Considérée comme la violence la plus dévastatrice, la pédophilie gagne du terrain. Chaque année, le nombre de victimes augmente. En 2012, les services de sécurité ont enregistré 847 cas de mineurs victimes de pédophilie. Ils étaient 3988 recensés en 2011 et 2507 en 2010. La progression inquiétante est loin de représenter la réalité sur le terrain eu égard à la loi de l'omerta et aux pesanteurs de la société. Elle démontre, cependant, que nos enfants ne sont en sécurité ni dans la cellule familiale ni dans l'espace public. Un père accusé par ses trois filles mineures de violences sexuelles ; un imam dénoncé par le frère de sa femme, âgé de 6 ans, pour les sévices pervers qu'il lui faisait subir ; un professeur de musique confronté par son élève, une adolescente, qui souffre des actes qu'il lui faisait faire ; des élèves qui subissent les mains baladeuses de leurs entraîneurs… Ce sont là quelques exemples de ces milliers d'enfants victimes de pédophilie qui souffrent en silence. C'est le cas du petit Oussama qui a comparu, il y a une semaine, devant le tribunal criminel d'Alger. Dans la salle d'audience, sa mère, vêtue d'un djilbab, fait les cent pas. Elle semble très inquiète. L'histoire qu'elle nous raconte nous laisse sans voix. Agé de 6 ans, Oussama doit témoigner contre le mari de sa fille. «Je ne veux pas que mon fils soit entendu devant tout ce monde», nous dit-elle, avant que le policier ne lui fasse savoir que son affaire va passer à huis clos. Les faits remontent à deux ans. «Ma fille a emmené son frère chez elle. Elle habite à quelques encablures de la maison. Il a passé la nuit avec elle. Il y a eu une dispute avec son mari et, le lendemain, elle est venue chez moi. Je suis partie chercher mon fils qu'elle avait laissé derrière elle. Je ne sais même pas pourquoi ma fille et son mari se sont disputés», raconte-t-elle d'une voix nouée. «C'est en faisant prendre un bain à mon fils que ce dernier m'a raconté ce que mon gendre lui a fait faire. C'est très grave. Mon fils m'a raconté dans le détail la fellation qu'il a été obligé de faire. J'ai senti la terre trembler sous mes pieds. Je l'ai tout de suite emmené à la brigade de gendarmerie, qui l'a orienté vers un psychologue. J'ai déposé une plainte et, durant des mois, c'était le calvaire. L'auteur a nié les faits. Il a dit au juge que mon mari et moi regardons des films osés en présence de mon fils. C'est irréel. Aujourd'hui, l'affaire doit passer devant le tribunal criminel et je ne sais comment mon fils va réagir après avoir subi une thérapie de deux ans», témoigne cette mère dont le mari, un repenti, ignore totalement cette histoire. Nous ne savons pas quel a été le verdict. Le procès, comme tous ceux liés aux affaires de mœurs, s'est tenu à huis clos. Le cas de cet enfant n'est pas isolé. Le phénomène prend de l'ampleur. Les chiffres avancés par les services de sécurité sont ahurissants, que ce soit dans les villes ou à l'intérieur du pays. Ainsi, sur les 732 mineurs victimes de violences durant les quatre premiers mois de l'année en cours, 307 ont subi des violences sexuelles. Les filles sont plus confrotées au viol avec 39 cas, alors que les garçons sont plutôt sujets aux attentats à la pudeur avec 104 cas de garçons contre 63 filles. La police a enregistré, durant la même période, 627 enfants victimes de violences sexuelles. Ces chiffres ont connu une hausse significative entre 2010 et 2012. Ainsi, sur les 1753 affaires de mineurs traitées en 2010 par la gendarmerie, 933 concernent des cas de violence sexuelle. On relève que 457 enfants ont subi des actes qualifiés d'attentat à la pudeur, dont 300 garçons. Les homicides volontaires et involontaires concernent 262 enfants, alors que les viols ont touché 107 filles et l'inceste 7 enfants. Ces chiffres ont connu une hausse en 2011, puisque sur 2440 mineurs victimes de violences, 2260 ont été victimes de pédophilie. Parmi