Dans un discours, le Premier ministre a reconnu la gravité de la crise économique qui touche le pays suite à la baisse des prix du pétrole. Mais l'image d'un gouvernement qui veut prendre les choses en main est écornée par l'inadéquation des mesures proposées. C'est comme si les précautions sémantiques des autorités n'avaient pas de raison d'être. Ce jour d'avril, à Tipasa, près de l'interminable file qui se forme devant la station-service, un homme vend du carburant au jerrican. Les stations-service sont en pénurie. Lui demande 80 DA pour un litre d'essence. Les conducteurs payent sans sourciller. Lundi dernier, Abdelmalek Sellal avait pourtant les mots d'un jour de crise. Situation «délicate», mesures d'«ajustement», «rationalisation» des dépenses. Lors d'une réunion avec les cadres du secteur de l'Energie, le Premier ministre a évoqué pour la première fois la possibilité d'une politique d'austérité. Le solde de la balance des paiements s'est établi à -1,7 milliard de dollars au premier trimestre 2015 contre 1,8 milliard de dollars en 2014. Les signaux d'une crise économiques sont bien là. Le gouvernement veut montrer qu'il en a pris la mesure. «Les mesures annoncées jusque-là laissent entendre que le gouvernement serait plutôt mal à l'aise avec des mesures d'austérité», constate cependant Zoubir Benhamouche, économiste, membre du think tank Nabni. Apparences Premier acte. Le 23 mars, un arrêté ministériel instaure le respect d'un nouveau cahier des charges pour l'importation des automobiles. Objectif du texte : garantir la sécurité des véhicules pour les passagers. Objectif politique : réduire de fait les importations de voitures car la plupart ne sont pas aux normes, et faire un geste pour répondre à l'augmentation du déficit commercial. «Le marché de l'automobile est l'une des plus grosses factures d'importation du pays, c'est normal qu'il soit touché, explique un cadre du secteur. Cependant, la révision du cahier des charges était dans les tuyaux depuis longtemps. Sa mise en application, annoncée le 23 mars dernier, peut effectivement avoir l'apparence d'une réponse à la baisse du prix des hydrocarbures.» Quelques semaines plus tard, les véhicules commandés avant la publication de l'arrêté sont en rade dans les ports. Un navire bloqué peut coûter jusqu'à 30 000 dollars par jour aux assurances. Sous pression, les autorités ont alors permis l'entrée des véhicules commandés et payés avant la parution de l'arrêté au Journal officiel, le 15 avril. «Le comble, c'est que ces amendes doivent être payées par l'Algérie et en devises. Ce signal n'était pas le bon», regrette Slim Othmani. En visite à la Foire internationale d'Alger, Abdelmalek Sellal a pourtant affirmé que sa mesure serait bel et bien mise en application. Pourtant, si certains professionnels du secteur estiment que la mesure est importante pour améliorer la sécurité des véhicules, ils doutent de son impact sur la balance commerciale. «Durcir le cahier des charges ne renforcera pas la production, insiste un cadre d'une marque européenne. Nous avons un problème de foncier, il n'existe pas d'entreprise de sous-traitance automobile dans le pays pour produire des pièces et les partenaires étrangers qui pourraient venir s'installer ici pour produire sont réticents à cause de la loi 49-51%. Voilà ce qui bloque la production.» Faux problème Dans son discours de lundi, le Premier ministre a annoncé deux mesures dans le cadre de «l'encouragement, le soutien et les facilitations en faveur de l'investissement productif créateur de richesses et d'emplois au détriment des activités commerciales», relève l'APS : l'impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) et la taxe sur l'activité professionnelle (TAP) seront baissés. Incitatif ? Pas vraiment. «Diminuer la TAP, c'est pire qu'une mesurette, dénonce Ali Kahlane, président de l'entreprise Satlinker et membre du think tank Care. Cette taxe dessert tout. Il ne faut pas la réduire, il faut la supprimer. Elle plombe ceux qui la payent et elle renforce l'informel.» Selon le classement Doing Business, l'Algérie est l'un des pays au monde où les finances des entreprises sont le plus lourdement impactées par les impôts et les taxes. «La baisse de l'IBS ne fera que redresser une distorsion entre producteurs et importateurs qui avait été créée par les autorités, explique Slim Othmani, PDG de NCA-Rouiba, mais cela ne permettra pas forcément de générer des profits pour relancer l'investissement.» Ali Kahlane renchérit : «Ce type d'annonce laisse penser que les autorités ne comprennent pas l'ampleur de la crise. Le problème économique d'aujourd'hui n'est absolument pas là !» Parmi les promesses de Abdelmalek Sellal, celle de s'attaquer à la consommation énergétique qui donne lieu à «un gaspillage intolérable». Le Premier ministre nuance cependant : les prix n'augmenteront pas. «Je ne sais pas comment il va faire. Je ne pense pas qu'on puisse réduire la consommation sans augmenter les prix, rétorque Ali Kahlane. Les mesures que nous devons prendre n'aideront pas la paix sociale, mais les Algériens ne sont pas bêtes, ils savent que quelque chose ne va pas : il y a eu une pénurie d'essence il y a deux semaines, les prix à la consommation augmentent de manière régulière et les salaires sont gelés.» Le collectif Nabni estime même que cette augmentation est inévitable : «Ce qu'il faut, c'est accroître le prix du carburant et réduire les subventions en général. Il y a des économies à faire en réduisant les subventions, d'abord celles à l'énergie, puis celles qui n'ont pas de sens comme celles sur le sucre, par exemple. Par ailleurs, il faut aussi impérativement chercher de l'efficacité dans la dépense publique, les marges de manœuvre sont colossales. L'Etat dépense trop et mal, il peut avoir autant d'impact sur l'économie, si ce n'est plus d'impact même, en dépensant mieux», détaille Zoubir Benhamouche. Quel chemin le gouvernement devrait-il prendre ? Les experts affirment que les rapports sont très clairs. Slim Othmani estime que le premier chantier doit être celui de la confiance : «Il faut réviser la règle des 49-51% et la réserver pour des secteurs que le gouvernement juge stratégiques. Il faut arrêter d'effrayer les investisseurs avec des règles non écrites. Nous avons besoin d'investissements étrangers, de connaissances et de savoir-faire. Nous pourrions pour cela privatiser un certain nombre d'entreprises publiques.»