Si des générations d'Algériens ont nourri une passion de la musique populaire, ils le doivent largement à Guerouabi. Le chanteur avait eu ce talent formidable de faire l'unanimité autour du style dont il avait su devenir le représentant brillant et pour tout dire spontané. Encore jeune, au sortir des années soixante, Guerouabi avait su s'affirmer sans contester l'aura tutélaire de l'immense Hadj M'hamed El Anka, véritable statue du commandeur dont la personnalité forte irradiait le patrimoine chanté algérien. Sublime voisinage qui pouvait tétaniser plus d'un, car il n'était pas évident de marcher dans le sillon qu'avait creusé le maître. Il fallait vraiment être Guerouabi pour opérer une transition, faire le passage de relais, sans que cela ressemble à une brutale et tragique révolution de palais. L'art foncier du châabi ne se serait jamais remis d'une telle violence, fût-elle symbolique. L'itinéraire de Guerouabi est riche de cet utile enseignement sur la merveilleuse civilité de l'univers châabi. Les familiers de ce patrimoine, qui dit si profondément l'Algérie, mais aussi le Maghreb, gardent en mémoire ces magnifiques images en noir et blanc de l'ex-RTA où on voyait le jeune Guerouabi faire chorus à El Anka. Qui pouvait imaginer que le choriste dissimulait le futur continuateur ? La trajectoire de Guerouabi s'expliquait déjà par la détermination du chanteur à accomplir sa destinée artistique sans être le clone de quiconque. Guerouabi, et c'est son magistral trait de caractère, ne pouvait être que Guerouabi ! Beaucoup de chanteurs, à commencer par El Anka, ont par exemple repris El Harraz : d'où vient alors que la version de Guerouabi soit considérée comme la meilleure. C'est toute l'histoire du rapport public à l'artiste. Les Algériens, pour une grande part d'entre eux, avaient découvert Guerouabi à l'occasion de la semaine culturelle nationale qui s'était déroulée à Oran. Le chanteur y avait donné la mesure de son talent, mais il avait également réussi la prouesse de donner du sens à la modernité. C'est dans ces années-là que s'est imposé un Guerouabi novateur, imprégné de la majesté d'un patrimoine chaâbi dont il connaissait les profondeurs universelles. L'un des tout premiers, avec Mahboub Bati, il avait parlé au cœur des jeunes Algériens dans des textes qui parlaient aux jeunes d'Alger, de Tlemcen, de Batna, de Ouargla ou de Constantine. Guerouabi avait su, en cela, transcender l'entendement réducteur du terroir. C'est cette sérénité dans le parcours, soulignée par cette voix si souvent imitée, qui en fait un artiste emblématique de l'Algérie. En cela, il a été exemplaire.