A Illilten, depuis plus d'une semaine, une seule question revient : quand est-ce que le dangereux éboulement, causé par un glissement de terrain, arrêtera de menacer la vie et les biens des habitants ? Reportage dans un village où les appels au vote se noient dans la boue. Ici, on ne parle que de la «catastrophe». On surveille et on scrute le premier véhicule qui passe devant l'APC, espérant apprendre une bonne nouvelle, ou à défaut, une explication. A 70 km au sud-est de Tizi Ouzou, la nature semble décidée à gâcher le printemps de la paisible commune d'Illilten, dépendant administrativement de la daïra d'Iferhounene. La commune, enlaidie, semble à l'abandon, avec ses rues défoncées et ses routes partiellement dégagées. La vie s'est comme figée, dans l'attente que la dévastatrice coulée de boue qui déferle depuis dix jours s'arrête. Provenant du mont Azrou n'Thor, des tonnes de boue emportant roches, arbres, terres agricoles, sources et souvenirs, à plus de 1800 m d'altitude, menacent d'endommager les habitations. A Aït Aïssa Ouyahia, Aït Addellah, Azrou, Taghzout, Tifilkout et à El Had, chef-lieu de commune, l'angoisse est à son maximum. Les habitants d'Illilten ne savent plus comment faire face à cet acharnement de la nature sans précédent. Le plus difficile ? Ne pas connaître la cause ni la durée de ce mouvement naturel qui a déjà enseveli un abattoir communal, vingt sources, plusieurs jardins familiaux et grignoté les murs de quelques maisons. «En dépit des efforts fournis par le président de l'APC pour nous rassurer et calmer les esprits, aucune explication, aucune aide n'a été fournie par les autorités, notamment pour les familles ayant quitté leurs habitations. Les responsables ont d'autres priorités, les législatives. Voilà une raison pour laquelle je ne vais pas voter. Dans les moments les plus pénibles, les citoyens ne peuvent compter que sur leur traditionnelle solidarité», fulmine Mokrane, 42 ans. Solidarité Comme d'habitude, la solidarité ne fait pas défaut dans cette région. Les 70 familles ayant déserté leurs habitations trouvent refuge chez les cousins ou les voisins. «Je passe mes journées chez moi où je prépare à manger et lave le linge, mais une fois la nuit tombée, nous regagnons, mes enfants, mon mari et moi-même, la demeure de mon frère à Ihadaden. Nous avons peur de passer la nuit à la maison. Les bruits assourdissants des explosions souterraines et des craquements des arbres retentissent encore dans notre tête», témoigne Fatma, mère de famille dont la maison située au bord d'une rivière est dangereusement frôlée par les crues. Samir, quadragénaire établi en France, a pris le premier avion pour l'Algérie pour soutenir sa famille, après «avoir vu les images horribles de la déformation de sa commune natale». «Nous ne sommes pas rassurés, car nous n'avons pas d'élément pour évaluer la gravité de la situation, contrairement aux autorités qui ont les moyens de sonder le fond du problème. J'ai remarqué également l'absence du périmètre de sécurité autour des sites à risque, ce qui renseigne sur la légèreté avec laquelle la situation est gérée. D'ailleurs, notre commune, par son malheur, est devenue une ‘‘attraction touristique'' qui attire les curieux n'hésitant pas à faire des dizaines de kilomètres pour assister au ‘‘spectacle''», ironise-t-il avant de rappeler : «Le wali, lors de sa visite éclair, a promis de remédier à la situation. Espérons que ce ne sont pas des promesses en l'air», s'exclame Samir. Détachement Le président de l'APC d'Illilten, Ouramdane Azzoug, dépassé par les événements, tente tant bien que mal de contrôler la situation. «Pour le moment, nous avons pris des mesures préventives afin d'atténuer les dégâts, permettre aux écoliers de reprendre les cours et fluidifier la circulation. Nous avons emprunté des engins mécaniques chez des entrepreneurs privés et des communes voisines pour nettoyer la rivière, et construit des digues. Des éléments de la Protection civile, de la garde communale ainsi que des ouvriers de l'APC assurent une surveillance matin et soir du mouvement de l'éboulement», indique-t-il. Quant à l'impact qu'aura ce phénomène naturel sur le déroulement des élections, le P/APC n'accrédite pas la thèse du rendez-vous important. «Il y aura probablement un impact négatif sur le taux de participation à Illilten, car les citoyens se soucient plus du danger qui les menace qu'autre chose. Les gens ne dorment plus ici. Des bénévoles assurent la garde pour prévenir les habitants en cas de débordement violent de la boue», avance le P/APC. Se sentant mis sur la touche, les villageois déplorent la faible mobilisation des autorités, «sous-estimant le danger qui guette la commune». «Depuis le début du drame, nous n'avons vu ni candidats aux élections ni élus, hormis quelques-uns qui se sont présentés les deux premiers jours sans faire de commentaire. Les partis politiques ont peur de s'adresser à la population qui sait d'ores et déjà que les élections, c'est du bidon ! D'ailleurs, plusieurs meetings ont dû être annulés, faute de ‘‘clients''», précise un trentenaire. Mohand, ancien instituteur, abonde dans le même sens : «C'est impossible de voter pour des gens qui n'ont aucune formation politique, même s'ils sont médecins, avocats, etc. Ce qui les fait courir réellement, ce sont les salaires mirobolants qui les attendent à l'APN !», regrette-t-il avant de faire sa propre analyse quant au rendez-vous électoral : «Les gens, en particulier les jeunes, sont déçus et méfiants. Je m'attends à un taux de participation à Illilten de moins de 5%, et de pas plus de 17% dans toute la wilaya de Tizi Ouzou. Le FFS majoritaire, le FLN et le RND suivront pour céder quelques petites voix au MPA de Amara Benyounès», estime Mohand. Quant à Chaâbane, père de dix enfants logés chez ses frères, il n'a pas encore tranché sur sa participation : «Jeudi matin, j'irai peut-être voter, mais il est fort possible que je change d'avis sur place. D'ailleurs, je ne sais même pas à qui donner ma voix !», déclare Chaâbane sans grande conviction.