Les marins pêcheurs de la « Squala » d'Arzew ont manifesté, hier, « leur raz le bol pour dénoncer les conditions de travail qu'ils subissent depuis des lustres. » En effet, en l'absence d'un interlocuteur capable de prendre en charge leurs doléances, ils se sont dirigés vers le siège de l'union locale UGTA d'Arzew pour « constituer une section syndicale susceptible de prendre en charge leurs préoccupations et défendre leurs intérêts. » Hadj Mustapha, secrétaire général de l'union locale UGTA d'Arzew nous confiera : « En l'absence d'une structure représentative des marins pêcheurs, il est difficile de les défendre. » Ceci dit, en début d'après-midi d'hier, le SG de l'union locale s'est déplacé à la pêcherie pour amorcer un dialogue avec les armateurs mais, nous confiera-t-il, « une assemblée générale des marins pêcheurs aura lieu aujourd'hui à la pêcherie pour dégager, et pour la première fois dans l'histoire de la pêcherie d'Arzew, des représentants syndicaux. » Un monde à part La Squala, pour les non initiés, constitue un univers impénétrable, incompréhensible, régi par des règles tacites, on y véhicule un code de conduite, un mode de communication propre au lieu et à l'activité. Cette activité génère des emplois considérables à tous les niveaux de la chaîne. En dehors des marins titulaires d'un fascicule, qui sont recensés et inscrits au moment de l'embarquement, toutes les autres activités, qui sont en relation directe ou indirecte, ne sont ni recensées, ni officiellement inscrites. On y trouve des activités complémentaires à celles de la pêche. Du petit bambin de quinze ans qui fait ses premières expériences dans l'école de la vie, au vieux de 60 ans qui continue avec acharnement, tous les jours, à défier la mer, pour gagner son poisson quotidien. Il est de notoriété publique que le milieu des marins pêcheurs est un milieu hermétique et l'exclusion est fatale. Un marin pêcheur ayant requit l'anonymat nous dit : « J'ai 45 ans et je suis père de quatre enfants, marin pêcheur depuis plus de vingt ans, actuellement je suis au chômage. Le monde de la pêche est un milieu sans aucune pitié. Mes connaissances de la pêche et de la navigation sont incontestables. Pour la simple raison que moi, je revendique mes droits, ceux relatifs, entre autres, à l'assurance, aux allocations familiales,... » L'omerta ou la loi du silence Dans le monde de la pêche, aucun marin n'est sûr que, le lendemain matin, il retrouvera sa place. Son emploi est tributaire du bon vouloir de l'armateur (le propriétaire du bateau) et du « Rais », le gérant de l'embarcation. Il suffit de déposer le fascicule de l'intéressé au niveau du bureau de la marine, de signifier son débarquement et les portes de la galère sont grandes ouvertes. Aucune sécurité de l'emploi. Au moment du débarquement, le matelot ne reçoit aucune indemnité, aucun dédommagement ; pire, les jours passés au chômage ne sont pas pris en compte pour le calcul des indemnités de retraite et encore moins pour les remboursements de l'assurance maladie. Pour prétendre aux allocations familiales, il faut avoir travaillé au mois 18 jours au cours du mois, ce qui explique la précarité de la vie des marins. S'il est évident que chaque secteur d'activité a ses propres règles de commercialité et de partage des revenus, celui de la pêche se distingue par l'étrangeté, la spécificité de son mode de partage et surtout, par la loi du silence qui l'entoure. Elle rappelle étrangement celle de l'omerta. Nul ne peut remettre en cause les lois du partage, sous peine d'exclusion. En effet, aucune règle de contrôle, ni sur le tonnage des prises de chaque navire, ni des revenus de celui-ci, même les revenus annuels sont taxés forfaitairement. Donc, au milieu de ce contexte, le partage se fait sur place. C'est d'ailleurs, en partie, ce que les marins pêcheurs dénoncent. Avant toute répartition, le mandataire, qui est en même temps propriétaire des cageots de poisson, est chargé de vendre les prises de chaque embarcation. Une fois la vente effectuée, il encaisse 15% des recettes. Sur les 85% restant, l'armateur encaisse 45% en plus de 10% pour les charges du bateau. Le reste, soit 40%, est partagé entre les marins. Cependant, le « Rais » prend cinq fois la part d'un marin. Au milieu d'une telle répartition, qui se fait sur les quais, faites le compte ! Un jeune matelot sur un chalutier, les cheveux fripés, les yeux hagards, exprimant nettement la fatigue, nous dit à quel point il déteste cette bêtise qui la rendu marin pêcheur, un homme qu'on a le droit de tirer du lit par tous les temps, pour un salaire qui ne peut même couvrir ses besoins les plus élémentaires. « Si c'était à recommencer ! Je ne m'aventurerais jamais là-haut, où se confondent le ciel et les vagues, à chaque bordée j'ai l'estomac noué, c'est un véritable supplice mais, je n'ai plus le choix, je n'ai pas de qualifications et, surtout, c'est tout ce que je sais faire ».