Sellal, comme Ouyahia en 1996 lors des consultations politiques lancées par Zeroual, dément tout retour probable de l'ex-FIS. Comme une fatalité, le débat sur le parti dissous ressurgit à chaque étape politique critique. Explications. «Quand on parle du retour probable de l'ex-FIS, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche ‘‘là-haut''.» Le constat de cet ancien haut fonctionnaire, qui a vécu les années 1990 au sein des appareils de l'Etat, est sans équivoque. Pour lui, «le FIS, son retour ou la littérature autour de ses figures, est une facette des tensions entre décideurs qui sortent les vieux dossiers endormis dans les placards, signifiant ainsi que rien n'a été réglé depuis 1992, que la crise de la légitimité est toujours là, qu'il faut solder les comptes des 200 000 morts, qu'il faut mettre au centre du débat le rôle de l'armée ou des services : c'est la boîte de Pandore du système». L'intense réaction indignée dans certains segments de la société et même du pouvoir, face à l'annonce du probable retour du parti de Abassi et de Benhadj, renseigne sur le fait que rien n'a été réglé depuis 1992 et les tentatives de transition interne du système. Zeroual le savait mieux que quiconque : en 1996, en pleine consultation sur la préparation des législatives de 1997, et alors que le débat sur la réforme constitutionnelle battait son plein, la question du retour du FIS sur la scène politique ressurgit. «Dès qu'on parle de réforme ou de transition, de consultation des ‘‘forces politiques'', la question de l'ex-FIS réapparaît et s'impose avec son lot de débats passionnels», explique un cadre du FLN. 1996 : Ahmed Ouyahia, alors chef de gouvernement, lança cette phrase qui s'inscrit à jamais dans le champ lexical politique du régime : «Le dossier du FIS est clos.» 2014 : Abdelmalek Sellal récidive : «Le FIS, en tant que parti, ne figure pas dans notre agenda.» Ce qui laisse tout de même perplexe un cadre de la Présidence : «On se demande pourquoi Sellal aujourd'hui comme Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur en 2004, se doivent de rabâcher ce qui est perçu comme une évidence : le FIS a été dissous par décision de la justice, et la charte pour la paix et la réconciliation interdit aux éléments de ce parti toute activité politique.» Choqué Mais la récurrence de ce «retour», qui n'en finit pas, «pose problème», relève un politologue : pourquoi tant d'insistance ? Parce que le régime lui-même a besoin du FIS comme un bourourou, un croque-mitaine politique qui fait taire la politique. «Parler du FIS, c'est revenir à la logique que tout mouvement horizontal qui conteste le régime ne peut déboucher que sur un bain de sang, c'est une manière de neutraliser l'action politique en Algérie, plus efficace que l'état d'urgence ou le refus des hôtels à donner des autorisations de réunion», précise le politologue. «Qui a parlé du FIS, de son retour ? Madani Mezrag, signataire d'un accord secret avec Smaïl Lamari, le patron défunt de l'ex-DCE, et Hachemi Sahnouni, qui fait la guerre aux ‘‘historiques'', comme Abassi et Benhadj. C'est un drôle de FIS qui va revenir !», commente un journaliste spécialiste des mouvements islamistes. Car si on revient à l'actualité brûlante, Sahnouni révèle sur Echourrouk TV (mercredi 4 juin) que le «pouvoir» a demandé à des anciens du FIS de constituer un parti. Pour sa part, Madani Mezrag, émir de l'ex-AIS (Armée islamique du salut, présentée comme le bras armé du FIS), pérore sur «le renouveau du FIS» dans le cadre des «consultations» sur la réforme constitutionnelle : il sera même reçu par le très éradicateur Ahmed Ouyahia, chef de cabinet de la Présidence, pour ces fameuses consultations : sans images bien sûr, le couple Ouyahia-Mezrag aurait choqué. «Choqué qui ?, se demande un ancien dirigeant du FIS, qui a accepté de parler sans citer son nom, ayant lui-même fait l'objet de plusieurs interdictions d'expression publique. Le FIS ce n'est pas Mezrag ou Abassi, ni moi-même ! Le FIS, c'est une volonté populaire librement exprimée et sauvagement réprimée par les militaires et ce pouvoir qui est toujours en place.» Et l'ancien dirigeant du parti dissous de s'emporter : «Le FIS n'est pas à vendre. Madani Mezrag, qui a signé derrière notre dos, nous les politiques du FIS, un accord secret avec le général Lamari, n'a pas le droit de parler au nom du FIS. Il n'a pas respecté la hiérarchie du parti, la primauté du politique sur le militaire au sein du FIS, même si des gens chez nous étaient pour la lutte armée, cette option n'est qu'une expression d'une partie