Attablée à La Caravelle, le regard perdu sur le Vieux port, j'attends une cinéaste espagnole. Nous sommes à Marseille pour le Festival de Films de Femmes de la Méditerranée. Je me déconnecte, au bord de la déprime. Over dose d'infos faceboukiennes. Ces fatwa complètement dingues : sur !e djihad du sexe, sur la conduite des voitures pour les femmes qui mettrait en péril leurs ovaires. Ces photos de corps à moitié enterrés de femmes qui vont être lapidées. Ces vidéos d'égorgement d'un otage, celle de l'éviscération d'un ennemi par un chef rebelle. Les révélations sur la mort des petites filles mariées à huit ans. Barbarie, islamophobie ? J'étais tétanisée par l'énormité des évènements. Du côté de chez nous pas de réconfort. Ces histoires qui circulent sur la constitution : révisée/pas révisée, sur les élections : 2014/2017. Ces paris qui sont lancés sur le nombre de mandats présidentiels : 3/4. Et ce conseil des ministres, est-ce un leurre ou un scud, et tiré par qui ? Notre avenir se passe dans un casino où les roulettes tournent infernales. Et pour comble de l'humiliation, l'histoire de la paternité de la fille de Rachida Dati. Je réalise que je suis tombée dans une réalité inconcevable qui fait de moi le fantôme de ma vie. Demande à ton ombre*, me souffle Lamine Ammar-Khodja. Je suis la spectatrice impuissante de mon avenir politique. Je ne suis pas loin de croire à un destin malin qui se joue de mon intelligence et de mes espoirs. J'ai beau dire « Non, ça ne peut pas être vrai ! On ne peut pas faire ça ! », ce « ça » existe bel et bien. Notre monde est désespérant d'aussi loin que je le regarde, d'aussi près que je le vois. Arrive Olivia Acosta pour me montrer « Las Constituyentes », les Constituantes. Un film sur les 25 femmes députées de la constituante espagnole ( 1977/78) installée à la mort de Franco. Un beau film sur le travail politique. La politique comme moyen de transformer le monde. Ainsi ça existe ! Après un longue nuit fasciste les hommes et les femmes de ce pays écrivaient leur histoire. Un chemin que nous pensions ouvert désormais à nous, depuis le 14 janvier Tunisien qui avait comme le 1 novembre 1954 sonné le glas du vieux monde. Le vieux monde postcolonial ankylosé dans ses vêtements élimés, troués, usés à la corde. Et bien non ! Que le roi soit nu ne change rien. Il nous faut retourner à nos peurs et replonger dans le marigot des rumeurs comme seul discours politique. *Demande à ton ombre, long métrage de Lamine Ammar-Khodja. 2012.