Une semaine après le lancement de la campagne électorale, Aïn Laâlam s'est vue offrir un quota d'une centaine de logements ruraux N'y a-t-il pas cause à effet entre l'échéance du 17 avril et ce «cadeau» espéré depuis plus d'une décennie par une population qui en avait fait une priorité, avant même le travail ? Virée dans ce village juché dans l'isolement sur une haute colline, à l'orée des monts Sebaâ Chioukh qui font frontière entre les wilayas de Aïn Témouchent et Tlemcen. A 20 km du chef-lieu de wilaya et à mi-chemin de Aïn Tolba, son chef-lieu de commune, l'entrée de Aïn Laâlam se présente après une montée de 2 km en quittant, par une bifurcation, la RN35. Un pâté de maisons agglutinées autour d'une petite mosquée peinte en vert apparaît en premier ; 100 mètres plus loin, en suivant la route tournant à droite, le pâté se positionne à gauche d'une rue principale qui structure le village. Sur la gauche sont alignés une dizaine de locaux commerciaux de 16 m2 chacun, tous d'un programme présidentiel dont l'incongruité le dispute à l'aberration, plantés qu'ils sont sous le même moule qu'en ville. Certains locaux, faute de financement de leurs bénéficiaires par l'un des dispositifs d'aide à l'emploi des jeunes, sont fermés. Le local qui fait office de café, exiguïté oblige, a ses trois tables en plastique disposées dehors. S'il pleut, pas moyen de se mettre à l'abri. Quatre à cinq affiches du candidat Bouteflika sont collées, non sur un site prévu à cet effet, mais en hauteur, sur la devanture des locaux. C'est le seul indice de la campagne électorale en cours. Ici, la propagande politique c'est d'abord et surtout le travail de proximité. Lorsqu'on rappelle à nos interlocuteurs qu'électoralement, Aïn Laâlam représente bien peu – 900 électeurs inscrits sur 1200 habitants – l'un d'eux réagit vivement : «Il faut croire que ces voix ont finalement commencé par compter pour qu'on se rappelle de nous !» Car à Aïn Laâlam, tout le monde vote. Un autre de nos vis-à-vis, qui supervise habituellement le centre des élections, certifie : «On ne sait pas, chez nous, ce qu'est l'abstention.» Pour un troisième intervenant, Bekkouche Lakhdar, il n'est pas question de gâter son plaisir en se triturant l'esprit pour savoir si l'autorité cherche à acheter les voix des habitants : «La fois où l'autorité s'était rappelé de notre existence, c'est en décembre 1999, parce que notre douar a été l'épicentre du séisme qui avait sinistré la wilaya. Il avait alors bénéficié, pour sa reconstruction, de 70 logements ruraux dont malheureusement seuls 34 ont été réalisés en totalité en 2003, alors que le reste demeure à ce jour à l'état de gourbis, sans électricité ni assainissement.» Propagande politique Lakhdar, qui se bat bec et ongles depuis des années pour son village, préside l'association de quartier Essalam. En fait, c'est l'association du douar : «Mais que faire, la réglementation ne reconnaît que l'association de quartier, comme si Aïn Laâlam était un quartier inclus dans l'agglomération du chef-lieu de commune !» Lorsqu'on relève que le hameau d'avant 1999 a tout de même triplé de superficie, nos interlocuteurs rappellent que parce que l'agglomération avait été rayée de la carte, il a fallu la reconstruire : «Nous en avons profité pour agrandir l'espace vital et réduire le niveau d'entassement dans nos haouchs. Nous l'avons fait avec de maigres aides publiques, des aides à la reconstruction, curieusement arrêtées à hauteur de 200 000 DA alors qu'en ville, le montant accordé atteignait 300 000 DA.» Avec le nouveau quota de logements – 126 – le village respire. Il s'est empressé de construire, le lendemain même du traçage des parcelles par les services techniques de l'APC. La majorité des bénéficiaires n'a même pas attendu une décision officielle d'affectation individuelle ni le versement de la subvention de la CNL : «Nous ici, on ne s'est jamais plaint du chômage, mais du manque de logements. On vit à l'étroit chez nous. La famille nucléaire, on ne sait pas ce que c'est. Le village perd chaque année une partie de ses enfants. Ils sont