Pour l'avocat Mokrane Aït Larbi, les amendements contenus dans le projet de révision constitutionnelle confortent le président de la République dans tous ses pouvoirs. Après un refus massif de la classe politique de l'invitation du pouvoir aux «consultations» sur la révision de la Constitution, la mouture proposée par la présidence de la République essuie des critiques des juristes. C'est au tour de l'éminent avocat Mokrane Aït Larbi de faire sa plaidoirie contre le projet en décortiquant les amendements. Figure de proue du barreau, M. Aït Larbi s'attaque d'emblée aux intentions affichées par les rédacteurs du document portant la séparation des pouvoirs, élément cardinal dans les équilibres institutionnels. «Il n'existe point de proposition montrant la volonté du pouvoir à séparer les pouvoirs. Car le président de la République restera toujours président du Conseil supérieur de la magistrature et le ministre de la Justice son vice-président. Le Président continuera à légiférer sans limite par ordonnance. Tout comme le Conseil constitutionnel qui est maintenu sous l'autorité du Président en désignant un tiers de ses membres, dont le Président et son adjoint», dissèque l'avocat dans un texte rendu public hier. Plus grave encore, ajoute-t-il, «l'article 164 bis proposé impose aux membres du Conseil constitutionnel de prêter serment devant le président de la République et non pas devant le Parlement». En définitive, les propositions contenues dans la mouture de la Présidence «confortent le président de la République dans sa fonction de chef de l'Exécutif avec les prérogatives de dissoudre le Parlement et de désigner un tiers du Sénat sans qu'il soit politiquement responsable devant aucune instance. Où est donc la séparation des pouvoirs», s'interroge M. Aït Larbi. Au chapitre de la justice, une question centrale et particulièrement chère à l'avocat, le «renforcement de son indépendance» tel que préconisé dans la mouture envoyée par Ahmed Ouyahia aux acteurs politiques et sociaux, rien d'exceptionnel, note l'avocat. «Il est ajouté un seul article dans le chapitre III relatif au pouvoir judiciaire, qui stipule la saisine du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par un juge en cas de pression et d'ingérence. Il est à se demander que peut le CSM dans ce cas, tant les pressions et les interférences viennent souvent du ministère de la Justice ou d'autres pouvoirs et surtout que le ministre de la Justice est lui-même vice-président de ce CSM ?», tance Mokrane Aït Larbi, qui fait de l'indépendance de la justice son cheval de bataille. Renforcement du rôle du Parlement ? Simples aménagements techniques. «Les réponses des ministres aux membres du Parlement est un droit qui n'a pas besoin d'un texte constitutionnel, parce que le refus de répondre est en soi une humiliation aux représentants du peuple et qui peut conduire à faire tomber tout le gouvernement, si les parlementaires étaient réellement des représentants du peuple», raille M. Aït Larbi. S'agissant de la consécration d'une séance par session au contrôle de l'action du gouvernement en présence obligatoire du Premier ministre, comme aux termes de l'article 99 bis, c'«est loin d'être un événement constitutionnel pour la simple raison que le gouvernement, dans les pays démocratiques, est soumis au contrôle du Parlement de manière hebdomadaire, en présence de tout le gouvernement, pour répondre aux questions des parlementaires en l'espace de deux minutes sans recours aux longs discours dont le but est de diluer les questions de l'heure en lieu et place de les clarifier», écrabouille l'ancien prisonnier politique. Les griefs de l'avocat ne s'arrêtent pas là. L'article 99 ter qui permet à chaque Chambre du Parlement de consacrer une séance mensuelle pour débattre de l'ordre du jour présenté par un groupe parlementaire de l'opposition n'aura aucun sens dès lors que «la proposition du groupe d'opposition est soumise au vote de la majorité», critique le magistrat, estimant que les propositions de révision de la Constitution «ne sont que techniques sans efficacité dans le contexte politique dominant», non sans s'interroger sur l'absence d'un article donnant la possibilité de créer des commissions d'enquête parlementaire sans recourir à la majorité. Défenseur tenace des droits et des liberté tant en sa qualité d'avocat que de militant des droits de l'homme, Mokrane Aït Larbi juge que les libertés consacrées dans la Constitution et dans les amendements proposés ne sont pas effectifs tant la Loi fondamentale permet de les «brider par des lois». «A quoi sert un texte constitutionnel autorisant la liberté de réunion, d'association et de manifestation pacifiques et ensuite vient une loi qui la soumet à l'autorisation du wali ? Pareil pour la création de partis politiques et associations qui est assujetti à l'autorisation pour tenir un congrès ou une réunion en dehors du siège du parti», brocarde l'avocat. Il énumère toute une série de cas où des droits sont bafoués : «Comment peut-on parler de procès équitable sans le respect de l'article 14 de la Convention internationale relative aux droits civils et politiques pourtant ratifiée par l'Algérie ? La liberté de la presse a-t-elle un sens lorsque la publicité publique est répartie selon l'allégeance et non pas en fonction du tirage ? Ces droits ont-ils un sens en l'absence d'une justice indépendante et des mécanismes de sanction en cas de violation d'un droit constitutionnel ?» La liste des griefs est longue. M. Aït Larbi n'a pas manqué de soulever l'exclusion de la langue amazighe dans les propositions de la Présidence. Mokrane Aït Larbi doute sérieusement de la volonté politique du régime. «Après ce bref exposé, on se demande où est le changement démocratique et où est la Constitution consensuelle», ironise l'avocat Ait Larbi.