du défunt «guide» libyen réfugiés au Niger «doivent s'abstenir de tout agissement, de tout comportement subversif». Mais bien que Niamey ait assuré de sa disponibilité à coopérer avec la CPI, il est peut probable que «l'affaire Saâdi» en reste là. Visiblement revancharde, la direction du CNT a adressé des menaces à peine voilées au Niger, dans lesquelles elle sous-entend que les relations nigéro-libyennes pourraient pâtir du refus d'extrader Saâdi El Gueddafi. Il faut dire que Tripoli dispose de quelques cartes pour faire pression sur les autorités nigériennes. La plus importante paraît être celle de la main-d'œuvre, surtout lorsqu'on sait que plusieurs milliers de Nigériens travaillent en Libye. «Le CNT demande au gouvernement du Niger de remettre immédiatement Saâdi et les autres fugitifs aux autorités libyennes en vue de maintenir ses relations avec le peuple libyen», a indiqué le nouveau porte-parole du Conseil, Mohamed Nasr Al Harizi, dans un communiqué. Mais pour le moment, toutes ces menaces ne semblent pas avoir été suffisantes pour inquiéter le Niger.