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L'Etat reste otage de la maladie de Bouteflika : Qui décide de quoi en Algérie ?
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Publié dans El Watan le 16 - 04 - 2015

Bouteflika bouclera demain la première année de son quatrième mandat à la tête de l'Etat. Au moment où les menaces et les défis imposent la mobilisation de toutes les énergies du pays, les institutions continuent à être fragilisées par la «vacance» prolongée au niveau de la Présidence.
Avec la révision de la Constitution en décembre 2008, Bouteflika prenait tous les pouvoirs. Malgré son accident vasculaire cérébral d'avril 2013, il a postulé pour un 4e mandat. E n concentrant tous les pouvoirs entre ses mains avec la révision de la Constitution en décembre 2008, le président Bouteflika devenait de ce fait le seul centre de décision, l'unique qui existe à la lumière du dernier amendement de la Loi fondamentale, du moins en théorie.
Mais si, diminué par la maladie qui l'a atteint dès l'entame de son deuxième mandat d'abord puis suite à l'accident vasculaire cérébral qui l'a frappé en avril 2013, Bouteflika postule malgré tout à la magistrature suprême que son clan et lui arrachent dans des conditions très contestées par l'opposition et par l'Union européenne dans son dernier rapport sur l'élection présidentielle du 17 avril 2014, un document publié d'ailleurs tardivement.
Bien avant sa reconduction pour un 4e mandat déjà, l'incapacité du chef de l'Etat à accomplir les charges présidentielles impériales qu'il s'est donné n'était un secret pour personne. Beaucoup d'acteurs politiques, personnalités historiques et militants des droits de l'homme avaient revendiqué l'application de l'article 88 de la Constitution portant sur sa destitution ; certaines voix se sont élevées pour dire que ce n'est plus Bouteflika qui dirige les affaires du pays mais d'autres personnes, ses proches collaborateurs, essentiellement son frère et conseiller Saïd, entouré d'un conglomérat de puissants hommes d'affaires bien servis par le clan et devenus, au fil du temps, très influents.
Qu'est-il advenu de l'homme et de sa gouvernance ? A l'an I du 4e mandat, le roi est plus que jamais nu. Malgré les déclarations rassurantes de nationaux et d'étrangers – les premiers ayant succombé à l'attrait de la mangeoire, les seconds mus par les intérêts de leur pays – sur «la bonne santé du Président qui maîtriserait tous les dossiers et serait courant de tout ce qui se passe dans le monde», force est de constater que dans le pays, la confusion est générale. Y a-t-il un pilote dans l'avion ? Sûrement pas. En plus de l'absence de vision et de projets clairs inhérents à la «gouvernance» de Bouteflika, sa maladie n'a fait, au demeurant, qu'aggraver la fragilité d'un pays dont les dirigeants refusent de prendre la mesure.
Quel tableau nous offre à voir la gestion des affaires de l'Etat, une année après la reconduction de Bouteflika au palais d'El Mouradia ? Les derniers événements que nous a livrés la vie institutionnelle nationale renseignent sur l'étendue du désastre d'une gestion et des compétences très discutables des hommes qui la mènent. Le projet de révision constitutionnelle s'apparente déjà à une terrible cacophonie. Boycotté par l'opposition, le chantier lancé il y a quatre ans par le chef de l'Etat et qui n'arrive toujours pas à sortir des «laboratoires» de la Présidence semble avoir perdu et sa pertinence et son utilité.
Le télescopage des institutions sur sa teneur, les contradictions sur les échéances qui lui sont fixées sont autant de preuves qu'on ne sait plus quoi faire avec un projet sans enjeu pour les tenants du pouvoir qui ont réalisé l'essentiel avec la révision de décembre 2008.
C'est, en effet, le controversé secrétaire général du FLN, Amar Saadani, qui a annoncé en janvier dernier que la révision de la Loi fondamentale interviendrait au plus tard en ce mois d'avril. Aux dernières nouvelles, la date n'est pas celle qui a été retenue. Pas seulement.
La confusion est totale au point ou le président du Conseil constitutionnel, Mourad Medelci, a senti le besoin d'apporter un démenti à l'information, annonçant que son institution a du recevoir une copie du projet. «La révision de la Constitution est d'une importance capitale pour la nation algérienne et lorsque le Conseil constitutionnel sera saisi du projet il l'examinera minutieusement», a-t-il déclaré à l'APS en marge d'une activité sectorielle avec le ministre de l'Habitat, le 11 avril dernier. Selon M. Medelci, le Conseil constitutionnel «est toujours en attente». C'est le président de l'APN, Larbi Ould Khelifa, qui surprend l'opinion par une annonce des plus mystérieuses dans une émission de l'ENTV : il prétend être déjà en possession d'une copie du projet et en livre même la teneur.
