Dans les quartiers populaires, à l'instar de Bab El Oued, Bachedjarah, El Harrach, le travail des enfants prend des proportions inquiétantes. En dépit des signaux d'alarme lancés par des associations de protection de l'enfance, la situation, bien que délicate, ne semble pas être prise au sérieux par les pouvoirs publics. Certaines déclarations de responsables du Centre d'information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (CIDEF) reconnaissent qu'il leur reste beaucoup de chemin à faire avant que les enfants ne soient réellement épargnés de tout mauvais traitement. C'est ce qui a peut-être incité les mêmes représentants à mettre la bibliothèque du centre à la disposition de psychologues, de sociologues et autres chercheurs. Celle-ci, doit-on le mentionner, contient une documentation riche, embrassant des domaines liés aux droits de l'enfant, du mariage, du divorce et des modalités liées au monde du travail. Certes, cet apport est constitué grâce à l'aide précieuse de la ville de Barcelone, du secours catholique, de l'ambassade des Etats-Unis et de l'Unesco, mais la réalité demeure imperméable. « A ma connaissance, aucun secteur ne dispose d'éléments fiables pour appréhender ce fléau. La réalité est compliquée. Aucune enquête n'a été effectuée dans ce sens, car les enfants n'ont pas l'âge du recrutement », a affirmé un chercheur. Toutefois, cette pénible situation n'a pour le moment pas enregistré une amélioration. Elle empire de plus en plus. Consulté à ce propos, le même chercheur a estimé que ce fléau est la résultante de plusieurs facteurs. « Des pères de famille ont perdu leur emploi après l'application des réformes structurelles. Faute de ressources financières, des familles ont adopté alors une stratégie de survie qui consiste entre autres à inciter leurs enfants à louer leurs bras contre rémunération », a-t-il expliqué. De tels propos sont vérifiés. En parcourant la commune de Bachedjarah, des jeunes, à peine âgés de 12 ans, sillonnent les rues en quête d'objets recyclables. La charrette bien remplie de produit d'emballage en plastique, de temps à autre, il s'arrête pour reprendre son souffle : « Je suis collégien. En dehors des heures de classe, je récupère le plastique et le revends à 15 DA/kg. Avec l'argent gagné, je participe aux dépenses familiales », a dit l'un d'eux. Un autre jeune, par contre, a affirmé qu'il est exclu de l'école. Pour se racheter, il s'occupe à récupérer le cuivre. « Le ferrailleur nous refile 100 DA pour 1 kg de cuivre jaune, 70 DA pour le cuivre rouge, 50 DA pour l'aluminium et 3 DA pour 1 kg de fer », a-t-il précisé. Aux alentours du marché communal de Bachedjarah, le constat est effarant. Beaucoup d'enfants s'occupent à écouler leurs victuailles. « Qu'il pleuve ou qu'il vente, ces enfants sont là à répéter les mêmes gestes tout en guettant d'éventuels clients, alors que les autres enfants de leur âge sont en classe ou dans les lieux de loisirs et de culture », a observé un éducateur exerçant à Bab El Oued. Celui-ci a affirmé que bien des élèves relevant de son établissement somnolent durant les premières heures de classe. « Au début, on a cru que c'était l'effet de la drogue, mais il s'est avéré que la précarité qui affecte leur famille, les contraints à travailler la nuit, comme boulanger ou comme doubleur dans un kiosque multiservices », a-t-il relaté. A se fier aux observations du même universitaire, certains pères de famille fuient leurs responsabilités et acculent leur progéniture à accomplir une occupation lucrative, peu importe qu'ils perdent leur autorité et leur emprise sur la cellule familiale. Ce qui les intéresse, c'est l'argent. Pour preuve, notre interlocuteur évoque le désarroi de cet enfant âgé de14 ans et exerçant une activité commerciale informelle à El Maqaria. Exacerbé par le diktat de son père, qui lui réclamait, chaque jour, la recette pour subvenir aux besoins de son second foyer, il s'est enfui de chez lui. D'autres pères, atteste le chercheur, acceptent de sacrifier leur temps libre et assure un job en plus pour préserver leurs enfants de toute exploitation. Au demeurant, les actes de violence qui persistent dans presque tous les quartiers de la capitale peuvent avoir une part d'explication dans ces types de travaux imposés précocement aux enfants. « La société leur a volé leur enfance. Exténués à la fleur de l'âge, ces enfants réagissent souvent avec véhémence. La frustration attisée parfois par le luxe exhibé par des jeunes aisés ne fait qu'intensifier et perpétuer la violence », a-t-il conclu..