Le plus vital pour le pays est la sortie de cette crise de régime qui affaiblit l'Etat, fragilise la cohésion de la nation et perturbe les équilibres les plus essentiels de notre société. Monté à la tribune du congrès sous les cris des congressistes «Benflis président», le fondateur de Talaie El Houriat (Avant-garde des libertés), Ali Benflis, n'a pas tardé à rentrer dans le vif de l'actualité. Après les formalités d'usage, il affiche la couleur en évoquant la polémique provoquée par le chef d'état-major de l'armée : «L'ANP a une place à part dans le cœur de toutes les Algériennes et de tous les Algériens. Elle est le bras armé du peuple qui ne faiblit pas et le rempart inviolable de la République. Face aux dangers et aux périls qui menacent la nation, hier comme aujourd'hui, le pays est redevable à ses vaillantes forces armées de sa protection et de sa défense.» Après ce rappel nécessaire à l'endroit du chef d'état-major Gaïd Salah, Ali Benflis se lance dans un long et sévère réquisitoire contre le régime politique en place : «C'est le système politique national qui est au cœur de la dévitalisation de notre société, des dysfonctionnements dont elle est atteinte, des ruptures d'équilibres qui s'opèrent en son sein. La crise de régime est sous nos yeux et nous pouvons en lire les tenants et les aboutissants à livre ouvert.» Porté par une foule compacte sous le chapiteau, Benflis enchaîne sur l'inévitable – et sa préférée – thématique, la vacance du pouvoir : «L'Algérie vit une vacance du pouvoir qu'il tente de cacher par des procédés les uns plus vains et plus dérisoires que les autres. Les institutions sont illégitimes de la base au sommet du fait du fléau de la fraude. La vacance au sommet de l'Etat a produit son effet boule de neige et ce sont toutes les institutions constitutionnelles qui se sont retrouvées en situation de quasi-cessation d'activité.» Applaudissements nourris dans l'immense salle du congrès lorsque le maître de cérémonie évoque «le vide généré par la vacance du pouvoir a été comblé par des forces extraconstitutionnelles et qui ont pris possession du centre de décision nationale». Dans son viseur Abdelaziz Bouteflika, sans le nommer. Ali Benflis recharge, épaule et tire : «En ce moment même où nous sommes réunis ici, dans tout le pays bruissent des rumeurs ou des fuites et sont jetés, peut-être une fois encore, des ballons-sonde pour vérifier l'acceptabilité et la faisabilité d'une opération de clonage de notre système politique au moyen de ce qu'il est devenu commun de désigner sous l'appellation de transmission héréditaire ou cooptée du pouvoir.» Retrouvant ses envolées de campagne, l'ancien candidat à la présidentielle enfonce le clou dans le «cercueil» du système de Bouteflika. «Voilà à quoi est réduit tout notre système politique aujourd'hui : gérer une vacance du pouvoir dont les retombées échappent à son contrôle jour après jour ; maintenir le statu quo, c'est-à-dire l'immobilisme, pour que rien ne bouge et rien ne change ; veiller à la survie du régime politique par tous les moyens ; préparer les conditions de son clonage ultérieur en ne reculant devant aucune méthode, même la plus manifestement antirépublicaine et anti-nationale, je veux dire l'hérésie de la transmission héréditaire ou cooptée du pouvoir», constate non sans colère le chef de file du nouveau parti en constitution, Avant-garde des libertés. Le régime actuel, un obstacle majeur au renouveau politique Ali Benflis, visiblement au summum de sa verve, fustige un régime politique «de plus en plus inquiet pour son devenir que pour celui du pays tout entier. Il n'a plus de vision, d'ambition ou de projet pour la nation ; il n'a que sa pérennité pour obsession». Il vilipende un régime générateur de «corruption, prédation des richesses nationales, malversations et dilapidation de l'argent public». Et pour lui donner la réplique, la salle crie le nom de Chakib Khelil… Son constat amer sur l'état du pays ne serait complet, dit-il, sans ajouter «les effets destructeurs du clientélisme, du népotisme, du clanisme et du régionalisme auxquels le régime politique en place a redonné un nouveau souffle». Ali Benflis charge jusqu'au cou le pouvoir. Assurant que le congrès constitutif de son parti est «la réunion de la grande famille de l'opposition», Ali Benflis, pour faire la transition vers ce qu'il propose comme alternative au régime en place, estime que «le plus urgent et le plus vital pour le pays est la sortie de cette crise de régime qui affaiblit l'Etat, fragilise la cohésion de la nation et perturbe les équilibres les plus essentiels de notre société». Après ce tableau sombre, Ali Benflis mesure toute la difficulté à redresser un pays plongé dans l'abîme. «La crise politique connaîtra son règlement, l'économie nationale se relèvera de ses échecs et comblera ses retards ; mais toutes ces ruptures et ces déséquilibres qui affectent si profondément notre société seront bien plus durs à résorber.» Ali Benflis, qui se dote d'un parti, entend peser, aux côtés des autres acteurs politiques de l'opposition, dans le mouvement du changement. Et ce n'est sans doute pas avec le régime actuel qui «n'est plus porteur d'un projet rassembleur et, en cela, il est devenu lui-même un obstacle majeur au renouveau politique, économique et social de notre pays». «Le règlement de toutes ces crises existe ; il est possible, sans heurt et sans rupture. Il est en chacun d'entre nous et sa réalisation est un devoir collectif. Ce règlement est à portée de nos mains. Il exige de la sagesse, de la lucidité et le courage des hommes de bonne volonté», préconise M. Benflis. Les maîtres mots qui doivent guider cette sortie de crise sont «le respect de la volonté populaire et de la citoyenneté ; un Etat de droit véritable où la Constitution est respectée, où les institutions sont au service des citoyens, où la justice est indépendante, où l'administration est impartiale». Bref, «l'alternative démocratique, et elle seule, pourra donner le signal d'un nouveau départ». Tout un programme. Celui de l'Avant-garde des libertés qui, désormais, entre en scène officiellement dès aujourd'hui.