L'audience préliminaire de l'affaire Saipem-Sonatrach a eu lieu hier, à huis clos, au tribunal de Milan. Le juge, Alessandra Clemente, a rejeté la demande de Sonatrach de se porter «partie lésée». La juge a concédé un délai d'un mois aux avocats de la défense pour leur permettre d'examiner les derniers éléments de l'accusation, en fixant la prochaine audience au 12 juin 2015. Aucun prévenu n'était présent à la première audience préliminaire de l'affaire, qui voit le groupe pétrolier ENI, sa filiale pour la recherche et l'exploration de gisements pétroliers, Saipem, six dirigeants italiens, ainsi que trois citoyens algériens, formellement mis en examen, pour «corruption internationale» et «fausses déclarations». Ce scandale met en cause l'octroi par Sonatrach à Saipem de 8 contrats d'exploration d'hydrocarbures pour un montant de 11 milliards de dollars entre 2007 et 2010, ce marché juteux a permis à la compagnie italienne, en 2012, d'engranger des bénéfices nets d'un montant d'un milliard d'euros. Des pots-de-vin, d'un total de 198 millions de dollars, auraient été versés à l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, et à d'autres dirigeants algériens par le biais d'intermédiaires. Les six dirigeants italiens poursuivis sont l'ex-directeur des opérations de Saipem, Pietro Varone, l'ex-président de la branche algérienne de Saipem, Tullio Orsi, l'ex-directeur financier, d'abord de Saipem, ensuite d'ENI, Alessandro Bernini, l'ex-président et ex-administrateur délégué de Saipem, Pietro Tali, l'ex-responsable d'ENI chargé de l'Afrique du Nord, Antonio Vella, et l'ex-patron d'ENI, Paolo Scaroni. Les Algériens sont : l'homme d'affaires Farid Noureddine Bedjaoui, neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, son bras droit, Samir Ouraied, et Omar Habour, un autre intermédiaire. Comme le veut la procédure pénale italienne, l'audience préliminaire s'est déroulée strictement à huis clos, aucun journaliste n'a été donc autorisé à y assister. Dès le début de l'audience, avons-nous appris de sources bien informées, la défense des mis en cause a demandé un long renvoi pour pouvoir «analyser les derniers éléments que l'accusation a déposés vendredi passé». Il faut dire que la requête des avocats, bien que mue par un choix stratégique, était prévisible, car on parle d'un énorme dossier de 15 000 pages supplémentaires versé à la procédure. La juge Clemente, sans recevoir formellement cette demande, a de fait concédé un délai d'un mois aux avocats des accusés, en fixant la prochaine audience au 12 juin 2015. Deux autres dates ont été retenues pour la poursuite des débats, les 10 et 21 juillet 2015. L'un des deux fugitifs algériens, Farid Noureddine Bedjaoui, sous le coup d'un mandat d'arrêt international lancé par la juge pour les enquêtes préliminaires, Alfonsa Ferarro, a délégué deux avocats milanais pour plaider en son nom. L'un d'eux, Roberto Pisano, n'a pas caché sa satisfaction face à ce renvoi, surtout que parmi les pièces ajoutées au dossier par les trois procureurs de la République figurent de nouvelles accusations de blanchiment d'argent contre son client et un autre Algérien, Omar Habour, proche de Chakib Khelil (voir El Watan du 12 mai 2015). Sonatrach se trompe en mandatant ses avocats Le groupe Sonatrach a demandé de se porter «partie lésée», mais la cour a rejeté cette demande pour une raison tragi-comique : «A cause de la formulation erronée de la procuration donnant mandat à ses avocats.» C'est dire tout le sérieux avec lequel le groupe énergétique algérien affronte cette procédure judiciaire. La juge Clemente, a-t-on appris auprès de nos sources, a donc invité le collectif des avocats de Sonatrach, appartenant au cabinet légal milanais Bana, a rectifié le texte du mandat qui lui confère le pouvoir de représenter la société algérienne dans ce procès. Alors seulement, Sonatrach pourra déposer à nouveau sa demande de se constituer «partie lésée» mais le dernier mot reviendra au juge de l'audience préliminaire. Le coup de théâtre lors de cette audience, comme nous l'a confirmé notre source proche des enquêteurs, a été la nouvelle position adoptée par l'un des prévenus italiens, Tullio Orsi, principal accusateur de Paolo Scaroni, qui a demandé à être interrogé par les juges, a-t-on appris de sources autorisées. Pour leur part, conseillés par leurs avocats, Ferdinando Brocca et Paolo Patacconi Orsi ont choisi de négocier leur éventuelle peine avec la justice italienne, brisant ainsi le front de l'omerta des autres accusés. Cette option prévue par le code pénal italien laisse une porte de sortie à l'inculpé, qui accepte un deal avec l'accusation, en proposant une peine minimale, que le juge doit ratifier. Cette peine ne doit pas être inférieure au tiers de la durée de la condamnation prévue par la loi pour le délit en question. Dans le cas d'une peine ne dépassant pas les 3 ans de prison, Orsi pourrait demander à être confié aux services sociaux pour éviter l'incarcération. Dans les annales de la juridiction italienne, cela n'équivaut aucunement à un aveu de culpabilité, mais donne de fait beaucoup plus de poids et de crédibilité à l'accusation, qui se sert de cet élément pour valider ses thèses. Disons que Tullio, qui avait été sacrifié et écarté par la direction de l'ENI, dès que le scandale Saipem-Sonatrach avait éclaté, n'aide pas ses anciens collègues par ce choix, au contraire il rend plus difficile une éventuelle décision du tribunal de classer l'affaire sans suite. En effet, la juge Clemente devra décider, en conclusion des débats, s'il accepte la demande des procureurs de la République, Fabio De Pasquale, Isidoro Palma et Giordano Baggiode, de poursuivre les prévenus et d'ouvrir un procès pour «corruption internationale» et «faux en écritures» ou prononcer un non-lieu.