L'exclusion des femmes des instances dirigeantes de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), lors de leur congrès le week-end dernier, a fait réagir plus d'une moudjahida, dont Zoulikha Bekaddour. Ancienne moudjahida et conservateur en chef de l'historique bibliothèque de l'université d'Alger, elle dénonce le mutisme d'Alger et de Paris sur les vérités de la guerre de Libération. -Que pensez-vous de l'exclusion de la femme des structures de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM) ? L'exclusion de la femme des structures de l'Etat ne date pas d'aujourd'hui. La femme a participé comme citoyenne à part entière à la guerre d'Algérie, elle n'était pas que la poseuse de bombes. Elle a été secrétaire, agent de liaison, infirmière… Des milliers d'infirmières compétentes et formées sur le tas sont mortes dans les décombres des hôpitaux de fortune. Mais elles n'ont jamais été recensées. Personnellement, j'ai déjà dénoncé depuis des années cette marginalisation par les combattants de la dernière heure. Les «marsiens», ceux qui se sont manifestés après le 19 mars, ce sont eux qui ont fait la guerre, selon l'histoire officielle. Il y a quelques jours, j'ai entendu Malia Behidj, directrice des programmes à la Chaîne III, dire : «J'en veux aux moudjahidate, car à l'indépendance, elles sont toutes retournées à leurs fourneaux.» Combien de moudjahidate instruites a connu l'Algérie ? La première Constituante ne comptait que 15 femmes. Quant à la deuxième, elle les a tout simplement exclues. -Pensez-vous que cette exclusion est volontaire ? Oui. Elle date du maquis. Par exemple, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) ne comptait pas une seule femme, alors qu'il y avait des femmes instruites. Ceci est dû à la misogynie, à la mentalité des décideurs… Aujourd'hui, même si on accorde à certaines femmes des postes dits «importants», sachez qu'elles ne nous représentent pas. Pour les législatives de mai prochain, la majorité des femmes qui figurent sur les listes électorales n'ont pas le niveau requis pour représenter leurs concitoyens. On veut réduire le rôle de la femme, alors qu'elle a accompli des missions très importantes pendant la guerre de Libération. Les plus instruites, même si elles n'étaient pas moudjahidate, faisaient des causeries sociopolitiques dans les maisons familiales. Elles éveillaient les consciences de manière indirecte. -Quel bilan faites-vous, après 50 ans d'indépendance, sur la situation de l'Algérie ? Notre guerre n'a été ni blanche ni noire, mais elle était glorieuse. Je l'appelle guerre, car la révolution, qui veut dire tout refaire, n'a pas encore été faite en Algérie. Le système est toujours le même. J'ai déjà interpellé des personnalités algériennes pour leur demander ce qu'elles avaient fait avec les pétrodollars. En 1962, à mon retour de Tunis, j'ai vu des choses qui m'ont déçue. Les vrais combattants, ce sont les martyrs et ceux que nous ne connaissons pas. Nous avons perdu les meilleurs ! Très rares sont les personnes en qui j'ai confiance actuellement. Mais lorsque je rencontre les jeunes d'aujourd'hui, à l'exemple de ceux qui ont milité pour la libération de Mohamed Gharbi, j'ai beaucoup d'espoir. Cette jeunesse que je peux catégoriser en trois groupes. Nous avons une partie qui se défoule dans les stades, une autre qui va écouter les prêches par désespoir. Et au milieu, une partie de jeunes qui sont conscients. Par ailleurs, je tiens à préciser qu'en 1962, lorsque j'ai vu le comportement de ceux qui étaient censés libérer le pays, j'étais effrayée par les guerres fratricides éclatées entre ceux qui couraient après le pouvoir. A ce moment-là, j'ai compris que l'Algérie a fait la guerre, mais pas la révolution. On peut dire qu'après la guerre, Mohamed a remplacé Pierre, c'est tout ! Nous avons réussi dans la mesure où l'Algérie n'est plus colonisée, mais les choses n'ont pas vraiment changé. De plus, la décennie noire a terrassé tout le monde. -Etes-vous pour la réhabilitation du 19 mars, comme le réclament certains moudjahidine ? Bien sûr. C'est très important. Aujourd'hui, on trouve le moyen de dire que le 5 Juillet est la fête de la jeunesse au lieu de l'appeler la fête de l'indépendance. Le 19 mai est devenu curieusement la journée de l'étudiant et non pas celle de la grève des étudiants de 1956. Boumediène a fait beaucoup de mal de ce point de vue. On a omis toute signification historique à ces dates. Tout cela pour minimiser l'importance de ces dates historiques. -Que pensez-vous de l'absence de célébrations officielles du cinquantenaire de l'indépendance, en Algérie ? On veut effacer l'histoire, la vraie. Ceux qui sont derrière cette occultation ne veulent pas qu'on en parle, car ils n'étaient pas là lors de la guerre. Ils sont arrivés facilement au pouvoir. Ils pensaient peut-être que tous les moudjahidine sont morts ou ne peuvent plus témoigner. Mais actuellement, les gens écrivent, les langues se délient. Pour ces raisons, le gouvernement algérien a peur de la vérité. Oui, on les dérange. Aujourd'hui que les décideurs ont le pouvoir entre les mains, ils ne vont pas le lâcher… L'Algérie a été libérée au prix de ses meilleurs enfants et l'actuel projet de société, fallacieux, n'est pas celui dont on rêvait en 1962. -Que pensez-vous de la loi criminalisant le colonialisme français ? Le mal a été fait. N'oublions pas que beaucoup de Français ont donné leur vie pour l'Algérie. On peut reprocher les crimes à la France, certes, mais il serait judicieux de se pencher sur des dossiers plus pressants comme l'ouverture des archives françaises. Celles-ci contiennent des vérités qui dérangent les deux parties, française et algérienne. A l'exemple de l'assassinat de Abane Ramdane qui leur faisait peur étant l'un des rares militants loyaux… Et pour détourner l'opinion publique, on impose des débats sur des sujets de moindre importance. -Pourquoi, à votre avis, continue-t-on à cacher la vérité ? Ceux qui le font sont concernés de près ou de loin par des épisodes peu glorieux de leur passé. Comme ces ministres qui se vantent être des moudjahidine… Il suffit de voir leur âge pour constater qu'ils n'ont pas connu le maquis ! -Que pensez-vous du débat imposé par la France sur les harkis ? La France a joué un sale jeu avec les harkis. Elle les a utilisés puis ghettoïsés. Actuellement, ce sont leurs enfants qui revendiquent la reconnaissance. Certains harkis sont des traîtres comme on les appelle en Algérie, certes, mais d'autres étaient également victimes de la Bleuite. Il fallait faire, dès le début, un recensement pour lever toute équivoque. En Algérie, certains harkis, des vrais, mènent une vie normale sans être inquiétés. Les faux magistrats dénoncés par Benyoucef Mellouk et le sort réservé à ce dernier constituent les meilleures preuves du déroutement de la question des harkis.