Selon lui, elle «comprend de profonds amendements et constitue un grand pas vers une véritable démocratie et des principes en faveur de la séparation des pouvoirs, l'octroi de larges prérogatives au Parlement dans le domaine législatif et de contrôle et l'accès à la responsabilité à travers le vote». Intrigante dérogation aux règles et aux lois qui régissent le cheminement de la révision constitutionnelle, dont le texte doit d'abord passer par le Conseil constitutionnel. «Mais qui a mandaté le président de l'APN à parler ?» Question légitime posée par la secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune.
Saïd Bouteflika et Ali Haddad font parler d'eux
Le pouvoir n'est ni à sa première bévue ni à son ultime contradiction. Dans la même semaine, le micmac entre le Premier ministre et son ministre des Finances fera la une de toute la presse : le premier a annoncé la décision de recourir à une loi de finances complémentaire en 2015 ; le second dit le contraire en affirmant qu'«aucune décision n'a été prise pour le moment». Dans un pays mené par un chef d'Etat très malade, on ne sait plus qui dit vrai, voire qui décide. D'ailleurs, pas plus tard que la semaine dernière, c'est une autre cacophonie qui a caractérisé l'action gouvernementale lorsque le ministre du Commerce, Amara Benyounès, a retiré une instruction de l'ancien ministre du parti islamiste MSP, Hachemi Djaaboub, non conforme aux procédures législatives, avant que le Premier ministre ne procède à son annulation.
C'est plus qu'un cafouillage. Les contradictions du gouvernement s'accumulent et en rajoutent une couche à l'anarchie ambiante. Qui est aux commandes, que veut-on faire d'un pays bloqué par les tenants du pouvoir qui bricolent et improvisent à l'emporte-pièce en l'absence de vision et de projet ? Nul ne croit plus que c'est le président Bouteflika qui gère, mais l'échec que l'on voit à l'œil nu est incontestablement le sien. Pour beaucoup, c'est son frère Saïd, son proche conseiller, qui mène la barque, aux côtés de lobbies avides d'affaires juteuses au moindre effort. Le locataire d'El Mouradia n'est en réalité qu'un Président-alibi. Pour l'opposition, rien ne peut démentir cette réalité, déclarant depuis longtemps la vacance de la présidence de la République.
C'est Djilali Sofiane, président de Jil Jadid, qui évoque le premier, bien avant la présidentielle du 17 avril, l'incapacité du chef de l'Etat à assumer les charges présidentielles, dans une déclaration à la presse que «le président Bouteflika a déserté le terrain aussi bien au niveau interne qu'à l'étranger. Il a désigné des gens non légitimes du point de vue constitutionnel pour diriger le pays, car le seul dirigeant reconnu par la Constitution est le chef de l'Etat qui jouit de larges prérogatives.» Sur le même sujet, Ali Benflis, ancien candidat à la présidentielle d'avril 2014, ne mâche pas ses mots.
Dénonçant la vacance du pouvoir, le rival de Bouteflika, qui a refusé de reconnaître les résultats du scrutin, a même douté de la paternité faut-il le rappeler du message du Président lu le 19 mars dernier par un de ses conseillers à Ghardaïa. Pour l'ancien chef de gouvernement, «le message attribué au premier responsable du pays confirme la vacance du pouvoir». Ali Benflis a même parlé, auparavant, d'«usurpation de fonctions». Qui usurpe donc les fonctions du Président ? A qui revient la décision politique ? Ses conseillers tapis dans l'ombre ?
Louisa Hanoune semble le savoir, à bien lire l'une de ses récentes déclarations : «L'histoire jugera Saïd Bouteflika, conseiller spécial et frère du président Bouteflika, s'il n'intervient pas pour mettre un terme à cette dérive.» Car, selon elle, «au vu de sa fonction de conseiller et de son statut de frère du président de la République, il sait au nom de qui agissent certains…» Louisa Hanoune fait allusion bien évidemment à l'homme d'affaires et patron de l'ETRHB, Ali Haddad, qu'elle n'arrête pas d'attaquer en prenant la précaution de nuancer, hier dans les colonnes d'El Khabar, que «Saïd Bouteflika n'y est pour rien» et que ce dernier l'avait même rassuré qu'«il n'y aura pas de succession héréditaire» et qu'« il pense lui-même fonder un parti politique».
Mais selon la vox populi, les deux hommes sont liés comme deux doigts de la main et détiendraient, avec la nouvelle configuration des forces, la décision politique dans un système miné par ses propres contradictions traduites dans l'anarchie de l'action gouvernementale. Une cacophonie qui enfonce le pays de plus en plus dans la crise. Les attaques contre la presse et l'opposition sont symptomatiques d'un système totalement hybride qui, un an après avoir imposé le 4e mandat de Bouteflika, étale au grand jour son incompétence, sa voracité à siphonner les richesses nationales, à défaut de les générer en dehors des hydrocarbures.


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