Le docteur Hocine Bensaâd estime qu'il devient impératif de mettre en place une véritable politique énergétique pour le pays ; il soutient que les pouvoirs publics cachent à l'opinion publique des informations concernant les opérations d'enfouissement de gaz carbonique au Sahara. - Quel bilan pouvez-vous présenter concernant le domaine énergétique algérien ?
En 1971, l'Algérie n'a pas nationalisé les hydrocarbures. Elle a pris 51% des parts de la production. Mais même avec le nombre limité de compétences, les Algériens ont pu, malgré le chantage des Français, relever le défi et continuer à forer, explorer et à exporter. L'argent acquis a beaucoup servi à la politique nationale de développement, comme la construction d'écoles et l'accès à la médecine gratuite. Malheureusement, la seconde étape, durant les années 1980, les capacités de l'Algérie ont été surestimées. Au lieu de continuer dans le même élan de développement social et économique, le gaspillage a commencé, avec en première ligne l'introduction du fameux plan antipénurie. En 1986, avec la chute des cours du brut, l'Algérie ne pouvait plus payer l'emprunt qui était de 38 milliards de dollars. Durant les années 1990, il y a eu la privatisation du tissu industriel et le départ de plus de 100 000 cadres algériens, d'après les chiffres de l'OCDE. Par ailleurs, compte tenu du fait que les principales ressources du pays sont les hydrocarbures, force est de souligner que pour un dollar exporté, 10 dollars sont importés. Aujourd'hui, nous entrons de plain-pied dans la globalisation, mais nous n'avons pas établi une réelle stratégie de développement énergétique du pays. Il n'y a pas de débat ouvert
- Cependant, il semble que rien n'est fait contre la corruption…
Le monde actuel connaît des changements. Mais il est purement question de la sauvegarde de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité du territoire. En parlant de corruption, il s'avère que Sonatrach est la vache laitière de l'Algérie. Je n'ai jamais vu un bilan de Sonatrach ou de Sonelgaz sur les montants investis. Quel a été le retour sur investissements ? Le ministre actuel de l'Energie parle d'investissements colossaux de Sonatrach depuis l'indépendance. Or, on n'a jamais demandé des comptes à des responsables.
- Un mixte énergétique est-il possible à développer dans le cadre d'une stratégie ?
Avant de parler de mixte énergétique, la première des choses à noter est qu'en 1962, l'Algérie comptabilisait 9 millions d'habitants. Aujourd'hui, la population a été multipliée par 4, même si le niveau de vie a évalué par rapport à la situation post-indépendance. Donc, il faut tracer des objectifs. Dans 40 ans, quels seront la démographie et les besoins de la population;, en transport, en nourriture… Le constat qu'on doit d'abord faire est que, malheureusement, on a appris à l'Algérien à gaspiller. On peut parvenir, avec un politique judicieuse, à baisser la consommation d'énergie d'au moins de 30%. Quand on fait un tour dans les magasins, il n'y a aucune législation interdisant l'importation de produits énergivores. L'Algérie est devenue un véritable dépotoir. Autre exemple, l'importation de 400 000 voitures chaque année. Si chaque voiture roule 10 000 km, avec une consomation de 10 litres au 100 km, et avec tous les rejets, nous participons directement à la pollution, notamment dans les grandes villes. Lorsqu'on importe, on transfère des devises. Cela veut dire faire travailler d'autres industries et on oublie le chômage local. Les automobilistes doivent payer le prix réel de l'essence qui est actuellement subventionné par l'Etat. Et puis, il faut une taxe sur les émissions carboniques pour sanctionner directement ceux qui circulent sans raison. Pour les lampes, la plupart, viennent de Chine, mais sans aucun contrôle au niveau des frontières. Nous avons une crise de logement, mais l'Etat continue à construire en béton, qui consomme énormément d'énergie, été comme hiver. Si les matériaux de construction étaient choisis convenablement, avec une meilleure réglementation, la consommation d'énergie serait réduite.
- Les officiels évoquent l'épuisement des réserves d'hydrocarbures. Que pensez-vous de ces annonces ?
Comment les officiels peuvent-ils le savoir, car ils ne démontrent pas comment cela a été calculé. Il faut préciser que 80% du domaine minier algérien n'a pas été prospecté. Secundo, qui l'affirment : les Algériens ou l'agence internationale de l'énergie (AIE) ? Cette agence, faut-il le rappeler, a été créée en 1974, par les pays consommateurs, pour faire face à la crise de 1973, déclenchée après la guerre d'octobre (pays arabe contre Israël). L'AIE défend les intérêts des pays consommateurs et de ceux qui la financent, entre autres les compagnies pétrolières. L'AIE peut dire une chose aujourd'hui et le lendemain son contraire. C'est une stratégie de communication. En 2012, un tapage médiatique a eu lieu pour faire pression sur l'Algérie afin de l'inciter à exploiter le gaz de schiste. C'est une véritable aventure. Si les médias lourds ont ouvert leurs portes aux officiels, il n'y pas eu un véritable débat national pour permettre aux experts et aux spécialistes, notamment en matière juridique, de donner leur avis. Un ensemble d'articles se terminent toujours selon «la réglementation» qui est d'ailleurs inexistante. Sur le plan juridique, il y a un vide extraordinaire. Je me demande si ce sont les Algériens qui ont rédigé les amendements de la loi sur les hydrocarbures promulguée en février dernier, ou croient-ils que les citoyens sont ignares pour ne pas comprendre.
