Le choc externe extrême subi par le pays depuis juin 2014 requiert un ajustement important du budget de l'Etat, estiment les économistes Raouf Boucekkine et Nour Meddahi. Selon eux, l'austérité ne doit pas contraindre l'investissement public et privé. Les cours pétroliers mondiaux ont perdu plus de 60% de leur valeur depuis juin 2014. Ce nouveau choc externe, comparable à celui de 1986, plonge l'Algérie, dont les recettes en devises et les finances publiques dépendent étroitement des hydrocarbures, dans une grave crise qui risque, à terme, de compromettre dangereusement son avenir. La mise en œuvre d'un plan anticrise devient plus que jamais urgente. A travers un travail de réflexion des plus pertinents, les professeurs d'économie, respectivement à Aix-Marseille School of Economics et Toulouse School of Economics, Raouf Boucekkine et Nour Meddahi, émettent en ce sens à la fois une analyse minutieuse de la conjoncture actuelle, mais aussi et surtout des propositions concrètes pour enclencher une démarche efficiente de sortie de crise. Mettant en exergue la gravité de la situation que connaît actuellement l'économie nationale, les deux experts soulignent de prime abord que «le choc externe extrême subi par le pays depuis juin 2014 requiert un ajustement important du budget de l'Etat, sous peine de précipiter l'Algérie dans une trappe catastrophique», dans un horizon d'à peine «quelques années». Selon eux, malgré la gravité de la crise, le gouvernement est actuellement «face à un très beau challenge : créer une économie moderne, compétitive et viable dans notre pays». Mais pour ce faire, estiment-ils, «il devra entreprendre des réformes tous azimuts qui ne le rendront certes pas populaire à court terme, et il devra de surcroît le faire contre les multiples lobbys actifs dans le pays». Pour les professeurs Boucekkine et Meddahi, «le Premier ministre, M. Sellal, a donné les premiers gages de bonne volonté, mais il faut espérer qu'il ait les mains suffisamment libres pour aller beaucoup plus loin dans la réforme». Une réforme qui doit cependant être opérée en profondeur et dans divers domaines pour remettre sur les rails aussi bien la politique budgétaire, le financement de l'économie, l'investissement, les banques, la fiscalité et tant d'autres segments, où des ajustements courageux deviennent urgents à opérer. Ne se limitant pas à dresser des constats et à énumérer des objectifs à atteindre, les deux économistes nous livrent, à travers leur contribution d'une trentaine de pages, un véritable plan de sortie de crise. De leur point de vue, l'heure de l'austérité a bel et bien sonné et c'est le principal message du projet de loi de Finances 2016, qui induit une baisse de 9% pour les dépenses publiques totales ; de 3,3% pour les dépenses de fonctionnement et de 16% pour les dépenses d'équipement. En terme nominal, c'est-à-dire sans prise en compte de l'inflation, cette baisse des dépenses, précisent-ils, «est la plus élevée depuis le recouvrement de l'indépendance du pays, soit largement plus que celle de l'année de l'ajustement structurel (-4,6% en 1996)». Aussi, avertissent-ils, les coupes dans les dépenses d'équipement, si elles sont maintenues, «doivent être modérées étant donné que l'investissement privé ne peut pas prendre le relais, à très court terme, et que des coupes drastiques dans l'investissement public auront un coût social significatif, notamment en termes de chômage». Dans le même ordre d'idées, les deux économistes soulignent qu'il ne faut pas refaire les erreurs du passé en bloquant les importations nécessaires à l'investissement privé et public, à savoir celles concernant des approvisionnements industriels et des biens d'équipement. De même, ils préconisent, entre autres mesures d'ajustements nécessaires, un assouplissement de la règle des 51/49%, en permettant un actionnariat étranger supérieur à 49%, une limitation des transferts des bénéfices à 49%, une diminution des subventions de façon graduelle et ciblée, ainsi que le maintien de la TAP à ses niveaux de la LFC 2015, dans le cadre d'une refondation globale de la fiscalité ordinaire. Des propositions aussi concrètes que ciblées qui s'apparentent à une véritable stratégie de sortie de crise, encore faut-il que le gouvernement sache en prendre sérieusement compte.