Rebondissement ou nouvel acte dans la crise politique au Liban, où le consensus se fait cette fois contre le chef de l'Etat en personne sommé de renoncer à ses fonctions, avec à la clé un ultimatum qui vient à expiration le 14 mars. Réplique de ce dernier qui refuse de quitter ses fonctions et s'en prend aux « souverainistes » qu'il traite de tous les noms, dont celui d'agent de l'étranger (voir ci-contre). Pourquoi cette date ? Elle correspond à ce fameux raz-de-marée populaire qui s'est exprimé il y a près d'une année, en faveur du changement. Ce printemps libanais a eu lieu un mois exactement après l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, le 14 février 2005 à Beyrouth. Depuis, l'armée syrienne elle-même, soumise à des pressions internationales, s'est retirée de ce pays, et des élections législatives ont eu lieu, forgeant une nouvelle majorité qui ne se prive pas d'afficher son hostilité envers le chef de l'Etat et la Syrie. Même le patriarche maronite, qui joue un rôle politique de premier plan au sein de la communauté chrétienne, a donné son aval tacite à un changement légal et en douceur à la tête de l'Etat, insistant sur la nécessité d'un accord sur la succession du président Lahoud. La majorité parlementaire libanaise a obtenu le soutien de la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice. Lors d'une visite éclair, jeudi dernier à Beyrouth, la secrétaire d'Etat américaine s'est abstenue de rencontrer M. Lahoud, qu'elle avait rencontré lors de son précédent séjour dans la capitale libanaise, en juillet. Selon les entourages des chefs de file de la majorité parlementaire, Saâd Hariri et Walid Joumblatt, qu'elle a rencontrés, Mme Rice aurait donné son aval à la désignation d'un nouveau chef d'Etat. La presse de Beyrouth s'est fait l'écho de l'appui américain à l'offensive contre M. Lahoud. « Rice a donné des instructions à la poursuite de l'opération de destitution de Lahoud, - sans l'effusion d'une seule goutte de sang », écrit le quotidien As Safir. « Aval de Washington à la campagne anti-Lahoud, la majorité brûle les étapes avec le palais présidentiel à Baâbda », titre le journal L'Orient Le Jour. Dopés par l'appui américain, les ministres de la nouvelle majorité ont refusé de siéger au Conseil des ministres qui devait avoir lieu au palais présidentiel de Baâbda, près de Beyrouth. L'un d'eux, Marwan Hamadé, a affirmé qu'« il n'y aura plus de séance à Baâbda, Lahoud doit partir », provoquant une crise politique. Le président « n'a pas renoncé et ne renoncera pas à sa foi en un Liban uni pour lequel il a prêté serment, et il tient à aller jusqu'au dernier jour de son mandat constitutionnel » qui prendra fin en novembre 2007, avait réaffirmé la présidence. Toutefois, la démission du président doit être obtenue par un vote des deux tiers des députés, soit 85 sur 128, à travers l'adoption d'un texte qui réduise son mandat. Selon des juristes, le seul moyen d'obtenir son départ est le vote d'une motion au Parlement annulant le vote parlementaire du 3 septembre 2004 qui avait prorogé son mandat de trois ans sous la pression de la Syrie. Pour ce faire, la majorité devrait obtenir le soutien soit du bloc parlementaire dirigé par le chef chrétien, Michel Aoun, (21 députés), soit de la trentaine de députés des partis chiites Hezbollah et Amal. Or, le Hezbollah estime que M. Lahoud a constamment soutenu la lutte armée contre Israël, et M. Aoun exige au préalable des élections anticipées. Trop de calculs et de considération pour une action qui se veut aussi spectaculaire. Bataille de juristes également, et la majorité entend la mener et surtout ne pas la perdre. Dans ce contexte, la majorité se dit prête à un débat parlementaire avec le Hezbollah sur les points de litige, notamment son désarmement, mais lui demande en contrepartie le soutien des députés chiites au départ du président Lahoud, a indiqué un député de la majorité qui a requis l'anonymat. Le député Ghassan Tuéni, propriétaire du quotidien à grand tirage An Nahar, père du journaliste assassiné Gebrane Tuéni, a, pour sa part, expliqué qu'il allait « proposer au Parlement un mécanisme pour obtenir la démission » du chef de l'Etat. Le président libanais a fait savoir très rapidement à ses détracteurs qu'il resterait à la tête de l'Etat, et a accusé ceux-ci de « pâtir de confusions et de contradictions ». Citant un responsable de la présidence, le journal An Nahar écrivait que le président français Jacques Chirac est impliqué aux côtés des forces qui veulent démettre le président Emile Lahoud. « Chirac supervise personnellement un plan d'urgence pour faire chuter Lahoud », y est-il écrit. Faux, déclaré-t-on à Paris. « La France ne s'ingère pas dans les affaires intérieures libanaises. Son action vise au contraire à faire cesser les ingérences étrangères dans ce pays et à permettre aux Libanais de recouvrer leur pleine souveraineté et leur indépendance, conformément à la résolution 1559 du Conseil de sécurité », a déclaré le Quai d'Orsay. C'est exactement ce que disent les opposants au président Lahoud qui déclarent agir pour le recouvrement de l'indépendance et de la souveraineté du Liban.