Mardi soir, malgré la fraîcheur de l'hiver saharien, la population d'Abalessa, à 80 km de Tamanrasset, est sortie nombreuse au premier concert du troisième Festival international des arts de l'Ahaggar qui se tient jusqu'au 19 février. Tamanrasset De notre envoyé spécial Les scènes de la plus importante manifestation culturelle du Sud sont plantées à Tamanrasset, Abalessa et In Salah. Femmes, enfants, jeunes et personnes âgées se sont regroupés autour d'une scène répondant aux normes minimales de son et de lumière pour assister à des spectacles rares dans ces contrées où le désert culturel n'est pas une expression de trop ! La danse targuie Jakmi, qui est née à Abalessa, a lancé le programme de la soirée. Sans instruments, cette danse permet à l'homme targui d'exhiber sa fierté masculine devant des femmes qui chantent en chœur. La découverte de la soirée fut sans conteste le groupe Zinguedah de Ouargla. Mené par Tahar Idder, ce groupe passe du reggea, au swing à la tradition musicale des oasis et du Souf. Zinguedah n'hésite pas à interpréter des ballades aussi. «Faire de la musique, pour nous, signifie la défense d'une cause», a confié Tahar Idder, après le concert. Djamila, qui marche sur la trace de Aïcha Lebgaâ, et le groupe Itrane de Tamanrasset, ont donné une autre allure à la soirée. Avec des chansons rythmées, marquées par les couleurs targuies, Djamila a obligé les présents à danser pour oublier le froid nocturne. Le wali suscite la polémique Dans l'après-midi de mardi, le festival a été lancé par une cérémonie officielle à la salle Dassine de la maison de la culture de Tamanrasset. Farid Ighilahriz, commissaire du festival, a rappelé l'objectif de sauvegarde du patrimoine culturel de cette manifestation. Il a évoqué aussi la nécessité de constituer une banque de données de ce patrimoine matériel et immatériel, d'identifier les personnes détentrices et dépositaires des richesses culturelles du Sahara et d'assurer la transmission aux jeunes. «Le festival doit s'intégrer à la société locale pour devenir populaire. A chaque fois, je constate que seule une minorité suit ses activités. Les gens d'ici et les associations locales doivent prendre en charge ce festival avec l'aide des spécialistes», a déclaré, pour sa part, Saïd Meziane, wali de Tamanrasset. Il faut, selon lui, sortir de la culture folklorique et rompre avec l'image préétablie du targui. «La profondeur culturelle de la région doit être mise en valeur d'une manière continuelle, pas seulement le temps d'un festival. Celui-ci doit poursuivre son activité à longueur d'année pour raviver la création et la production culturelles. La culture doit être au cœur du développement», a-t-il dit. Rachida Zadem, conseiller au ministère de la Culture, a répliqué en disant que le festival de l'Ahaggar n'existe que depuis trois ans et qu'il n'est pas à côté de la société. «Il est dedans. Il a le mérite d'exister. S'il a été institué, c'est qu'il y a une réalité sociale et une demande de la société. Le festival a été lancé pour être au cœur de la société. Il faut tout faire pour qu'il devienne institution et l'améliorer davantage. Cela est programmé», a-t-elle dit. Irrité par une question sur le projet du Théâtre régional de Tamanrasset, Saïd Meziane a précisé que l'opération est inscrite et qu'un concours d'architecture a été fait à cette fin. «L'opération sera lancée dès que l'étude d'exécution sera terminée», a-t-il annoncé. Hier, dans la matinée, le thème «Le patrimoine et les médias» a fait l'objet d'un débat à la Maison de la culture de Tamanrasset, animé par les universitaires, Rachid Belil et Karima Boutaba, ainsi que Mourad Betrouni, directeur du patrimoine au ministère de la Culture. Rachid Belil est revenu sur la découverte du Sahara par les militaires et les aventuriers Occidentaux et a expliqué la notion nordique du «Nous et les autres». Une théorie d'après laquelle la civilisation, symbolisée par le «Nous», est d'abord occidentale (des hommes politiques européens reprennent toujours cette idée complètement fausse aujourd'hui). Restant dans le chapitre historique, Rachid Bellil a parlé de l'existence de clivages entre nomades et sédentaires, entre Touareg berbérophones et arabes, entre Touareg du nord et ceux du sud, Touareg blancs et Touareg noirs. L'armée coloniale française, divisée entre Nord (Algérie) et Sud (Afrique de l'Ouest), a, selon lui, beaucoup contribué à l'émergence de ces clivages. Cela dit, l'administration coloniale a tenté de réduire de l'étendue des conflits mais pour défendre ses intérêts. «A ma connaissance, il n'y a pas d'écrits ou de reportages journalistiques marquants sur cette région à cette époque. Mais, il faut approfondir la recherche», a-t-il dit. Karima Boutaba de l'université d'Alger a cru déceler de «la propagande» dans le discours médiatique sur le Sud. D'après elle, la presse ne s'intéresse qu'aux aspects touristiques du Sahara. Mourad Betrouni a, pour sa part, plaidé pour la maîtrise des concepts liés au patrimoine culturel et s'est interrogé sur l'objectivité d'une échelle de valeur de 50 ans d'indépendance du pays pour évaluer le bilan du patrimoine national culturel. Kamel Sadou, qui a modéré les débats, a appelé à sortir de l'imaginaire patrimonial romain qui domine encore en Algérie. «Le produit patrimonial est à manipuler avec beaucoup d'attention», a-t-il souligné. A la fin des débats, un documentaire de Belkacem Hadjadj sur la Sbiba, la célèbre fête de Djanet, a été projeté.