34 intervenants de différentes nationalités et de diverses disciplines répartis en 8 groupes s'attacheront à disséquer la trame historique depuis la colonisation en 1830 jusqu'à l'indépendance en 1962. Les participants s'attelleront à dresser un bilan critique et suffisamment exhaustif des 50 années passées depuis le recouvrement de la souveraineté algérienne et cela dans tous les domaines. Pour M. Hachemaoui, «rompre avec l'historiographie coloniale, c'est aussi se dire que l'histoire de l'Algérie n'a pas commencé en 1954 ni en 1830 et qu'avant la période coloniale, ce n'étaient pas ‘les siècles obscurs du Maghreb‘.» Cinquante ans après l'indépendance, quel destin pour quelle Algérie ?», telle est la problématique centrale du colloque d'El Watan dédié au cinquantenaire de l'indépendance. Trois jours durant, du 5 au 7 juillet, une trentaine d'experts répartis en huit panels vont se succéder à la tribune de la salle Cosmos de Riadh El Feth pour disséquer le projet indépendantiste, sa généalogie et son bilan (voir programme en page 5). Le politologue Mohammed Hachemaoui, concepteur de ce colloque, qui a consacré cinq mois entiers à sa préparation, nous livre quelques éléments-clés sur l'architecture conceptuelle de ce forum. «Nous avons consacré 4 panels au volet historique et 4 panels pour dresser le bilan de ces 50 ans d'indépendance tant il est vrai que cette halte nous interpelle pour entreprendre un retour critique sur l'expérience post-coloniale en se disant : qu'a-t-on fait de cette indépendance ?» explique l'initiateur des Débats d'El Watan. «La première idée directrice qui m'a guidé était de sortir du face-à-face franco-algérien. D'où la forte participation d'universitaires américains à ce colloque. Il était important pour nous de convoquer de nouveaux paradigmes. Et ces chercheurs développent justement un nouveau regard sur la colonisation. Ils apportent une vraie fraîcheur. C'est le cas par exemple de Matthew Connelly qui analyse la Révolution algérienne sous le prisme de l'histoire de la diplomatie à l'aune des relations internationales. C'est proprement novateur. C'est pour dire que l'histoire de la Révolution algérienne s'inscrivait dans une trame historique mondiale. D'ailleurs, c'est la première guerre de libération de l'âge moderne. Elle a inspiré l'ANC, l'OLP et tous les mouvements de libération qui se sont nourris de l'action diplomatique du GPRA. Il faut souligner à ce propos que le GPRA est le seul à avoir arraché la reconnaissance diplomatique des Etats sans être en mesure de contrôler son territoire. Donc, à travers ce regard, on marque une rupture avec l'historiographie officielle qui escamote le rôle de l'action diplomatique, préférant mettre en avant la geste militaire, alors que la victoire de l'indépendance a été acquise surtout sur le terrain politique et diplomatique», développe Hachemaoui. L'éminent universitaire plaide dès lors pour une «rupture radicale avec l'historiographie officielle qui a plombé l'écriture de l'histoire et qui restreint l'accès aux archives en brodant un chimérique roman national». Attaché à réhabiliter le rôle du politique dans la lutte anticoloniale, Mohammed Hachemaoui estime qu'«il est impératif de valoriser le pluralisme politique, idéologique, syndical, culturel qui faisait la richesse du Mouvement national. Il faut sortir du récit ‘islahiste'. C'est pour cela que l'un des panels, nous l'avons intitulé ‘Naissances d'une nation' au pluriel». Poursuivant son argumentaire, il dira : «L'autre idée maîtresse qui a présidé à la construction de ce colloque était de rompre avec les poncifs de l'historiographie coloniale et ses relents de révisionnisme qui s'emploie avec zèle à réhabiliter la prétendue œuvre civilisatrice du colonialisme français, et qui a eu comme aboutissement la loi du 23 février 2005. Il fallait donc déconstruire ce discours et son arsenal théorique. Le premier objectif de ce colloque est de tordre le cou à ce révisionnisme néocolonial en convoquant les travaux des historiens.» Pour Mohammed Hachemaoui, «rompre avec l'historiographie coloniale, c'est aussi se dire que l'histoire de l'Algérie n'a pas commencé en 1954 ni en 1830 et qu'avant la période coloniale, ce n'étaient pas ‘les siècles obscurs du Maghreb' comme l'écrivait Emile-Félix Gautier. Il y a un trou dans l'historiographie coloniale entre 1830 et 1954». Une manie que l'on retrouve curieusement dans les récits sofficiels, relève M. Hachemaoui, en ce sens que l'on assiste à une focalisation sur la séquence 1954-1962 aux dépens des périodes antérieures à la colonisation française. «Il était donc nécessaire, reprend le politologue, de restituer la profondeur historique de l'Algérie.» Et c'est l'objet du premier panel placé sous le titre : «De quoi la conquête coloniale est-elle le nom ?». «Il convient de rappeler à ce propos que la conquête coloniale n'a pas du tout été pacifique, elle a été au contraire d'une redoutable violence. A noter aussi que cette conquête a buté à une résistance farouche de la part des tribus, des zaouïas, sous la bannière du djihad». Le poids de la corruption politique Tout cela pour dire que le Mouvement national s'inscrit dans un continuum de résistances populaires et ne relève pas de la génération spontanée. L'autre dimension de ce colloque, disions-nous, est donc l'esquisse d'un bilan d'un demi-siècle de souveraineté nationale et la manière dont a été géré ce capital symbolique. «En élaborant ce colloque, on ne pouvait faire l'impasse sur le bilan de ces 50 ans d'indépendance. Ce cinquantenaire est une halte qui exige un bilan critique et un retour critique sur soi-même». Un faisceau de questions sous-tend ce deuxième volet : «Sur quoi repose l'endurance du régime autoritaire algérien ? Comment expliquer les contre-performances structurelles de l'économie algérienne ? Comment expliquer le paradoxe des ressources pétrolières abondantes et le mal-développement, la faiblesse de la croissance, les inégalités sociales ? Pourquoi la redistribution de la rente a-t-elle échoué à acheter l'assentiment populaire du moment que l'action émeutière ne s'arrête pas ?», interroge M. Hachemaoui. Ce bilan s'articule, en outre, sur des thèmes précis : le marasme de l'université, les dysfonctionnements du système de santé publique ou encore la condition féminine. Sans oublier bien sûr la structure du système politique algérien et sa corrélation avec la corruption. Un sujet dont Mohammed Hachemaoui se chargera personnellement dans son intervention, lui qui a consacré sa thèse de doctorat précisément à cette problématique monstrueuse (thèse soutenue à l'Institut d'études politiques de Paris en 2004 sous le titre «Clientélisme et corruption dans le système politique algérien»). «Il est impossible d'analyser le régime algérien en faisant abstraction de la corruption et inversement», argue-t-il. «Il nous a paru utile de poser les jalons de ce bilan car c'est aussi à la société civile de le faire, et c'est un peu la responsabilité d'un journal que d'organiser la réflexion autour de ces questions centrales», conclut Mohammed Hachemaoui.