L'arrivée, hier en Algérie, du nouvel émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, est loin d'être anodine. Théoriquement, le jeune souverain ne devrait pas être le bienvenu en Algérie, tant la stratégie diplomatique qu'il mène, tout comme celle de son père, paraît pour le moins largement décalée, voire contradictoire avec celle suivie par l'Algérie. Mais cela est juste en théorie. Cheikh Tamim sait qu'il pourra compter sur un coup de pouce du régime algérien, bien qu'il ne partage sa façon de voir le monde… arabe. Il débarque en ce début de printemps à Alger pour s'offrir un peu d'air frais, loin du Golfe étouffant où il n'est plus en odeur de sainteté chez ses frères de sang, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn. Isolé depuis le 5 mars dernier, quand ses trois partenaires au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) eurent décidé de rappeler leurs ambassadeurs à Doha, le petit émirat cherche de nouveaux alliés arabes. Le fait est qu'avant d'arriver en Algérie, le jeune émir et son MAE, Khaled Ben Mohamed Al Attia, ont fait une escale de quelques heures au Soudan, dont il est le principal financier. Après l'Algérie, l'émir fera également un saut en Tunisie pour y rencontrer son ami Ghannouchi, seul fruit plus au moins mur de ce «printemps arabe» made in Qatar… Que peut donc attendre l'Algérie d'un émirat qui la snobait presque, durant le «printemps arabe» notamment par la voix de l'ex-chef de la diplomatie ? Tout le monde se souvient de la formule arrogante de Hamad Bin Jassem (HBJ), qui avait lancé en plein sommet arabe à son homologue algérien d'alors, Mourad Medelci : «Votre tour arrivera ! ». Mais les temps ont changé et la peur aussi. Désormais c'est le Qatar qui est mal dans sa peau. Cerné par les membres du Conseil de coopération du Golfe qui lui font payer son soutien politique, médiatique, financier et militaire aux Frères musulmans et leurs pendants terroristes en Syrie, le petit émirat sent le vent tourner dans le mauvais sens. Excommunié du CCG Facteur aggravant, il s'est mis à dos la grande puissance régionale qu'est l'Egypte en condamnant le coup d'Etat contre Morsi et dénonçant l'Etat de fait des militaires. Au-delà de sa pertinence, une telle position aura consacré l'isolement du Qatar par les pays qui font la décision au sein de la Ligue arabe. En revanche, ses partenaires du CCG se sont empressés d'adouber les nouvelles autorités égyptiennes en mettant la main à la poche pour soutenir Al Sissi et compagnie. Last but not least, le richissime émirat à du souci à se faire, y compris sur sa propre souveraineté. Le général Dhahi Khalfane, ancien chef de la police de Dubaï promu numéro deux de la sécurité de l'émirat, a jeté un pavé dans la mare mardi dans un Tweet explosif. «Nous réclamons de récupérer le Qatar à la frontière duquel nous devons dresser comme pancarte ‘'huitième membre'' des Emirats». Alger-Doha, si loin… Si proches En lâchant une bombe pareille, le général émirati avertit fermement les dignitaires de l'émirat leur signifiant que tous les coups pourraient être permis… Et le Qatar n'est plus un partenaire aussi précieux (sans jeu de mots) comme il l'était jusque-là. Le début de normalisation avec l'Iran pourrait réduire à néant son poids dans la géopolitique du Moyen-Orient. Et les gros carnets de chèque ne lui seraient d'aucun secours tant l'Arabie Saoudite et les Emirats ne se feront pas prier pour financer les remodelages régionaux pensés à Washington. Autrement dit, la sous-traitance diplomatique du petit émirat pour le compte des Etats-Unis tire peut-être à sa fin. D'où probablement cette quête éperdue de nouveaux alliés arabes au Maghreb qui, espère le nouvel émir, pourraient faire contrepoids avec le groupe du CCG plus l'Egypte. Mais si pour l'Algérie ce retour du «vilain petit Qatar» à de meilleurs sentiments est bon à prendre ne serait-ce que pour soigner sa propagande interne, il n y a objectivement aucune possibilité de voir les courbes algériennes et qataries se croiser. Qu'il s'agisse des dossiers de la Syrie, de l'Egypte et de la Libye, Alger et Doha sont tellement loin l'une de l'autre. Mais en politique comme en diplomatie, la photo de famille et le tapis rouge valent parfois plus que les divergences de positions, réduites en la circonstance à des «commentaires de presse» par confort de langage. Mais pour le régime de Bouteflika qui s'apprête à faire passer sa pilule du 4e mandat, un petit Qatar est toujours le bienvenu, fut-il vilain… L'amitié, même feinte, n'est pas de refus. C'est le prix à payer pour donner un peu de clinquant à une diplomatie sans rancœur, ni rancune. Exit la propagande des médias publics sur la diplomatie de cet émirat qui a fait passer une très mauvaise saison à l'Algérie durant le long «printemps arabe».