Mohamed Sifaoui est l'auteur, entre autres, de deux livres très fouillés sur les rouages du pouvoir en Algérie. Le premier, paru en 2011, est consacré au «système Bouteflika» sous le titre Bouteflika, ses parrains et ses larbins (Encre d'Orient, 2011) tandis que le second, Histoire secrète de l'Algérie indépendante : l'Etat-DRS (Nouveau monde, 2012), décortique le rôle de la police politique dans l'architecture du régime algérien. Dans cet entretien, il apporte un précieux éclairage sur la «guerre» que se livrent les différents clans du pouvoir, dont l'enjeu est la présidentielle du 17 avril. Décryptage. - Depuis la dernière sortie de Amar Saadani où il a accablé le général Toufik, on assiste à une déferlante de réactions et d'analyses ayant toutes pour toile de fond un présumé bras de fer entre Bouteflika et Toufik. D'aucuns interprètent cette charge du secrétaire général du FLN comme le symptôme d'une guerre ouverte entre le Président sortant et le patron du DRS. Vous qui avez consacré un livre à Bouteflika et un autre à «l'Etat-DRS», comment analysez-vous les rapports entre les deux hommes dans la conjoncture actuelle ?
Les informations en ma possession et certains éléments d'analyse que j'ai pu collecter me laissent dire que les rapports entre le Président et le chef du DRS ont commencé à se durcir depuis septembre 2013. Ces mêmes éléments me permettent, par ailleurs, d'affirmer ce qui va suivre : Bouteflika n'a pas apprécié, à l'évidence, que sa «succession» ait pu être envisagée pendant sa présence en France. Visiblement, le général Toufik avait décidé, pendant l'hospitalisation et la «convalescence» du Président, de donner, de manière directe ou indirecte, quelques «assurances» à Ali Benflis, l'encourageant à se lancer dans la «campagne électorale». A son retour à Alger, le Président, qui n'aurait pas du tout apprécié cette démarche en raison de la haine – le mot n'est pas dur – qu'ils vouent, lui et son frère cadet, à Ali Benflis, a eu plusieurs tête-à-tête avec le patron du DRS. Ce dernier a pu, dans un premier temps, s'expliquer, rassurer Bouteflika et lui certifier, d'une certaine manière, que son «approche» en direction d'Ali Benflis visait exclusivement à légitimer l'élection ou, à tout le moins, à disposer d'une «solution de rechange», produite et agréée par le système, en cas de décès du Président ou dans l'hypothèse d'une aggravation brutale de son état de santé avant l'échéance électorale. Bien qu'ayant eu, de la part du chef des «services», les assurances sur le «4e mandat», Bouteflika a néanmoins exigé et obtenu quelques changements au sein de la hiérarchie du DRS et apporté quelques aménagements dans l'administration afin de verrouiller, dans son seul intérêt, toutes les institutions de l'Etat, et singulièrement celles qui assurent la fraude électorale (ministère de l'Intérieur, Conseil constitutionnel, armée, etc.) Au sein de l'armée, certains changements étaient attendus, notamment pour le poste de patron de la DDSE (Direction de la documentation et de la sécurité extérieure, ndlr) : le général-major Rachid Laalali devait partir pour raisons de santé. A ce sujet, ne soyons pas des partisans du «tous pourris» et n'ayons pas le complexe de saluer la trajectoire de quelques officiers, aujourd'hui retraités, et la promotion de certains jeunes cadres dont la réputation ne souffre d'aucune tache et dont le parcours honore l'institution militaire dans son ensemble, qui peut engendrer à la fois le meilleur et le pire. Les actuels patrons du DRS – il faut s'en réjouir – ont bien meilleure réputation et, visiblement, sont plus soucieux de l'éthique que certains de leurs prédécesseurs comme Ahmed Kherfi, Bachir Tartag ou M'henna Djebbar, pour ne citer qu'eux. Ne regrettons pas le départ de ces éléments controversés – c'est un euphémisme – ayant occupé de hautes fonctions à la tête des «services» sans en être dignes. C'est déjà une très bonne chose qu'un outil aussi sensible que celui-ci puisse être entre les mains de responsables intègres. Souhaitons pour eux-mêmes et surtout pour le pays qu'à la longue, le pouvoir n'arrivera pas à les pervertir. En vérité, pour revenir à votre question, je pense que les rapports entre les deux hommes se sont considérablement crispés en raison de profonds désaccords, non pas sur le nouveau mandat de Bouteflika, mais sur la gestion de l'après-«élection présidentielle». Je l'avais écrit dans mon livre consacré à Bouteflika. Celui-ci vise une présidence à vie et rêve, depuis longtemps, de funérailles nationales. De plus, et c'est là que réside l'un des points de discorde, il ne cherche pas la pérennité de l'Etat – ni même celle du système – mais exclusivement celle de son clan et de sa caste. Il veut assurer l'impunité totale et, pourquoi pas, un avenir notamment à son frère Saïd et aux autres membres du clan. L'un des points de désaccord réside dans le fait que Bouteflika veuille s'imposer, y compris à titre posthume. Une logique, non plus de simple petit monarque, mais de pharaon qui, à l'évidence, lui a fait franchir, aux yeux de Toufik, la ligne rouge. On peut reprocher beaucoup de choses à Toufik, mais contrairement à Bouteflika, il ne vise pas à pérenniser un clan, mais un système de gouvernance. C'est pourquoi l'un et l'autre posent problème, à juste titre, à tous ceux qui souhaitent voir naître une Algérie réellement démocratique.
