Le mufti de Marseille, Soheib Bencheikh, bien connu des milieux politico-religieux pour ses positions courageuses et avant-gardistes sur la laïcité en terre d'islam prônant la séparation du politique du religieux, a troqué, le temps de la campagne électorale pour les législatives, son minbar pour s'investir dans le combat politique. Candidat sous les couleurs du Front Al Moustakbal, ce théologien – qui n'a pas été un contemplateur placide et complice durant la décennie noire qu'a vécue notre pays, dénonçant sur les plateaux de télévision l'intégrisme islamiste et le terrorisme en se basant sur une lecture éclairée du Coran faisant appel à l'ijtihad – a décidé de se mettre autrement au service de son pays. Il se revendique comme un authentique serviteur à la fois de Dieu et des hommes. Ce qui le différencie précisément des obscurantistes de tout poil qui, dans leur aveuglement, ignorent le véritable message de l'islam qui prêche l'amour de Dieu mais aussi de son prochain, des hommes. C'est ce message d'une religion qui rassemble et ne divise pas, qui prône la coexistence pacifique entre les citoyens et les communautés, le partage, le pardon, la tolérance que Soheib Bencheikh ne cesse de porter et de répandre. Contrairement à d'autres prédicateurs qui ont fait des mosquées des tribunes politiques au profit d'une idéologie moyenâgeuse qui a précipité le pays dans le chaos que l'on sait et dont il ne s'est pas encore remis jusqu'à aujourd'hui, il a, pour sa part, le mérite de ne pas mêler politique et religion, d'exercer ses droits civiques et politiques dans des espaces légaux et conventionnels réservés à cet effet, laissant la mosquée aux fidèles et à la prière. Sa présence dans ces joutes électorales a une portée politique et symbolique profonde que l'on ne semble pas apprécier à sa juste mesure. Ce n'est ni une candidature anodine ni une candidature comme les autres. Connaissant son parcours intellectuel et cultuel, la logique aurait voulu qu'il se portât candidat sous l'étendard du courant islamiste incarné dans ce scrutin par l'Alliance verte (MSP, Al Islah et Ennahda). Il a fait un autre choix, plus conforme à ses convictions, à sa compréhension et sa vision de l'islam. Son aura aurait pu lui ouvrir toutes grandes les portes de partis qui ont un plus grand ancrage dans le paysage politique et qui se seraient certainement fait un plaisir de l'encarter. C'est une manière à lui de renvoyer dos à dos et les islamistes et les partis traditionnels, trop marqués à son goût par leur proximité avec le pouvoir. Et corrélativement, c'est une manière aussi de se démarquer de ce même pouvoir. Sans préjuger de ses chances de siéger au Parlement, il apparaît clairement que des voix comme celle de Bencheikh sont souhaitables et souhaitées, pour ne pas dire qu'elles s'imposent dans le nouveau paysage politique et institutionnel, pour apporter à notre arsenal législatif cette vision progressiste de l'islam de nature à éviter que le Parlement ne soit otage de querelles de clocher. Surtout dans cette conjoncture particulière propice à tous les paris, dont celui de la vague verte que les représentants de ce courant promettent pour l'Algérie dans le sillage des «révolutions arabes».