L'affaire Benyoucef Melouk a été retirée du rôle de la Cour suprême dans la précipitation et en dernière minute, jeudi 4 octobre 2012. La cour d'appel l'avait condamné à quatre mois de prison ferme le 22 mars 2010, en confirmation d'une sentence prononcée en première instance 18 ans plus tôt. En cassant le jugement de la cour d'appel, l'accusé attendait que cette juridiction du dernier recours statue en droit sur la régularité de la condamnation qui le menace d'enfermement depuis le printemps 2010. Il espérait aussi que cet arrêt allait lui permettre de mettre fin au calvaire qu'on lui fait subir depuis 20 ans. Ce qu'il y a lieu de retenir de cette affaire, c'est que le dossier de l'accusation était difficile à suivre. Aussi les plaignants, deux anciens membres du gouvernement, en l'occurrence Mostefa Mohammedi, ex-ministre de l'Intérieur, et Mohamed Djeghaba, ex-ministre des Moudjahidine, ont cru plus prudent de rester éloignés des salles d'audience. Les deux ex-responsables gouvernementaux poursuivent Melouk parce que les investigations de ce dernier sur les magistrats qui falsifiaient les documents pour obtenir la fameuse reconnaissance du statut de moudjahid ont établi que leurs parents figuraient, preuves à l'appui, sur la liste des faussaires. Le père de Mohammedi et un proche parent de Djeghaba, comme nombre de «magistrats faussaires», travaillaient pour le compte de l'administration coloniale au moment où beaucoup d'Algériens étaient engagés dans la guerre de Libération. C'est pourquoi le verdict prononcé le 22 mars par la présidente de la séance, Mme Latifa Kesanti, a médusé l'assistance, provoqué un grand choc dans les rangs de ceux et surtout de celles qui, dans la salle, attendaient la relaxe. Le tribunal avait alors, ce jour-là, retenti de très vigoureuses protestations exprimées par notamment les moudjahidate présentes qui, malgré leur âge vénérable, avaient fait le déplacement pour soutenir celui qui avait été leur compagnon d'armes, Melouk ayant été lui-même moudjahid comme d'ailleurs des membres de sa famille. Ce nouveau prolongement du supplice que subit Melouk depuis maintenant un peu plus de deux décennies ne peut découler que de cette gestion politique de la justice qui déshonore notre pays, le reléguant au rang de minable république bananière. Ici, c'est le pouvoir politique qui détient réellement les manettes juridictionnelles et dit le droit en lieu et place de magistrats qui, pour leur part, sont relégués au peu glorieux rang de faire-valoir. C'est ainsi que Melouk, fonctionnaire du ministère de la Justice, auquel sa hiérarchie a confié, à la fin des années 1970, la mission de débusquer ceux qui, en violation de la loi, procédaient sans scrupules au montage de dossiers falsifiés pour acquérir la qualité de moudjahid, s'est retrouvé sanctionné par sa propre hiérarchie. Cette dernière elle-même ouvrait droit à des avantages régaliens ainsi qu'à une promotion plus rapide, mais pas du tout méritée sur le plan professionnel, politique et social. Pour défendre statut et privilèges indus, le clan des «magistrats faussaires», leurs familles et une partie des vrais moudjahidine, comme M. Djeghaba, vont poursuivre sans relâche Melouk d'une vindicte aussi tenace qu'impitoyable. Le harcèlement ne s'arrêtera jamais, jusqu'au jour d'aujourd'hui. Il a subi quatre arrestations, dont la première a été violemment menée par la police de Blida comme si le fonctionnaire était un terroriste. Il a été emprisonné durant 18 jours en 1992, durant une semaine en 1997, pendant cinq jours en 1999 et enfin une nuit en 2007. Le ministère de la Justice, celui-là même qui lui avait confié la mission de découvrir les forfaitures des falsificateurs, va participer à faire payer à Melouk le fait d'avoir osé révéler l'affaire au grand jour en la faisant publier, en 1992, par l'Hebdo Libéré de Abderrahmane Mahmoudi. La police, mise à contribution, lui confisque son passeport pendant 16 ans pour ne le lui rendre qu'en 2010. Le ministère de la Justice (de l'injustice devrait-on plutôt dire) le licencie et ose même l'impensable en effaçant son dossier de fonctionnaire. C'est comme si Melouk n'avait jamais travaillé. A ce niveau, il s'agit d'une atteinte flagrante aux droits de l'homme parce que Melouk est ainsi privé de retraite alors qu'il a cotisé auprès de la CNAS durant 27 ans. Il ne s'agit donc que d'un geste cruel entrepris comme une opération de représailles dont n'est digne aucun Etat au monde. Poussé à bout, sa santé ruinée, Melouk songe maintenant qu'il a compris que l'Etat algérien est l'Etat de l'arbitraire et que la justice est celle de cet Etat arbitraire, à aller porter son affaire ailleurs, auprès des juridictions internationales.