plus nombreux ailleurs qu'ici. La terre ne fournit pas assez de travail. La solidarité traditionnelle supplée au reste, chacune des 250 familles compte un ou deux de ses membres qui sont militaires ou fonctionnaires et font vivre les autres. On vit plutôt en communauté, d'où le fait que la consigne de vote passe, ici.» Aïn Laâlam, selon d'autres interlocuteurs, se plaît à croire que si elle reconnaît depuis quelque temps un meilleur sort, c'est parce que l'APC à majorité RND de Aïn Tolba est tombée aux dernières municipales. On oublie que le Premier ministre est passé à Aïn Témouchent, il y a trois mois, avec dans sa hotte de père Noël, comme il s'était défini lui-même, une cagnotte de 23 milliards de dinars dont une bonne part réservée au volet habitat. Non, on tient plutôt à la version du changement de majorité à l'APC, celle-ci ayant entraîné la chute du délégué communal imposé à Aïn Laâlam par Aïn Tolba durant trois mandats. «C'est pourtant un enfant du douar, mais qui était élu à chaque fois avec le surplus des voix gagnées par le RND, liste unique oblige, à Aïn Tolba, alors qu'à Aïn Laâlam, il était désavoué à chaque scrutin.» On monte au pinacle le nouveau délégué communal FLN car, à Aïn Laâlam, on ne connaît d'autre sigle partisan que celui-ci et celui du RND : «Nous attendons beaucoup de notre délégué. Que va-t-il pouvoir faire alors que seulement 70 lots de 99 m2 ont été tracés ? Où va-t-il trouver l'espace pour les 126 qui lui ont été concédés par le maire ? Que va-t-il faire pour satisfaire le reste des 304 demandes qu'il a enregistrées ?» Sollicité sur ces interrogations, l'édile indique qu'il dispose d'un espace pouvant accueillir 39 lots, un terrain qui pour l'heure est inondé par les eaux usées. Il espère trouver une oreille attentive auprès du conseil municipal pour financer l'éloignement du rejet des égouts. Mais que faire pour le reste comme pour les programmes à venir s'il y en a ? Faut-il prendre sur les terres agricoles ? C'est la seule alternative envisageable, répond-il. Pourquoi ne pas construire en hauteur ? «Mais le logement rural est individuel !» En définitive, la solution imposée est un problème parce que, lui a-t-on assuré, ici, il n'est pas question d'autres types de logement peu consommateurs d'espace. Pour sa part, l'édile est préoccupé par un autre souci, celui d'une autre solution qui, sur la durée, s'est transformée en problème. En effet, le village avait bénéficié d'un centre de soins à la faveur du séisme de 1999. Bâti en structure légère, il a dépassé sa durée de vie mais, surtout, contient de l'amiante. On veut lui faire admettre que tant que les fibres d'amiante ne commencent pas à s'effilocher, il n'y a aucun problème pour la santé ! En le quittant, voyant débouler un microbus de transport, un de nos accompagnateurs réagit avant que nous formulions une remarque : «Regardez-le, il est vide. Vendredi et samedi, il n'y a pas de transport public. Il n'y a que deux navettes les jours ouvrables. Pourquoi les bus de la ligne Témouchent-Tlemcen s'arrêtent-ils à tous les villages et pas dans le nôtre ? Ne sommes-nous pas, nous aussi, des Algériens ? Pourtant, on ne demande pas que les bus grimpent jusque chez nous, mais qu'ils fassent juste un arrêt à l'embranchement. Pour les 2 km restants, c'est notre problème, l'essentiel étant qu'on puisse partir et revenir quand on veut.» Un autre villageois explique que le désenclavement du douar ne sera véritablement effectif que si les wilayas de Tlemcen et de Aïn Témouchent s'engagent dans un développement complémentaire du réseau routier : «Savez-vous que Aïn Laâlam n'est qu'à 7 km au sud-ouest du chef-lieu de commune, Sebaâ Chioukh ? Ne peut-on relier les deux agglomérations par une route, ce qui aurait des retombées au plan socioéconomique considérables pour leur désenclavement ? Les 17 000 habitants de Sebaâ Chioukh ont présenté cette demande à leur wali et nous à nos autorités, mais il n'y a eu personne pour entendre.» Faut-il attendre d'autres présidentielles pour que toutes les Aïn Laâlam d'Algérie soient moins mal-aimées ?