Le problème que posent aujourd'hui les faux moudjahidine a été abordé dès le lendemain de l'indépendance. Trois mois avant le 5 juillet 1962, la population a dénoncé, dans la rue, les «résistants» de la 25e heure, venus en hordes rejoindre la révolution. L'ensemble des infiltrés seront cependant infiniment plus innombrables deux décennies plus tard. Ayant très rapidement compris tout le profit qu'ils peuvent tirer de la qualité d'ancien combattant, des milliers d'individus : gardiens des prisons coloniales, employés de la justice, des administrations, des services de sécurité et même des milieux d'affaires vont assiéger durant des décennies les APC, les fameuses commissions de reconnaissance de la qualité de moudjahid, le ministère des Moudjahidine ainsi que toutes autres instances ou personnalités habilitées à délivrer (ou à faciliter la délivrance) de la clé magique. En effet, la carte de moudjahid est un sésame infaillible. Elle donne accès à des avantages moraux, matériels et politiques régaliens : statut paré de l'irremplaçable aura de libérateur, accession à des postes politiques supérieurs, pension d'ancien combattant, pension d'invalide, licence permettant l'ouverture d'un commerce, l'accès au crédit bancaire à des taux bonifiés, accès prioritaire aux études, à l'emploi, régimes de faveurs pour l'accès aux postes de responsabilité, importation de véhicules à des conditions avantageuses, priorité d'accès au logement (à au moins une villa pour les plus puissants), régime de retraite particulier, etc. Ces avantages ne sont pas octroyés uniquement aux anciens membres de l'Armée populaire nationale (ALN) et de l'Organisation civile du Front de libération nationale (OCFLN), mais également aux veuves, enfants et ascendants directs des chouhada (martyrs). La course effrénée à l'acquisition de la qualité de moudjahid, les dérives aussi nombreuses que coûteuses n'ont pas pour autant, officiellement suscité des réactions pratiques, et ce, jusqu'en 1975 lorsque, sur ordre du président Boumediène, le Conseil supérieur de la magistrature a inscrit parmi ses programmes l'assainissement de l'appareil judiciaire algérien. Les mesures pratiques, faut-il le préciser, n'ont été mises en œuvre par le ministère de la Justice que lorsque les faussaires abandonnèrent y compris les règles de prudence les plus élémentaires pour obtenir coûte que coûte la fameuse attestation. L'assainissement s'entend ici par des mesures dont des sanctions allant jusqu'à l'exclusion, à prendre à l'encontre de magistrats, des personnels de greffe, du service des exécutions et des études notariales en poste qui ne remplissaient pas les critères réglementaires nécessaires de recrutement, mais qui se sont quand même retrouvés dans différentes hiérarchies de la justice. Le 11 mars 1975, Boualem Benhamouda, le ministre de la Justice, convoquait le Conseil de la magistrature pour «connaître des dossiers disciplinaires de 8 magistrats dont le comportement a été jugé incompatible avec leurs fonctions». Il était précisé : «…quatre mesures de déplacement d'office ont été arrêtées ainsi que quatre mesures de révocation». Ces révocations étaient assorties de poursuites pénales réclamées par la chancellerie à l'encontre de deux magistrats. Les griefs sont clairement exposés : «…la justice algérienne ne pouvait pas indéfiniment compter parmi ses cadres des magistrats qui, durant la guerre de libération ont eu un comportement et une attitude contraires aux principes et aux objectifs de la révolution.» L'APS rappelait qu'une quinzaine de sanctions (suspensions, mises à la retraite et exclusions) dont neuf révocations avaient déjà précédé celles qui ont été prononcées le 11 mars 1975. La suite sera prise en charge par Benyoucef Mellouk.