- Dans votre livre Histoire secrète de l'Algérie indépendante : l'Etat-DRS, vous écrivez : «Mohamed Médiène, ce fameux général Toufik, ne semble avoir qu'une idée en tête : pérenniser ce système gérontocratique quitte à s'allier avec le diable.» Vous dites aussi que «Bouteflika et Mediène, malgré quelques divergences, sont toujours déterminés à cohabiter pacifiquement». A la lumière des derniers développements, pensez-vous que «l'homme au cigare» (comme vous le désignez dans votre livre) soit dans les mêmes dispositions vis-à-vis de Bouteflika ? Il se dit que Toufik aurait «lâché» le Président malade et serait opposé à un quatrième mandat. Partagez-vous cette lecture ?
Ma réponse va probablement vous étonner. La «candidature» de Bouteflika pour un 4e mandat fait consensus entre les principaux galonnés et même entre le pouvoir algérien dans son ensemble et les grandes puissances démocratiques. Pour tous les partisans du statu quo, à commencer par Toufik lui-même, Bouteflika reste, à tort ou à raison, dans les différentes lectures qui sont faites, par les uns et les autres, un «gage de stabilité» pour l'Algérie. Le seul sigle qui a pu contrarier cette vision des choses n'est pas celui d'un parti politique, ce n'est ni le FLN, ni le FFS, ni le RCD ni le MSP, ni le DRS, mais l'AVC. Je le dis avec ironie, mais c'est en effet l'accident vasculaire cérébral qui a fait douter les tenants du pouvoir, qu'ils soient civils ou militaires, et a bouleversé des équilibres déjà fragiles. La confiance est définitivement rompue entre Bouteflika et son chef des «services» en raison de tous les éléments déjà évoqués. Mais il faut reconnaître que c'est le Président, à tout le moins son clan, qui a ouvert les hostilités, répondant probablement, entre autres, à ces manœuvriers incarnés par un ancien officier du DRS, «intellectuel» organique et proche de certains médias qui, depuis plusieurs mois, intoxique la presse en lançant rumeurs et campagnes déstabilisatrices contre Bouteflika ou son frère. Cet individu, aisément identifiable par les initiés, avait par exemple, à deux reprises, durant l'été 2013 et en janvier 2014, fait croire à certains que le Président était décédé. L'information avait même été reprise par un média communautaire en France et sur Internet. Est-il commandité par Toufik ? J'avoue que je l'ignore, mais je crois qu'une enquête ne serait pas malvenue, d'autant que cet individu n'est pas blanc-bleu sur les questions de passe-droits et de malversations financières. Pour répondre clairement à votre question, je pense que Toufik a lâché Bouteflika et que Bouteflika a lâché Toufik. Mais je ne crois pas que cette situation compromet, pour autant, le 4e mandat de Bouteflika, sauf chamboulement majeur et complètement inattendu. Le scénario qui semble se mettre en place consiste à permettre à l'actuel Président de briguer un nouveau mandat et donc la Présidence à vie, sans mener une campagne électorale. Après le 17 avril, la Constitution serait amendée par réunion extraordinaire des deux Chambres et l'introduction de la fonction de vice-Président deviendra alors effective. Bien que nous ne puissions pas percer tous les mystères de la biologie, il y a de fortes probabilités que Bouteflika n'achève pas son mandat (il devrait avoir 82 ans en 2019) et qu'il décède au cours de celui-ci au regard de son âge et de son état de santé. Ce serait alors le «vice-Président» qui terminerait le mandat en qualité de chef d'Etat et qui se représenterait en 2019. En élaborant un tel scénario, les «décideurs» pensent être «tranquilles» pendant dix ans tout en pérennisant le système. Le principal désaccord ne porte pas sur ce scénario, mais sur les hommes qui devront l'incarner.
