C 'est demain que Abdelaziz Bouteflika, vainqueur officiel de l'élection présidentielle du 17 avril, prêtera serment pour devenir président de la République pour un quatrième mandat. La cérémonie aura lieu au moment où des questions se posent pour savoir comment fera le président de la République pour former un nouveau gouvernement, alors qu'il est juridiquement impossible de limoger l'actuel gouvernement, illégitime. Depuis le 13 mars, en effet, Bouteflika a créé une situation de blocage institutionnel grâce à une décision anticonstitutionnelle dont les conséquences sont d'une extrême gravité, y compris pour lui. Car en limogeant ce jour-là le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, tout en gardant son gouvernement, Bouteflika a violé l'article 86 de la Constitution – qui stipule que «le Premier ministre peut présenter au président de la République la démission du gouvernement». Une chaîne de dysfonctionnements juridiques est provoquée par cet acte digne d'un royaume où les lois sont faites et défaites selon les desiderata du seigneur. «Bouteflika a gardé un corps sans tête, c'est une hérésie juridique», déclare Abdallah Haboul, ex-magistrat et spécialiste du droit public. Pourquoi ? «Parce que la démission est un attribut du ressort exclusif du Premier ministre, conformément à l'article 86 de la Constitution, mais dans le cas actuel, il n'y a pas de Premier ministre. Celui qu'on désigne comme Premier ministre par intérim n'a ni la qualité ni le pouvoir pour présenter la démission du gouvernement. Yousfi n'a pas d'autorité sur les ministres, ils n'ont pas été désignés suite à sa consultation», explique M. Haboul. Ce énième viol de la Constitution s'explique, sans doute, par le souci du clan d'éviter une procédure longue et handicapante pour la garantie du quatrième mandat. Car la formation d'un nouveau gouvernement aurait nécessité la présentation d'un programme devant les deux Chambres parlementaires, performance impossible à réaliser dans le court laps de temps d'un mois avant l'échéance électorale, d'autant que le gouvernement, transformé en comité de soutien du président-candidat, devait sillonner les wilayas sans attendre. Le limogeage de Sellal est donc le fait d'un prince qui ne se soucie guère des formes. Certes l'article 77 alinéa 5 de la Constitution permet au président de la République de mettre fin aux fonctions du Premier ministre, «mais une telle décision implique de facto le départ du gouvernement. Et le Premier ministre, limogé, est le seul fondé de pouvoir pour révoquer son gouvernement. Même Bouteflika ne peut pas le faire, d'où le piège juridique et la question : qui peut faire partir ce gouvernement en place et comment ?» s'interroge encore Abdallah Haboul. Bricolage sur le Journal Officiel Inutile de regarder du côté de Youcef Yousfi car lui-même est illégitime sur le plan juridique. D'ailleurs, il n'y a qu'à observer, dans le détail, les derniers décrets parus dans le Journal officiel pour constater l'aberration. Exemple : le décret exécutif n°115-14 du 20 mars 2014 portant modification de la distribution des dépenses du budget de l'Etat en équipement pour l'exercice 2014. Les hommes de droit peuvent facilement déceler l'anomalie dans la forme de publication de ce décret qui ne fait pas référence au décret portant nomination du gouvernement, une mention impérative dans les visas de chaque texte juridique. M. Yousfi a occulté, sous l'œil approbateur du clan, une forme juridique fondamentale faute d'avoir la légitimité nécessaire pour signer correctement le texte juridique. Du jamais vu dans l'histoire politico-juridique du pays ! Le machiavélisme a ses limites et Bouteflika lui-même est piégé par son acte, d'autant plus qu'il ne peut sortir de ce piège qu'en continuant à défier la loi. Ou peut-être qu'il peut limoger individuellement les ministres ; en tout cas, il ne peut pas démettre le gouvernement comme entité juridique. Demain il devra jurer, la main sur le Saint Coran et devant l'ensemble des Algériens, qu'il défendra la Constitution.