Une économie de marché fonctionne avec deux types d'entreprises dans la sphère économique. Les entreprises publiques et privées constituent le moteur essentiel des progrès économiques et sociaux. Certains pays utilisent très peu le secteur public productif. Il représente moins de 1% de la production globale des USA. Mais dans le reste des pays avancés, la production de biens et de services par les entreprises publiques peut atteindre jusqu'à 25% du total. En Chine, la proportion du public est supérieure à celle du privé, même si l'Etat exécute un plan de privatisation qui fera du secteur privé un acteur dominant dans les années à venir. Dans notre pays, l'histoire et la culture économique feront que le secteur public continuera à exister côte à côte avec le champ privé. Il faut donc s'en occuper sérieusement et prendre toutes les dispositions afin d'améliorer ses performances. Dans ce domaine, la leçon asiatique est tout à fait pragmatique. L'Etat gère les monopoles naturels, les entreprises de services publics et les secteurs où le privé n'a pas atteint le degré de maturité pour les prendre en charge. L'Etat fait tout pour les développer et lui livrer par la suite les entreprises autres que les monopoles naturels et le service public. La Chine, la Malaisie, la Corée du sud et autres ont suivi ce processus économique. L'ancien premier ministre malais appelle cela : «Le pragmatisme au lieu du dogmatisme». Nous n'avons pas de doctrine dans ce domaine. Chaque gouvernement a ses propres visions. Nous peinons à développer une stratégie globale et donc à formuler des perspectives claires sur le management du secteur public. Il est temps que les experts se penchent sur la question pour débattre sereinement avec toutes les parties prenantes sur l'approche que nous devrions adopter en matière de management du secteur public. Nous soulevons ici quelques questions de fond sur quelques facettes-clés de la gestion du secteur public économique. Les ennemis de l'efficacité publique La littérature économique a depuis longtemps analysé les facteurs d'efficacité du secteur économique publique. On en retient quatre : une taille réduite, soumission à une compétition directe et indirecte, participation minoritaire privée et mécanismes d'équilibre entre les décisions politiques et techniques (une commission parlementaire de surveillance publique). Nous avons eu l'occasion d'expliciter ces mécanismes. Dans de nombreux ex-pays socialistes (Ukraine, Kazakhstan), le secteur public est dans une situation critique. Nous sommes pratiquement dans une situation similaire. Les causes sont multiples et variées. Mais certaines sont plus profondes et causent beaucoup plus de dégâts que d'autres. Les raisons les plus importantes sont au nombre de quatre. Le premier facteur et sans doute le plus important est d'ordre politico-économique. Les entreprises publiques sont gérées avec des repères politiques. Par exemple, la nomination aux postes de hauts managers obéit souvent aux contours politiques. La formation, l'expérience et les résultats mesurables obtenus sont de peu d'utilité pour positionner les équipages managériaux. Cette culture de déconnexion entre efficacité et octroi de postes et de privilège a un effet multiplicateur. Généralement, les managers ainsi choisis pensent qu'ils ne sont redevables qu'à leurs parrains et évitent de se concerter avec leurs subordonnés, centralisent trop et choisissent leurs priorités en fonction des exigences des décideurs et non l'intérêt de l'entreprise. Le second ennemi de l'efficacité ce sont les injonctions de tous genres qui sont souvent contraires à l'intérêt de l'entreprise. L'Etat propriétaire à un droit de regard sur les grands choix des entreprises. Il définit la mission, participe aux orientations stratégiques, nomme le haut encadrement (conseil d'administration et PDG) et contrôle l'évolution des indicateurs-clés qu'il aurait définis avec les concernés. Ceci est son rôle. Mais lorsque les injonctions pleuvent quotidiennement, on ôte à l'entreprise toute possibilité de s'améliorer. Toute décision interne peut être remise à n'importe quel moment. Le troisième ennemi est constitué par les blocages de tout genre. L'hyper centralisation et l'hyper bureaucratisation des processus de décision induit une paralysie presque complète du mode de fonctionnement. Une décision de renouvellement de l'outil de production, même sur fonds propres, met des années pour se voir autorisée et parfois elle est carrément refusée. Les opportunités dans le monde des affaires changent rapidement. Dès lors que la vitesse de décision interne est plus réduite que le rythme de mutations des affaires, on ne peut que perdre des parts de marché. Le quatrième mécanisme concerne les distorsions induites par les responsables publics. Les grilles de salaires centralement décidées ne permettent pas de retenir les meilleures compétences. Le secteur privé les rémunère parfois jusqu'à 500% plus. Les sempiternels assainissements financiers encouragent l'entreprise et les managers à préférer le statu quo, ne pas innover ou prendre des initiatives et attendre les prochaines subventions pour continuer à survivre. Comment sortir de ce cercle ? Ceux qui cherchent une solution unique et sans coût à un problème économique ou social seront toujours déçus. Nous avons seulement des alternatives avec leurs avantages et inconvénients. Certaines ne s'appliquent même pas à notre contexte. La Chine traite au cas par cas ses entreprises publiques et ne privatise que celles qui ne sont pas stratégiques et lorsque le secteur privé devient capable de les gérer. Mais les chinois ont appris à décentraliser tout aussi bien leurs économies que le management des entreprises publiques. Les plans de développement locaux et régionaux sont de loin supérieurs à la planification centralisée. Des missions sont précisées pour les entreprises publiques. Leurs stratégies sont validées par les instances de supervision. Ces dernières sont arrivées à nommer des managers selon leurs savoir-faire et décentraliser grandement les pratiques managériales. La politique pollue très peu les décisions techniques. Peut-on le faire ? Tout dépend des décideurs qui sont en charge du dossier économique. Pour le moment, nous en sommes loin. Nous avons besoin de préparer le terrain. Il faut absolument séparer les entreprises en deux groupes. Les premiers sont les monopoles naturels, les entreprises stratégiques et de services publics. Pour celles-ci, on leur applique les caractéristiques du management public (seuil, équilibre, compétition, participation minimale). On les dote d'une véritable fonction de contrôle de gestion. Pour le reste, on opère une large décentralisation et lorsqu'elles sont incapables de survivre, on peut les livrer au secteur privé (pour ma part, je privilégie la piste de membres de l'entreprise ou à défaut du secteur privé national ; mais ces options doivent être débattues).