Le premier volet des travaux des rencontres Esprit Frantz Fanon d'Alger a été clôturé, hier en fin d'après-midi, après cinq heures d'échanges fructueux entre des universitaires tous convaincus qu'il faut toujours et encore revisiter aussi bien la vie que l'œuvre du penseur révolutionnaire algéro-martiniquais, disparu prématurément en 1961 à l'âge de 36 ans. La première séance a été précédée de la projection d'un montage-photos qui montrait la vie courante de deux populations qui cohabitaient dans le même pays, l'Algérie, mais qui vivaient néanmoins dans des conditions très différentes. Les uns ont les visages émaciés par les privations, sont couverts de haillons, habitaient des taudis aux murs inégaux et aux toits de paille, sont épouillés au DDT et au vu de ce sort ont rarement le sourire. Les autres, d'origine européenne, ont les joues arrondies et la mine épanouie, se font photographier devant des écoles ou de belles maisons et sont tirés à quatre épingles. Ces photos racontaient, cela sautait aux yeux, la violence que faisaient subir les seconds aux premiers. Cette violence, Fanon l'a pensée dans toute sa radicalité pour la proposer comme action des dominés contres leurs oppresseurs. Les intervenants l'ont encore évoquée hier et l'un d'eux, Mohamed Bouhamidi, a rappelé la réaction de Fanon face à l'attitude d'Albert Camus qui dénonçait la violence d'où qu'elle vienne. L'exemplarité de Camus ne s'était guère manifestée lorsque la colonisation et ses moyens de répression faisaient subir l'impensable aux Algériens. Lors de la première séance de travail, présidée par Abdelatif Rebah, quatre interventions étaient programmées. L'Egyptien, Mohamed Hafez Dyab, participait avec une communication intitulée «La leçon de Fanon : mémoire non sujette à l'oubli». Dyab dresse le portrait d'un révolutionnaire prolifique, à l'engagement indéfectible mais insaisissable, parce qu'inclassable dès qu'on tente de le rapprocher d'un courant de pensée. Lyes Boukraa, anthropologue algérien, donne à ce propos une explication en disant que Frantz Fanon n'a jamais défini aucun concept, il n'est entré dans aucun paradigme des sciences sociales comme il n'est jamais entré dans un champ politique. En réalité, il était partout : dans la sociologie, la politologie, l'économie, etc. Ce n'était même pas un universitaire dans le sens traditionnel du terme. «C'était un penseur politique, donc un penseur de l'action», précise Boukraa. Ce champ ouvre directement sur l'action radicale contre toute forme de domination. Cela se traduit par une violence nécessaire pour faire aboutir le projet du dominé. L'Indienne Ghita Hariharan n'est pas une chercheuse universitaire mais une écrivaine et c'est donc en tant que créatrice qu'elle a inscrit sa contribution «Résistance par l'écriture : Fanon dans le contexte de l'Inde.». Une communication très remarquée celle de la Malienne Aminata Dramane Traoré. Elle a surtout évoqué l'actualité de la pensée de Fanon et ce que l'on peut en tirer pour l'analyse et l'action dans le contexte de son pays qui, comme presque tous les pays décolonisés, connaît une faillite de la pensée nationaliste. Cette faillite se solde par des conséquences aux retombées très graves avec l'émergence d'un islamisme qui n'hésite même pas à détruire des richesses du patrimoine irremplaçables. La France, dit-elle, espérait faire de la rébellion touareg un bouclier contre AQMI pour continuer à dominer les richesses minière du pays, mais cela n'a pas marché. Dramane Traoré pense que le peuple malien n'a pas, pour le moment, pour préoccupation la démocratie, mais tout bonnement pense à sa survie. Les travaux ont été clôturés par la communication de la psychiatre Alice Chekri qui a connu Fanon pour avoir travaillé avec lui. Elle en fait un portrait révélant beaucoup de facettes du penseur révolutionnaire.