El Hadj Zouied Amar, un octogénaire à l'allure alerte, en a le cœur gros. Il est le dernier ami d'enfance et compagnon d'armes de l'illustre martyr de la Révolution, Zighoud Youcef, qui était à la tête du Nord-Constantinois lors du combat libérateur. La commémoration toute prochaine des attaques massives contre les forces coloniales de la garnison de Constantine menées de main de maître à partir du 20 août 1955 par les maquisards de l'ALN commandés par Si Youcef ne fait qu'exacerber le sentiment à la fois acide et irrésistiblement désappointé d'El Hadj Zouied, alias Eddib (le loup, nom de guerre attribué à ce dernier dans les maquis de Boukerker qui chevauchent les wilayas de Mila et Constantine). Il se souvient des années passées à user le fond de ses culottes dès l'année 1927 avec « (son) ami intime Zighoud » sur les bancs de l'école coloniale du centre de Condé-Smendou (ancienne appellation de la commune qui porte le nom du glorieux chahid), de la déception indicible consécutive à leur échec commun à décrocher le certificat de fin d'études, de l'arrivée de « (son) commandant » au village après avoir déménagé de la mechta Souadek suite au décès du père de ce dernier, de sa mère et surtout de sa sœur Zoubida qui avait presque le même âge, « une fille exquise et fort sympathique », nous précise-t-il, de leur virée chez le maçon Maurice Pirès où ils apprirent à gagner leur croûte, puis de l'association à parts égales avec Paul Brunel, propriétaire, à cette époque, de la plus grande forge de l'agglomération. Puis ce fut 1945 : Demagh-Latrous d'El Harrouch, Talbi, cheïkh Boulaâres, Boulala Hocine, Boulahfaoui, Zighoud (tous décédés) et El Hadj Zouied deviennent des militants convaincus du PPA/MTLD. Jusqu'à la scission qui vit l'illustre martyr devenir un irréductible convaincu du CRUA qui allait être l'embryon à la genèse du FLN. Aâmi Amar devint alors l'agent de liaison personnel de Zighoud pour tout le Nord-Constantinois et commença la lutte le 1er octobre 1954 (un mois avant le déclenchement de la Révolution, dans la nuit de la Toussaint) par la distribution des premiers tracts appelant à l'insurrection, et ce, en direction, notamment, des chouhada Aouati, Belahcini, Boudjenana et Rachi. Cet événement fut suivi par l'attaque de la brigade des gardes mobiles de Smendou et l'incontournable montée au maquis de Boukerker. Le 2 juin 1955, El Hadj Zouied fut fait prisonnier et interné dans les geôles du sinistre camp de haute sécurité de Bossuet à 13 km de Tiaret. Il n'en sortit que le 22 août 1960 et fut soumis à résidence surveillée jusqu'à l'indépendance. Son compagnon Zighoud Youcef tomba, quant à lui, au champ d'honneur quelques mois après son internement. Il se souvient qu'à l'annonce de sa mort tout le camp se mit en rébellion ouverte. Cette dernière « fut matée de main de fer » par l'administration pénitentiaire de l'époque. Actuellement, notre moudjahid croupit dans un minuscule trois pièces, lui, sa femme et ses 6 filles, au centre de la ville de Zighoud Youcef, un immeuble en copropriété avec sanitaires communs.