Installé dans la précarité politique depuis des années, le Yémen a carrément plongé dans le chaos avant-hier soir après la démission du gouvernement suivie de celle du président Abd Rabo Mansour Hadi. Venu pour mener une transition et sortir son pays de l'instabilité politique et de la violence tribale, ethnique et religieuse, le président yéménite a fini par jeter l'éponge en affirmant que le Yémen est arrivé à une «impasse totale». La capitale Sanaa était sous le contrôle ferme d'une milice chiite d'Ansaruallah, aussi appelée houthie, qui s'y est installée depuis septembre dernier. Cette milice réclame plus de poids dans les institutions de l'Etat et conteste le projet de Constitution qui prévoit de faire du Yémen un Etat fédéral avec six régions. Les nouvelles tensions ont, en fait, culminé mardi dernier avec la prise du palais présidentiel par la milice chiite, après des combats ayant fait 35 morts et 94 blessés. Un accord de sortie de crise en neuf points a été annoncé mercredi soir, dans lequel les miliciens s'engageaient à se retirer du palais présidentiel, ainsi que de «toutes les positions surplombant la résidence du président» Abd Rabo Mansour Hadi. Sauf qu'ils y étaient toujours en force jeudi. Les houthis ont également promis de se retirer du secteur de la résidence du Premier ministre, Khaled Bahah, dans le centre-ville, et surtout de libérer le directeur de cabinet du Président, Ahmed Awad Ben Moubarak, qu'ils ont enlevé samedi mais aucune promesse n'a été tenue, ce qui a conduit à la démission du Premier ministre, Khaled Bahah. Celui-ci accuse d'ailleurs le président Hadi d'avoir fait beaucoup de concessions aux Houtis. Cet ancien ministre du Pétrole de 49 ans, qui avait été désigné le 13 octobre pour former le gouvernement, justifiera sa décision par le fait qu'«il veut éviter que les membres de son cabinet puissent être considérés comme responsables de ce qui se passe et de ce qui se passera au Yémen». Le Yémen, pièce maîtresse des USA Le Yémen, pièce maîtresse dans le dispositif américain de lutte contre Al Qaîda, était hier sans gouvernement et sans Président après la démission des deux chefs de l'Exécutif. Le Parlement, qui doit se prononcer sur la démission du président Abd Rabo Mansour Hadi, ne pourra, quant à lui, se réunir que demain en session extraordinaire. La tenue de cette réunion reste toutefois incertaine, vu l'imposant déploiement des miliciens d'Ansaruallah dans la capitale. Les violences, qui secouent ce pays depuis l'été, font craindre à terme un effondrement total de l'Etat, comme en Somalie. Or le gouvernement de Sanaa est considéré par Washington comme un allié stratégique dans la lutte contre Al Qaîda. Les Etats-Unis lui fournissent une aide militaire et utilisent des drones pour des frappes contre des responsables d'Al Qaîda. Le président Hadi avait été élu en 2012 après le départ d'Ali Abdallah Saleh, chassé du pouvoir par la rue dans la vague des Printemps arabes. C'est dans ce climat de crise générale, qu'un autre foyer de tension pourrait provoquer une nouvelle flambée de violences. Jeudi, trois hommes armés appartenant à des tribus sunnites de la province de Marib, à l'est de Sanaa, ont été tués dans une embuscade tendue par des miliciens chiites, qui ont perdu six hommes, selon un nouveau bilan fourni de source tribale. Le chef de la milice chiite, Abdel Malek Al Houthi, avait menacé, le 4 janvier, de prendre cette province riche en pétrole et en gaz naturel, que ses miliciens convoitent depuis leur entrée dans la capitale en septembre. Risques d'éclatement Mais les tribus sunnites de cette région, où Al Qaîda est également implantée, n'ont cessé depuis d'affirmer qu'elles s'y opposeraient par la force. D'autres tribus sunnites du reste du Yémen ont envoyé des renforts à Marib. Jeudi soir, quatre provinces du sud du Yémen, dont celle d'Aden, ont décidé de refuser les ordres venant de la capitale Sanaa et adressés aux unités militaires et aux forces de sécurité de ces régions, selon un communiqué de leur comité de sécurité publié jeudi soir. Le comité en charge des affaires militaires et de la sécurité des provinces d'Aden, de Lahj, de Daleh et d'Abyane loyales au président Abd Rabo Mansour Hadi, a indiqué avoir pris cette décision après la démission du chef de l'Etat et du Premier ministre, Khaled Bahah, sous la pression des miliciens chiites qui contrôlent Sanaa. Autant d'ingrédients qui présagent un véritable chaos. Un émissaire de l'ONU, Jamal Benomar, est arrivé jeudi à Sanaa, où il devrait présider en fin d'après-midi une réunion de toutes les factions politiques du pays, selon son bureau à Sanaa. Ce haut responsable va tenter d'apaiser les nouvelles tensions. Autant dire que dans le contexte actuel, sa mission s'annonce des plus difficiles.