Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a encore une fois été trahi par la spontanéité de ses déclarations publiques, suscitant plus d'interrogations qu'elles n'apportent d'éclaircissements sur la démarche et la feuille de route politique du pouvoir par rapport au calendrier électoral de la présidentielle d'avril 2014. Devant les journalistes qui l'interrogeaient sur le fait de savoir si le rapport de la commission chargée de l'élaboration du projet de révision constitutionnelle est entre les mains du président de la République, le Premier ministre s'est laissé aller à quelques confidences et digressions dont la formulation peu académique peut donner libre cours à bien des interprétations sur le fond du débat, sur le contenu du projet de révision constitutionnelle, dont il a laissé entendre qu'il est l'apanage de Bouteflika et de lui seul. «Le président de la République va examiner le rapport de la commission et y apporter ses remarques avant de le renvoyer de nouveau à la commission pour une seconde mouture», a-t-il indiqué, sans la moindre retenue, à la presse, sans mesurer la portée politique profonde de ses propos. Telle qu'énoncée, la prérogative prend l'aspect d'un véritable droit de veto que Bouteflika entend exercer sur les amendements de fond à apporter à la Loi fondamentale, lesquels interviennent dans une conjoncture politique particulière, avec l'enjeu électoral de la prochaine présidentielle. La petite phrase de M. Sellal va certainement donner du grain à moudre à tous ceux qui se sont montrés sceptiques sur la volonté et la sincérité de Bouteflika de doter l'Algérie d'une Constitution à la mesure des aspirations de notre peuple à la modernité, aux libertés, à la justice… Le Premier ministre vient ainsi, d'une certaine manière, conforter la thèse de plus en plus partagée de la confiscation du projet de révision constitutionnelle par le président Bouteflika et son entourage. Dans toute démocratie qui se respecte, l'élaboration et tout amendement de la Loi fondamentale sont le fruit d'un large consensus national des forces politiques et sociales. Ce ne sont pas les desiderata et le caprice politique d'un homme, fut-il le président de la République, qui ne peut pas, en toute impunité, manipuler à sa guise et sur la base de calculs politiques étroits, claniques, la Constitution qui organise, structure et régit la vie des peuples. La Loi fondamentale est un texte fondateur d'une nation lequel est, par essence, au-dessus des luttes de pouvoir pour y accéder ou chasser l'équipe en place par des voies faussement démocratiques. En Occident, certains gouvernements qui ont tenté de jouer sur cette corde sensible de la trituration de la Constitution, voire de la manipulation de simples lois sur le découpage territorial pour s'offrir des majorités politiques dans les institutions, se sont heurtés à une vigoureuse réaction de la classe politique et de la société civile. La Constitution est un bien commun, un patrimoine national qui appartient à tout un peuple. Ce n'est pas un bien personnel, un bijou de famille dont on peut disposer au nom d'un pouvoir régalien, absolu, pour assouvir des desseins personnels. Dans une république normalement constituée, les arbitrages politiques et autres décisions qui engagent l'avenir d'un pays se font à l'intérieur des institutions, dans la transparence et à travers des débats démocratiques et non pas dans les antichambres du pouvoir. Que faut-il attendre des réformes constitutionnelles promises, dont le premier et le dernier amendement dépendent de la volonté d'un seul homme, comme vient de le confirmer M. Sellal ?