des cadres du Front.» Un spécialiste de l'islamisme relève : «Le FIS n'arrête pas de revenir depuis 1992. Dès la dissolution du parti et l'emprisonnement de Abassi et Benhadj, les cadres du Front ont lancé, en interne, deux initiatives pour sauver ce qui pouvait être sauvé. Ahmed Merani, Bachir Fekih et El Hachemi Sahnouni, présentés comme des dissidents à la ligne Abassi-Benhadj, ont tenté de rassembler les lambeaux du parti frappé en plein fouet par la répression ; de son côté, Abdelkader Hachani (assassiné en 1999), qui ‘‘gérait'' le FIS après l'arrestation des chouyoukh, voulait lui aussi créer un nouveau mouvement. Mais les circonstances de cette période tendue ont mis en échec les uns et les autres.» C'est en partie une des raison pour lesquelles le retour du FIS restera à jamais un fantasme. Le Front reste un conglomérat de courants et de personnalités (djazaristes, afghans, anciens de la Daâwa, les FM, djihadistes, salafistes, etc.), et leur alliance possible dans les années 90 apparaît plus qu'improbable aujourd'hui, chaque mouvance ayant évolué depuis plus de deux décennies a suivi des trajectoires très différentes. Divisions Par ailleurs, personne ne peut évaluer sa base. «Même si elle n'en aurait, à l'image des partis politiques, pas besoin pour exister, l'idée qu'une large partie de la population adhère aux idées du FIS me semble un peu mythifiée. Reste qu'on ne connaît pas son impact sur la société dans son ensemble», analyse un politologue. «Le fameux retour du FIS a hanté les cadres du parti dissous durant ces deux décennies, bien qu'eux-mêmes soient les premiers à être sceptiques quant à ce projet : qu'en est-il de leur base ? Comment se réinsérer dans un champ politique qui reste fermé ? Comment gérer le solde des horreurs des années 1990 ? Quelle leçon tirer de leur isolement face aux autres mouvements islamistes ?, etc. Et surtout, c'est la fatale question du leadership qui va se poser entre plusieurs pôles : les exilés, les «militaires», le groupe d'Alger (Djeddi, Boukhamkham, etc.), ceux qui peuvent faire évoluer un compromis avec le système (Sahnouni, Merani, etc.), le groupe de Rachad… La guerre des chefs ne serait qu'encore plus terrible», rappelle le spécialiste des mouvements islamistes. «Le FIS part avec un handicap majeur : la violence des années 90, rappelle un ancien ministre.Pour l'opinion publique, il fait l'objet d'un rejet au même titre que le pouvoir. Nous sommes au XXIe siècle ! Le FIS hoummiste et insurrectionnel, c'est terminé ! Le FIS a été fort dans un moment quand existait une forte polarisation entre pouvoir et une force politique, de la rue, horizontale, qui menaçait réellement le régime. Aujourd'hui, on n'est plus dans ce rapport de forces. Il y a d'un côté le pouvoir, de l'autre la société, et quelque part au mieux, une opposition qui tente de se construire dans ce qui lui reste de débris d'idéologie.» Plutôt que de parler de «retour», un proche d'El Mouradia trouve plus raisonnable d'envisager une «réhabilitation». «Bouteflika tient tellement à son projet de réconciliation nationale — son seul véritable projet politique — qu'il n'est pas exclu qu'il le réhabilite en lui permettant de créer un parti sous un autre nom, par exemple, et en levant l'interdiction de participation à la vie politique.» Illusoire L'ancien dirigeant du FIS insiste : «La libération du champ de l'activité politique et le recouvrement de tous nos droits civiques sont nos préalables non négociables face au pouvoir pour commencer à parler d'un retour du FIS.» Un militant des droits de l'homme poursuit : «La dernière carte du régime sera le FIS. S'il vient à jouer cette carte, c'est plutôt bon signe. Cela voudrait dire qu'il est fini. Mais ce n'est pas sans risque. Le FIS rappelle au pouvoir son refus d'accepter le choix des urnes, le coup d'Etat, la guerre civile, les morts, les disparus, la torture... Pour les islamistes, ça leur remémore le terrorisme, leur refus, maintes fois proclamé, de la démocratie. Pour les uns, les Algériens n'étaient que des sujets qui ne savent pas voter, et pour les autres, des fidèles, qui ne peuvent qu'obéir. Ils ont en commun de ne pas reconnaître la citoyenneté. C'est cette question qu'il faut régler.» Une partie du pouvoir pensait conjurer le sort en brisant en mille morceaux cette boîte de Pandore ? «Illusoire ! insiste un spécialiste, car si on passe sous silence la problématique FIS, c'est toute la logique politique algérienne qu'on refuse de voir en face. Tout ce qui nous a menés à l'étape actuelle d'effondrement politique, social et moral.»