Nadia est très inquiète. De retour de la préfecture, elle cache très mal son désarroi. Elle vient de recevoir son ultime IQT, invitée à quitter le territoire. Tous ses recours sont épuisés. Elle doit quitter la France dans moins d'un mois. Arrivée à Paris en 2002 avec un visa étudiant, elle s'est heurtée à un refus catégorique dès qu'elle a voulu changer de statut. « Je n'ai pas pu m'inscrire à la fac en 2004 pour des raisons personnelles. Quand je me suis présentée à la préfecture pour régulariser ma situation, on m'a signifiée que mon titre de séjour ne sera pas renouvelé. J'ai eu droit à une simple convocation pour un mois plus tard et depuis plus rien. Je veux reprendre mes études et recommencer une vie nouvelle », espère Nadia. La jeune économiste est pourtant traumatisée par l'expérience douloureuse de Samia, une amie connue à Paris. « Samia a vu sa vie bousculer dans le cauchemar en un après-midi. Des policiers se sont présentés chez elle pour une vérification d'identité après une dénonciation. Tout s'est déclenché très vite. La machine à expulser était mise en branle. Elle a été arrêtée, présentée à un juge et expulsée dans la semaine. Elle a eu droit à des visites au centre de rétention des étrangers. J'en suis revenue bouleversée. C'était la déchéance totale. » Selon diverses sources, essentiellement des associations, le nombre d'Algériennes sans papiers officiels ne cesse d'augmenter. « Depuis deux ans, les autorités se montrent plus fermes vis-à-vis des femmes dépourvues de papiers, alors qu'elles étaient plus tolérantes dans les années 1990. Après la régularisation ‘'massive'' faite par Jean-Pierre Chevènement, le discours a changé. C'est vrai que le nombre de personnes qui ont été régularisées était important, mais paradoxalement cela a aussi jeté beaucoup de femmes dans la clandestinité. Une sorte de ni ‘'régularisables ni expulsables''. Ensuite, la politique du résultat a créé des drames humains », remarque Hélène, militante à la ligue des droits de l'homme. Nadia sait qu'elle a peu de chances de voir sa situation administrative s'améliorer. Pour payer sa chambre, elle multiplie les petits boulots au noir. « J'ai fini par trouver une bonne niche. Je fais du baby-sitting et de la garde des personnes âgées à domicile. Je ne serai jamais riche mais cela me permet de faire face au plus urgent. » Invitées à quitter le territoire Mounira se déplace avec parcimonie. Invitée à quitter le territoire, elle aussi, l'ancienne institutrice de Jijel quitte rarement Epinay, banlieue parisienne. « J'ai mes repères dans cette ville. Je ne tiens pas à faire les frais d'un inopiné contrôle d'identité. Dans mes déplacements, j'évite de prendre le métro ou le RER. Je préfère le bus, il y a rarement des contrôles de police », explique Mounira qui note cependant que les femmes sont relativement peu contrôlées. Comme Nadia, son travail se résume à des heures de baby-sitting et à du soutien scolaire. « Je donne des cours de français et d'arabe pour les plus petits. Cela me permet juste de ne pas mourir de faim ». Mounira exclut tout retour en Algérie. « Ceux qui m'ont fait du mal, ceux qui ont brisé ma famille pavanent librement dans les rues de Jijel. Ils ont été libérés après quelques mois de prison. Ils n'ont jamais caché qu'ils étaient terroristes. J'ai peur de les croiser de nouveau ». Mounira refuse de s'expliquer davantage. Elle ne cache pas que la loi sur la Réconciliation nationale la met très en colère. « Tous les présidents algériens s'évertuent à fabriquer des repentis qui assument entièrement leur passé et qui continuent de se revendiquer de l'islamisme politique. Les victimes demandent justice. Qu'on les juge ! On ne peut accorder son pardon qu'à ceux qui en font la demande », tranche-t-elle. Selon une militante d'une association en aide aux femmes algériennes, Mounira aurait subi des violences devant ses élèves à l'école par un groupe armé, mais elle refuse d'évoquer son passé en public. Ouardia a appris à dompter son impatience. Elle fait partie, avec son mari, des « ni régularisables ni expulsables ». Mère d'un enfant né en France, Ouardia avait quitté sa Kabylie natale en 2001. Sa fille, Faïza, fréquente l'école communale. « Dans cet exil volontaire, je suis à la fois relativement bien lotie mais aussi très déprimée. Je sais que j'ai de la chance de bénéficier du soutien familial, mais la précarité de notre situation nous pèse lourdement. Nous ne sommes pas assurés. Le moindre pépin médical prendra des proportions dramatiques. Nous avons bénéficié de la couverture médicale universelle pendant deux ans. Enfin, ce n'est pas tout à fait une vie que de se retrouver sans existence légale ». Ouardia en veut pour preuve son impossibilité à se rendre en Algérie faute de documents officiels. « Nous n'avons pu assister à l'enterrement de notre beau-père ni au mariage de ma sœur. Cela a été un traumatisme. Tout le monde nous a appelés du bled pour nous apporter un soutien moral mais rien n'y fait. Quand vous n'êtes pas présents aux côtés de vos proches dans les moments difficiles, vous vous sentez inutiles, sans intérêt. Je culpabilise beaucoup », reconnaît la nouvelle future maman. Nadia, Mounira et Ouardia rêvent de deux choses : une régularisation de leur situation en France et se rendre en Algérie avec la possibilité de revenir dans l'Hexagone sans difficulté. Mounira a mis une croix sur sa ville, mais se verrait bien passer une semaine avec sa famille à Annaba. Elles devinent toutes les trois que ce projet risque de prendre quelques années avant de voir le jour. L'exil, même s'il est volontaire, est une grande déchirure. Toutes les associations contactées par les trois femmes ont eu la même réponse. Les autorités françaises ont adopté la fermeté. Et cela risque de s'aggraver encore plus. « Tous les indicateurs sont au rouge. Ce gouvernement expulse massivement, sans tenir compte des situations personnelles. Les préfets subissent de fortes pressions, ils sont tenus d'avoir des résultats comme si l'immigration est avant tout une affaire de statistiques. Et la loi Sarkozy n'est pas faite pour rassurer les immigrés. Même ceux qui réussissent à vivre en France dans la précarité pendant dix ans n'auront pas droit à la fameuse carte de séjour. L'Algérie n'est plus considérée comme un pays à risque. Donc, la délivrance d'un titre de séjour est plus que problématique à moins de s'appeler Zidane », constate amèrement Hélène.