- Vous soulignez, à juste titre, qu'organiquement, «l'armée est la maison-mère du DRS». N'estimez-vous pas, comme certains analystes inclinent à le penser, que cette «guerre de pouvoir» opposerait plutôt des clans à l'intérieur de l'institution militaire, précisément entre le DRS et l'état-major ?
Depuis son arrivée à la tête de l'Etat, Bouteflika s'est employé méthodiquement à cliver la société, à exacerber les régionalismes, à laminer les partis politiques, à clientéliser la société civile et à diviser l'armée. Aujourd'hui, la situation est grave et inquiétante car la crise est multidimensionnelle. Une guerre sourde et discrète oppose des clans au sein du DRS. Une autre guerre oppose une partie du DRS et l'état-major et une troisième oppose aussi des clans au sein de l'état-major. D'aucuns ont entendu récemment parler de l'affaire de l'interpellation du général Hassan. Ce que je vais vous dire renseigne sur une certaine réalité : je peux certifier et témoigner que les premiers à avoir informé les médias de cette «arrestation» sont Amar Saadani en personne et des hommes qui lui sont proches ainsi que des officiers du DRS probablement liés au «clan présidentiel». Si toutes ces personnes se sont empressées de véhiculer une telle information en la dramatisant à l'envi, ce n'est pas, vous l'imaginez, par souci de transparence ou par souci d'éclairer le peuple, mais par une volonté manipulatrice. De plus, je le dis clairement, en pesant le fait qu'il n'est pas de bon ton de dire du bien d'un officier supérieur de l'armée, a fortiori appartenant au DRS. Mais elle est tout de même bien drôle cette Algérie de Bouteflika et de Gaïd-Salah qui permet l'impunité aux voyous et aux corrompus, et qui va traîner dans la boue un officier supérieur ayant la réputation du général Hassan. Je sais que cet homme a consacré sa vie à servir son pays et ces vingt dernières années à combattre inlassablement le terrorisme islamiste qui continue de ronger l'Algérie. Je suis convaincu que cet officier supérieur fait l'objet d'une obscure cabale. Pourquoi une telle affirmation ? Lorsque j'ai réalisé mes entretiens et mes investigations pour écrire les ouvrages précédemment cités – et on ne pourra pas m'accuser d'avoir alors montré une quelconque complaisance à l'égard de Bouteflika ou à l'égard du DRS – tous mes interlocuteurs, civils ou militaires, algériens ou étrangers, m'ont parlé, entre autres, du général Hassan comme d'un officier d'honneur, sérieux, compétent, patriote et intègre. Ils n'ont pas eu les mêmes appréciations à l'endroit de Gaïd-Salah notamment. Celui-là même qui a ordonné son interpellation, visiblement pour viser et affaiblir le général Toufik ou pour le faire réagir et le pousser ainsi à la faute. C'est dire qu'il y a des responsables, civils et militaires, qui jouent actuellement avec le feu. Lorsqu'entre 2009 et 2011, je réalisais mes entretiens pour rédiger mes deux ouvrages, j'avais déjà senti l'existence d'une fissure au sein du pouvoir, celle-là même qui se manifeste aujourd'hui au grand jour. J'ai pu alors rencontrer différents responsables qui ont accepté de parler. Ce dont ils n'étaient pas coutumiers jusque-là. Certains étaient motivés par des considérations claniques, d'autres ont vraiment montré qu'ils avaient tout simplement peur pour leur pays et qu'ils voulaient, à leur façon, en livrant quelques informations au journaliste que je suis, tirer la sonnette d'alarme. Je réalise aujourd'hui, à l'aune de toutes ces rencontres et de toutes les fissures qui s'expriment par médias interposés, que les divisions sont bien réelles, mais surtout profondes.
- Dans une tribune publiée dans le Huffington Post le 31 janvier dernier, vous pariez sur le fait que Bouteflika va se présenter, quel que soit son état de santé, et va décrocher sans encombre le quatrième mandat moyennant «cinq magouilles». Qu'est-ce qui l'empêche, selon vous, d'annoncer ses intentions et de mettre un terme à ce suspense ?
