Ils touchent moins que le salaire minimum garanti, ils ont des contrats à durée déterminée, ils n'ont qu'une couverture sociale partielle et leurs années de travail ne comptent pas dans les cotisations de retraite. Beaucoup d'entre eux sont diplômés (licenciés, techniciens supérieurs, etc.) mais déplorent d'être placés à titre contractuel dans des emplois qui ne correspondent pas à leurs diplômes dans des administrations publiques, des mairies ou les daïras. Quant aux autres, selon certains opérateurs économiques du secteur privé, ils seraient moins d'un quart à être recrutés à l'expiration de leur contrat dans les entreprises économiques. Eux, ce sont les personnes employés dans le cadre du dispositif d'aide à l'insertion professionnelle (DAIP). Un dispositif étatique, piloté par l'ANEM (agence nationale pour l'emploi) et destiné aux primo demandeurs d'emploi auxquels il doit permettre d'acquérir de «l'expérience moyennant un pré-salaire», explique-t-on au ministère du Travail et de la sécurité sociale. «Entre 2010 et 2013, leur nombre atteindrait les 1,3 million hors secteur économique». Ces emplois, censés n'être qu'un tremplin vers une vraie carrière professionnelle finissent par être le provisoire qui dure. Hassiba, 35 ans, diplômée en droit, travaille dans une daïra au service biométrie depuis 3 ans. «Je suis là de 8h à 16h30 pour 15 000 DA. Il n'y a aucun avenir.» Sur la soixantaine d'employés que compte cette administration, ils sont plus de la moitié issus du pré-emploi dans des postes où «la masse de travail à accomplir est la plus importante». Comme elle, ils sont plus d'une trentaine dans cette situation, en majorité des femmes. Certaines ont plus de 40 ans. Une mère de famille qui en est à sa 11e année passée dans les différentes formules du système étatique d'aide à l'emploi (filet social, DASS, ANEM), se retrouve à «42 ans, avec des enfants à charge, à toucher 6000 DA par mois», nous dit une des employées. Dans une commune de l'Est d'Alger, Réda, 37 ans, décrit la même précarité. Payé à 10 000 DA, ce TS en informatique a émargé au dispositif depuis six ans. «Les deux premières années, j'étais payé à 5400 DA. Là, je touche le double. Mais avec ce salaire, je suis obligé avec ma femme de squatter dans les 3 pièces des mes parents.» Il dit ne pas voir comment il pourrait en être autrement. Lourdeur Même avec 15 000 DA, Idriss Mekideche, psychologue de formation, mais employé depuis 5 ans comme agent dans une administration scolaire, affirme que «le projet de mariage relève du rêve.» Avec son salaire, il paye «à peine le café, les sandwiches et les frais du téléphone». De plus, le salaire n'est pas régulier : «on est payés tous les deux ou trois mois», témoigne Hassiba. Pour ceux qui sont placés au sein du secteur économique, il arrive que l'entreprise ne paye pas sa part. Car dans le cadre du Contrat de travail aidé (CTA), les placements au niveau des entreprises publiques et privées sont assortis d'une contribution de l'Etat qui va de 6000 à 12 000 DA. Cet apport est censé s'ajouter à la rémunération versée par l'employeur. «Le privé ne joue pas le jeu», soutient M. Mekideche, également porte-parole du Comité national des contractuels du pré-emploi et du filet social. Les employeurs s'en défendent pourtant. Djamel Mezine, chef d'entreprise, assure que les salaires dûs sont versés «entre 8000 et 12 000 DA», mais que «c'est l'ANEM qui paye avec des retards». Mais, selon lui, le vrai problème est ailleurs. Il réside dans la «lourdeur du dispositif» qui pèse aussi bien sur l'employeur que sur l'employé. Entre la date d'expression du besoin de recrutement et la prise en charge de la demande par l'ANEM, il faut compter «trois mois», dit-il. Pour lui, les entreprises doivent être capables de recruter elles-mêmes selon leurs besoins, sans passer par l'ANEM, qu'il considère comme «un élément bloquant qui crée le déficit sur le marché de l'emploi» du fait qu'elle centralise toutes les demandes. Démotivation L'autre souci est que «les jeunes ne sont pas vraiment impliqués et ne se sentent pas responsables. Pour eux, c'est plus une aide sociale». Résultat : à la fin du contrat ils partent. Dans le secteur économique, la durée maximum du contrat est d'un an, et au bout «on retient à peine 20%», indique M. Mezine. La plupart préfèrent partir dès «qu'ils ont une attestation de travail en main». Ils veulent aller tenter leur chance avec l'Ansej, ou simplement se faire faire un passeport pour aller voir ailleurs, dit-il. Mais ce qui vaut pour le secteur économique ne vaut pas pour le secteur administratif public, où l'envie est plutôt de garder l'emploi, avec ou contre son gré. «Nous travaillons à plein temps. On n'a même pas le temps de chercher un vrai travail», explique Idriss Mekideche. Au niveau du ministère Travail, on affirme qu'à l'issue de leur contrat (6 ans maximum), «les jeunes préfèrent rester car ils veulent être recrutés». Titularisation Etre titularisé, c'est exactement ce à quoi aspirent ces jeunes. D'ailleurs, plusieurs actions de protestation ont été organisées ces derniers mois à l'initiative de comités de contractuels avec ce slogan. Car, là où le bât blesse, c'est que dans certains cas ces contractuels sont employés dans des postes où il n'y a pas de titulaires. «A mon poste, il n'y a pas de titulaire, si je dois m'absenter il reste vacant», témoigne Hassiba. «On nous a promis de le faire avant les élections, mais jusque-là on ne voit toujours rien venir.» Pourtant, selon le ministère du Travail, des titularisations il y en a eu 170 000 entre 2010 et 2013. Certaines informations reprises par la presse font état de 30 000 autres d'ici la fin juin. Les critères de titularisation relèvent des «procédures internes» à chaque entreprise ou administration, mais quand il y a des concours, «les bénéficiaires du DAIP sont prioritaires. Leur période d'insertion leur vaut des points en plus», indique le représentant du ministère. Des propos que réfute M. Mekideche. Selon lui, «on organise des concours et on recrute des gens de l'extérieur, alors que les contractuels qui sont des diplômés attendent.» Selon lui, certains de ces concours sont entachés de «piston et de corruption». C'est d'ailleurs pour cela que le comité demande à ce que les concours de la fonction publique soient gelés jusqu'à ce que les contractuels soient titularisés. Vers un nouveau dispositif en 2015 En attendant la question des titularisations, un nouveau dispositif se prépare au niveau du gouvernement avec pour objectif de combler les carences de l'actuel en matière de couverture sociale, de retraite et d'exercice du droit syndical. Selon le ministère du Travail, le CPEJ (Contrat de premier emploi jeune) figure dans le programme du gouvernement, mais il n'a pas encore été examiné en conseil du gouvernement. Ce dernier veut poursuivre sur sa lancée et en finir avec les placements dans les administrations publiques «sauf dans les cas de renforcement du service public». Il s'agit de privilégier les secteurs économiques pour «augmenter les chances de recrutement à la fin des contrats», nous dit-on. Le nouveau dispositif ne devrait pas être opérationnel avant 2015, dans le cadre de la nouvelle loi de finances. S. B.