Six mois après son retour pour sauver du chaos une Algérie meurtrie, Mohamed Boudiaf fut assassiné le 29 juin 1992 à Annaba. Six mois d'espoir dans un pays menacé par l'islamisme et la mafia politico-financière. Les dernières paroles de Tayeb El Watani, sont «l'Islam et la connaissance», donc la lumière, avant que ne surgisse de derrière le rideau de la salle de conférences de ce maudit centre culturel de la ville de Annaba la bêtise et le crépitement d'une arme dirigée vers le dos de celui qui voulait donner ce qui lui restait comme énergie à une Algérie qu'il avait conduite à l'indépendance. Peu d'hommes auraient accepté de sortir d'une retraite paisible pour venir gouverner un pays presque ingouvernable. Lui, Mohamed Boudiaf, n'avait pas hésité à répondre présent lorsque la patrie lui avait fait appel. Pour maintenir à flot un bateau qui prenait eau de toutes parts, Boudiaf se mit tout de suite au travail et lança plusieurs chantiers. La priorité fut le rétablissement de l'ordre. Il savait très bien que sans crédibilité et sans solidarité, c'était peine perdue. Homme d'action comme il y en a eu peu, Boudiaf s'engagea corps et âme dans la lutte contre la corruption, le véritable mal qui a ruiné le pays. Pour ce faire, il a mis surtout en branle le projet fondateur d'une Algérie tournée vers la démocratie et la modernité, le Rassemblement patriotique national (RPN). Exprimées dans un discours franc, honnête et sincère, les actions de Boudiaf n'avaient pas mis beaucoup de temps pour prendre dans la société. Dans un pays miné par la crise économique, les caisses de l'Etat totalement vides, la corruption et la déferlante islamiste avec son lot d'intolérances, ses tenants sont présentés aujourd'hui comme des anges, Mohamed Boudiaf a su faire renaître l'espoir, le seul antidote au chaos. Il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour gagner le cœur des Algériens. «L'homme de Novembre» – il a été le président du Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA) à l'origine du déclenchement de la Révolution-, a trouvé les mots justes et surtout situé le mal qui rongeait l'Algérie pour mobiliser des millions de citoyens désespérés. Il était tout simplement algérien. Enfin, quelqu'un qui parle le même langage que son peuple. Le résultat : une véritable adhésion populaire à son projet. «L'Algérie avant tout», ce n'était pas qu'un slogan, mais aussi une réalité. Boudiaf était un président qui communiquait beaucoup. Il ne manquait pas d'expliquer ses décisions et ses projets, y compris les plus controversés. A partir du mois de mai 1992, il a entamé un périple qui devait le conduire dans plusieurs villes du pays pour impliquer les Algériens dans le changement. «L'Algérie a besoin d'un projet qui n'existe ni au FLN ni au Fis (Front islamique du salut, un parti dissous par la justice) ; ce projet existe dans le peuple algérien», déclarait le président Boudiaf. Ce qu'il réaffirma à l'occasion de l'installation du Conseil consultatif national (CCN). Cent jours après son retour, le défunt avouait à l'opinion nationale : «J'ai rencontré beaucoup de monde, étudié beaucoup de dossiers, recueilli beaucoup d'informations. Le devoir m'oblige à vous dire que j'ai découvert que notre crise avait une ampleur considérable, car elle touche notre société dans sa profondeur, dans son identité, ses valeurs, ses institutions son fonctionnement. Je reste convaincu que notre pays a besoin d'un changement radical. Le changement attendu de tous devra toucher tous les aspects de notre vie économique, sociale et culturelle.» Engagé dans le redressement du pays, Mohamed Boudiaf prononça son verdict : «Je saisis l'occasion de l'installation du CCN pour m'adresser au peuple algérien et lui annoncer que le choix fait en faveur du changement radical est le seul choix valable, le seul qui permettra à notre pays de sortir de la situation de crise.» Tayeb El Watani, avec la même ferveur du déclenchement de la Révolution le 1er Novembre 1954, se lance dans un processus irréversible d'un changement qui ne s'accommodait guère de la culture politique ambiante. ` La politique de Mohamed Boudiaf ne pouvait donc arranger ni les affaires des tenants du statu quo ni celles des nouveaux seigneurs religieux qui ont fini par mettre le pays à feu et à sang. Le projet du défunt Boudiaf meurt le 29 juin 1992 à Annaba avec son assassinat. Qui avait intérêt à le tuer ? Qui a tué Boudiaf ? La question se pose toujours. Les intégristes ? La mafia politico financière ? Ou les deux en même temps ?