Gardons à l'esprit que, d'une manière générale, y compris dans les pays démocratiques, le «Président sortant» annonce sa candidature à la toute dernière minute. De plus, rappelez-vous que Bouteflika, lors de ses deux précédents mandats, avait longtemps attendu avant d'officialiser sa «candidature». Je vous livre des informations en ma possession. Des sources que je juge crédibles me disent que Bouteflika annoncerait sa «candidature» à l'issue de la tripartite et de l'anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures, par simple communiqué, et après avoir fait des annonces relatives à des augmentations salariales touchant plusieurs branches professionnelles et autres annonces d'ordre social. Selon les mêmes sources, cette annonce pourrait intervenir entre le 20 février et le 2 mars. Vous imaginez que si elle devenait effective, Bouteflika va bel et bien entamer un 4e mandat et que l'«élection» serait dès lors pliée. Il faudrait alors demander à Benbitour et à Benflis ainsi qu'aux candidats qui seraient retenus par le Conseil constitutionnel si leur engagement dans une course qui n'en sera pas une est le fruit d'une naïveté politique ou d'un marchandage politicien. Il est clair que participer à une «élection» entachée d'une fraude très sophistiquée est une légitimation d'une usurpation dont les victimes sont l'Algérie, le peuple algérien et la démocratie.
- On prête à Saïd Bouteflika des pouvoirs exorbitants au palais d'El Mouradia. Dans votre livre, Bouteflika, ses parrains et ses larbins, vous le décrivez comme une «version algérienne de Leïla Trabelsi». Comment jugez-vous son rôle dans cette lutte de clans ?
Admettons que Saïd Bouteflika soit innocent de tout ce dont on l'accuse. Admettons-le ! Un homme honni par le peuple, critiqué par les médias et dont le nom est mêlé, à tort ou à raison, à plusieurs affaires scabreuses aurait démissionné pour préserver le Président, l'institution présidentielle et l'image de l'Algérie. Si tous ceux qui le critiquent et le honnissent avaient été injustes à son endroit, et s'il n'était pas, lui et son frère, nourri par une approche autocratique, oui, il serait revenu à son métier d'enseignant. Par dignité, par esprit de responsabilité et par patriotisme, un homme digne de ce nom aurait quitté toute fonction officielle et se serait fait oublier. Mais Saïd Bouteflika est aussi têtu et arrogant que son frère et, à l'évidence, il a goûté au pouvoir et craint de s'en séparer. Avec des mots peu amènes, je sais qu'à maintes reprises, il a affirmé à ses connaissances qu'il était hors de question, pour lui et pour son frère, de céder le pouvoir, quitte à créer la confusion. Il y a quelques mois, j'aurais pu penser que ces témoignages étaient exagérés. Aujourd'hui, nous avons tous la preuve que ces gens n'en ont cure du pays. Seuls leurs intérêts comptent. Et après eux, le déluge ! En réalité, dès le second mandat, Saïd Bouteflika a commencé à monter en puissance et à s'arroger le droit, car frangin du Président, de s'accaparer indûment quelques attributions de souveraineté. Oui ! Il est à l'Algérie ce que Leïla Trabelsi fut à la Tunisie. C'est lui qui actionne, pour le compte de la Présidence, j'en ai l'intime conviction et des informations, à la fois Amar Ghoul, Amar Saadani, Amara Benyounès et quelques autres obligés, arrivistes notoires, aimant le pouvoir, ses fastes et ses affaires. C'est lui qui favorise ou défavorise certains opérateurs économiques. Aujourd'hui, en soufflant à l'oreille de Gaïd-Salah et à celle de son frère aîné, il fait et défait des généraux, nomme et dégomme des ministres, érige des milliardaires et provoque des faillites. La clientèle politico-militaro-affairiste de Saïd Bouteflika est plus large que ce que l'on croit. C'est là l'illustration d'une défaite morale qui permet à un système quasi mafieux de s'imposer grâce au renoncement quasi généralisé, celui des élites démissionnaires et celui d'un peuple souffrant d'un syndrome post-traumatique, résultat immédiat des années de terrorisme. Un peuple anesthésié aussi par ces politiques et ces matraquages mêlant nationalisme exacerbé et bigoterie abrutissante. Une partie du peuple croit aimer Bouteflika, mais elle l'aime comme on aime un père fouettard qui a réussi à faire croire qu'après lui ce serait à la fois la misère, le chaos, la violence et l'inconnu…
- En passant en revue les forces en présence, quelle alternative aux desseins présidentiels vous paraît-elle la plus plausible ? Dans l'Etat-DRS, vous dites que la solution pourrait venir des jeunes cadres de l'ANP, des «officiers patriotes et diplômés». Qui serait, le cas échéant, leur candidat ? Ali Benflis ?