eux, 832 (dont 449 garçons) ont fait l'objet d'attentat à la pudeur, 132 filles ont été victimes de viol et 4 d'inceste. Une progression inquiétante, relevée également par le réseau Nada de défense des droits de l'enfant, à travers les plaintes qu'il reçoit quotidiennement par le biais du numéro vert (33 30) mis en place en 2008 pour dénoncer les violences contre les enfants. Le président de ce réseau, Abdelkader Araar, affirme qu'en 2012, 1150 plaintes ont été reçues, parmi elles 150 concernent les abus sexuels qui vont de l'attouchement jusqu'au viol. De juin 2010 à décembre 2011, le réseau, ajoute notre interlocuteur, a reçu 13 000 appels portant dénonciation de différentes formes de violences à l'égard d'enfants et ce, dans 15 wilayas. Sur les 700 cas que le réseau a pris en charge, 103 ont subi des agressions sexuelles. Pour M. Araar, «l'âge des victimes varie de 2 à 18 ans et la catégorie de plus en plus touchée est celle des moins de 8 ans. Les victimes d'abus sexuels sont issues de toutes les catégories sociales et il en est de même pour les pédophiles qui se comptent, dans une forte proportion, parmi les étrangers». Selon lui, la cellule familiale «devient de plus en plus un lieu de tous les dangers pour les enfants, alors qu'avant, c'est la rue qui avait cette réputation. Nous constatons, à travers les plaintes que nous recevons, que les victimes de violences sexuelles sont de plus en plus parmi les plus proches des enfants. Les filles sont les premières à se plaindre du comportement de leur père, frère, cousin ou autres membres de la famille. Cela va de l'attouchement jusqu'au viol. Les conséquences sont désastreuses. La fille fugue du domicile familial et se retrouve dans la rue, notamment lorsqu'elle est enceinte», explique notre interlocuteur. Selon lui, même s'ils viennent en troisième position après la maltraitance et les violences physiques, «les abus sexuels sont plus graves parce que leurs conséquences sur les victimes et la famille sont extrêmement dévastatrices», dit-il. Il plaide pour une législation contraignante qui «rend la dénonciation des violences à l'égard des enfants obligatoire. Il est très important que les parents, les enseignants, les voisins et les médecins, quand ils sont témoins de violences, puissent informer. Il y va d'abord de la santé de l'enfant, mais également de celle des autres qui seront à tout jamais menacés parce que le silence encourage les auteurs». En fait, cette tendance à la hausse de la pédophilie est encouragée par l'omerta toujours de mise lorsqu'il s'agit de protéger un membre de la famille auteur de l'agression. Souvent, souligne une psychologue de la brigade des mineurs de la Gendarmerie nationale, «les violences ne sont découvertes qu'après une fugue du domicile familial, une grossesse ou un infanticide». Pour les spécialistes, aucun enfant n'est à l'abri de ces pratiques perverses, que ce soit au sein de la cellule familiale, à l'école, dans la rue ou ailleurs. Lors d'une journée d'étude sur le sujet organisée, il y a une semaine, à l'université de Batna, par l'association Aurès-Santé et le service de pédiatrie du CHU de la ville, le docteur Farid Bouaziz, médecin légiste, a tiré la sonnette d'alarme en affirmant : «Une moyenne de 1000 cas de violences sur des enfants sont recensés au sein de son service, dont certains ont entraîné la mort. C'est un indicateur inquiétant de l'ampleur de ce fléau.» Un cri du cœur qui doit interpeller, à plus d'un titre, les autorités et le mouvement associatif sur l'urgence d'une prise en charge psychologique des victimes, sur la nécessité d'installer des mécanismes de dépistage et de dénonciation rapides de la pédophilie, mais également sur la mise en place d'un dispositif de prévention et de répression contre les pédophiles. Les violences sexuelles, faut-il le préciser, sont les plus dévastatrices par leurs conséquences sur les enfants.