- Si ce ne sont pas les Algériens qui ont rédigé les amendements, qui est derrière ?
Les sociétés PB, Total, Statoil, ENI, Shell et autres compagnies connaissent très bien le pays. Elles l'ont même connu à des moments très difficiles. Ces compagnies sont pour la plupart situées dans des régions frontalières. Il est bien évident qu'elles voudraient forcer les Algériens à exploiter le gaz de schiste, tant il est vrai que le pays a énormément d'argent. L'exploitation de gaz de schiste est excessivement chère. Un seul puits de forage coûte 13 millions de dollars. Et un seul puits ne donne que 30% de sa capacité. Les dirigeants d'Exxon Mobil disent avoir laissé leurs chemises dans cette exploitation aux Etats-Unis. Le PDG de Total dit qu'au Texas, il y a laissé des plumes. Il s'attendait à ce que le million de BTU soit vendu entre 6 et 8 dollars, il se retrouve à le vendre à 3 dollars. Par contre, s'ils peuvent le faire en Algérie, ils viendront. Les Algériens vont tout financer. Si c'est négatif, ils peuvent toujours partir. En plus, la technologie qu'il faut acquérir coûte cher. Pour les Américains notamment, le seul souci c'est de vendre le matériel de forage. Par ailleurs, un seul puits peut consommer 20 000 m3 d'eau douce pure, sans taux de salinité, puisque le sel est corrosif. Ajouter à cela le mélange à cette eau de produits chimiques. Cette eau, transportée dans des centaines de camions, 5000 en moyenne par puits, sera pompée de l'albien. Pour l'albien, il y a deux nappes, l'une au-dessus de l'autre. Et en Algérie, on en aurait pour de 40 000 milliards de mètres cubes d'eau.
- Existe-t-il une alternative autre que le pétrole et le gaz ?
Pour le moment, il n'y a pas d'alternative au pétrole et au gaz. Il faut développer l'énergie solaire. Dans le domaine des constructions, personne n'interdit d'installer des capteurs solaires pour l'eau chaude et des panneaux photovoltaïques pour alimenter les ordinateurs, l'énergie solaire est une énergie démocratique. Son installation coûte cher, mais elle peut rentabiliser. Depuis 1975, on parle d'énergie solaire en Algérie, mais comme il y a le gaz et le pétrole, ça bloque. Quel que soit le pays, les énergies nouvelles ne se substitueront pas aux énergies fossiles. Il faut penser dès maintenant à utiliser les barrages que nous construisons pour la production de l'électricité : l'hydroélectrique.
- Vous avez exposé récemment le problème de l'enfouissent du CO2 au sud d'In Salah…
Il existe 4 sites d'enfouissement de CO2 dans le monde, dont celui du site gazier d'In Salah, géré par Statoil et PB qui sont associés à Sonatrach. Lorsqu'il y a extraction de gaz naturel, il y a séquestration de gaz carbonique, pour qu'il ne soit pas torché. Il est séquestré dans une poche saline de 1550 m. Mais ce qui est très grave, on ne parle pas de cette séquestration en Algérie et cela depuis 20 ans. Statoil et PB font de la séquestration dans des sites qui ont été abandonnés. Je n'ai personnellement pas vu les études sur le comportement une fois le CO2 enfoui. C'est devenu un champ d'expérimentation à grande échelle. Le financement des travaux de recherches de séquestration à In Salah provient du secrétariat d'Etat américain et de l'Union européenne. Environ 800 millions de tonnes de gaz carbonique sont enfouies. Dans d'autres pays, ils ont commencé d'abord par choisir des sites pour tester le comportement des sols. Des études ont lieu au Texas, au Queen Collège de Londres, en Norvège et au Japon, mais je n'ai vu aucun chercheur algérien dans un laboratoire, pour l'impliquer dans ces recherches. Il y a une volonté de camouflage. Les données satellites qui mesurent l'élévation du sol sous la contrainte du CO2 montrent qu'elle est (l'élévation) de 4 millimètres chaque année. Le laboratoire de recherche de Boston a arrêté la séquestration en juin 2011, car il y a eu détection de fuite de gaz carbonique. A 3%, le gaz carbonique est mortel. Comment est diffusé ce gaz carbonique dans la région d'In Salah ? La nappe albienne a-t-elle été touchée ou non ? Sinon, il y a forcément falsification des données. Et puis, à partir du moment qu'il y a eu des enfouissements, y a-t-il une surveillance ? C'est toujours à travers les laboratoires de recherche qu'on obtient les informations, car les experts étrangers sont les seuls invités. Mais eux, ils publient notamment les anglophones. Car si on laisse les experts algériens travailler, ce sera divulguer les erreurs de Sonatrach. Il faut que les responsables rendent des comptes et comme ce n'est pas le cas, les gens croient qu'ils jouissent d'une immunité. La ressource humaine est renouvelable : une population bien éduquée, des cadres bien formés, le pays sera entre de bonnes mains. Mais quand c'est le contraire, cela veut dire que la colonisation du pays est en marche.