S'agissant de Ali Benflis, je sais que c'est «un fils de bonne famille» comme on dit généralement en Algérie. Mon éloge va néanmoins s'arrêter là. Benflis est comme l'écrasante majorité de nos «hommes politiques». Ils restent chez eux, jouissent de leur retraite pour les plus honnêtes, de leurs magouilles pour les autres, méprisent le peuple, font et défont la politique et le monde dans des salons algérois ou à l'étranger, mais ne militent jamais. Ils ne prennent aucun risque. Ils ne cherchent pas à mobiliser au quotidien autour d'un vrai projet politique. Ils attendent. Non ! Ils n'attendent pas Godot, mais le général Toufik (ou un autre) qui viendrait les inviter, en leur déroulant le tapis rouge de la fraude, qui les emmènerait tout droit à la Présidence. Voilà une autre trahison : celle-là n'est pas le fait des frères Bouteflika ni celle des galonnés, mais de ces pseudo-politiciens qui prétendent admirer feu Nelson Mandela mais sont incapables de prendre le risque de salir ne serait-ce que leurs chaussures ; qui soutiennent, disent-ils, tous les «mouvements révolutionnaires» et le «Printemps arabe» mais qui ont peur d'une simple matraque d'un garde communal. A un moment donné, il faut oser tenir aux Algériens un discours de vérité : il n'y a aujourd'hui aucun candidat qui puisse faire «consensus» hormis Bouteflika. C'est malheureux de se l'avouer, mais c'est la triste réalité. Les uns et les autres savent ce que valent, politiquement parlant, les Hamrouche, Benbitour, Benflis et consorts. Ils sont sinon pour un conservatisme destructeur, au moins pour une alliance avec les islamistes ou pour une logique revancharde. Beaucoup d'entre eux n'ont tout simplement pas le niveau pour diriger un Etat. Changer un clientélisme qui puiserait sa source à Tlemcen par un autre qui s'alimenterait à Batna (ou ailleurs) ne sert strictement à rien. Il est quand même triste que la bipolarisation de la vie politique algérienne n'oppose pas un parti aux affaires et un autre dans l'opposition. Il est tout aussi triste pour le peuple et pour ceux qui se disent «opposants démocrates» que le seul vrai «parti» opposé aux visées de Bouteflika ait pour nom le DRS. Pour l'après-Bouteflika, l'homme qui semble avoir les faveurs d'une large partie du pouvoir est Ahmed Ouyahia. Mais ce responsable politique – même s'il a servi ce régime – accumule les «tares» aux yeux de beaucoup d'hommes forts qui continuent de peser à l'intérieur du système : il est intelligent, très instruit, opposé à l'islam politique et, de surcroît, Kabyle. Mais quoi qu'il en soit, il serait, à mon humble avis, le moins pire et il possède incontestablement l'expérience et les capacités intellectuelles pour devenir le meilleur, surtout s'il accepte de se démarquer d'une politique qui a érigé la médiocrité en dogme. De manière cynique et froide, je dirais : si l'Algérie est condamnée à être dirigée par des autocrates ; autant qu'ils soient énarques, car franchement, les abrutis sont une circonstance aggravante. Les autres noms qui circulent sont ceux de Sellal (l'actuel Premier ministre) et Lamamra (ministre des Affaires étrangères). En vérité, nous arrivons à la fin d'un cycle. Le système ne pourra plus, après Bouteflika, se targuer de la fameuse «légitimité historique». Le vivier s'est tari car Bouteflika est le plus jeune de sa génération. D'où la gérontocratie. En même temps, le même système, intellectuellement, politiquement et psychologiquement, est incapable d'aller vers la «légitimité démocratique» car il n'a pas confiance en son peuple qu'il ne cesse d'infantiliser. De plus, comme il a brimé toutes les potentialités qui voulaient faire de la politique en étant affranchies de l'armée et de ses «services», ce même système a créé les conditions du vide afin d'être le seul à même de désigner et d'enfanter le «candidat» qui sera appelé à le représenter. Je ne vois pas de solution viable et démocratique, hormis celle qui inciterait de nouveaux acteurs à se retrousser les manches, à élaborer un vrai projet politique et à aller à la rencontre d'un peuple laminé par un demi-siècle de mauvaise gouvernance et tenter de le convaincre, de le faire adhérer. A long terme, c'est la seule voie qui pourrait permettre à l'Algérie d'être pérenne et d'éviter une somalisation.