Images et musique, le clip vidéo est un outil promotionnel souvent efficace et, quelquefois, une expérience artistique enrichissante. Après avoir été boudés un temps pas nos chanteurs, les clips musicaux sont de retour avec de nouveaux contenus et sur de nouveaux supports. Associé aux émissions musicales, le clip a connu son heure de gloire à la télévision algérienne au début des années 90'. C'était l'époque de l'émission Bled Music, version locale du Top 50 avec l'impertinent trio Kamel Dynamite, Aziz Smati et Sid Ali Allalou. La nouvelle scène musicale qui commençait à émerger depuis les années 80' avait désormais droit à l'écran et diffusait les images de cette culture pop. A l'époque, les prémices de la libéralisation s'accompagnaient d'une ouverture musicale tous azimuts vers le rock, la pop et tout ce qui cartonnait dans les chaînes satellitaires qui faisaient leur entrée dans les foyers algériens. Les groupes T34, KG2, Raïna Raï, Polyphène, les chanteurs Hamidou, Khaled, Mami, Baâziz, Hassiba Amrouche, Hakim Salhi, Hamid Baroudi… redoublaient d'efforts pour proposer une musique moderne qui puisse concurrencer l'offre internationale et nous ressembler en même temps. Les clips sont arrivés dans cette dynamique de renouvellement avec leur lot de chorégraphies, entre danses traditionnelles et expressions corporelles contemporaines et leurs décors alliant intérieurs mauresques et symboles de modernité urbanité. Par la suite, Bled Music a disparu des écrans, l'engouement est retombé et la décennie noire a fait le reste... Certes, des chansons passaient encore occasionnellement à la télévision mais la plupart des vidéos, sauf en de rares exceptions, n'affichaient pas de grandes ambitions. Le clip ne représentait plus un enjeu important pour les artistes qui survivaient tant bien que mal en misant plutôt sur la performance live. Il faudra attendre la fin des années 2000 et la naissance de groupes tels que Caméléon, Freeklane ou Babylone et Djmawi Africa auparavant, pour recevoir enfin un nouveau souffle côté clips. Ces jeunes groupes ont pour la plupart été lancés par la radio, preuve s'il le fallait que la vidéo ne tue pas la radio (contrairement à ce que dit le tube des Buggles, Video Killed the Radio Star). La nouvelle scène musicale est également présente et bien présente sur internet. Les jeunes artistes ou leur entourage sont souvent rompus aux techniques du marketing web. La Toile, à côté de la démocratisation du matériel de tournage et de l'apparition de chaînes de télévision privées, est pour beaucoup dans ce «revival» des clips. On peut effectivement parler de retour en grâce du clip avec une offre respectable en quantité et en qualité. Rien que pour ce mois de décembre 2015, trois clips sont sortis quasiment en même temps et dans des styles variés. On a interrogé leurs auteurs pour en savoir plus sur l'importance de la vidéo dans leur démarche artistique. «J'aime traduire l'ambiance de mes chansons en images», déclare Amel Zen qui vient de sortir le clip de Tlata, reprise rock'n'roll d'une chanson culte tirée du patrimoine musical maghrébin. L e texte hédoniste de Mohamed Nedjar est chanté sur des guitares hurlantes par la voix suave d'Amel Zen, elle-même formée au chant arabo-andalou dans sa ville natale de Cherchell avant de s'orienter vers sa propre couleur musicale «ethnic-pop», comme elle aime à la nommer. Amel est aussi une «enfant de la télé», révélée au grand public dans le tv-crochet «Alhan wa chabab» en 2007 et toujours à l'aise devant une caméra en tant que chanteuse ou comédienne. Elle a à son actif un album ainsi que trois clips dont Tlata est probablement le plus ambitieux. La chanteuse a vu grand avec une vidéo réalisée par le Mexicain Julio Carlos Zapata. Elle nous raconte ce projet qui commence, comme souvent, par une belle rencontre humaine et artistique : «J'ai découvert ce réalisateur par l'intermédiaire de Luna Yedra, photographe mexicaine qui était de passage à Alger. Elle avait vu mon dernier clip (Kan Ikolli) et avait fait le rapprochement avec l'univers vintage et décalé de Julio Carlos Zapata». Les présentations faites, le réalisateur et la chanteuse discutent via les réseaux sociaux et pensent rapidement à une collaboration. Amel Zen insiste pour que le clip se fasse à Alger. Un voyage qui a du sens aussi pour Julio Carlos. «Figurez-vous que sa mère s'appelle Algeria, nous confie Amel Zen. Son grand-père avait visité l'Algérie après l'indépendance et il est tombé amoureux de notre pays au point d'appeler sa fille par son nom». Le réalisateur vient donc à Alger et tourne à La Casbah, dans les rues de la capitale, dans le château «hanté» de Raïs Hamidou (ex-Pointe Pescade)... Autour d'Amel Zen, un groupe de musiciennes au look particulier à cheval entre les orchestres féminins de musique arabo-andalouse et le groupe de rock façon «girl power». Un style déjanté tout droit sorti de l'univers atypique du styliste Amor Guellil qui a dessiné les costumes. Ajoutez à cela une apparition de la chorégraphe Nacéra Belaza et vous obtenez une bien belle conjonction de talents pour un clip qui a du punch et de la profondeur. Et, tenez-vous bien, le tout autoproduit et autofinancé par la chanteuse elle-même. Amel Zen regrette à ce sujet que les entreprises ne jouent pas le jeu du sponsoring. Quoi qu'il en soit, la chanteuse a relevé le défi en proposant un clip original qui correspond parfaitement à l'ambiance de la chanson. Autre clip, autre histoire de débrouille et d'engagement artistique : Nawel Mebarek a dévoilé, le 7 décembre dernier, le clip de Lemrassem, single tiré de l'album éponyme, son premier, paru en début d'année. Il s'agit du premier clip de cette chanteuse au talent prometteur. Le titre, écrit et composé par Halim Riad Agrane, est une évocation nostalgique surfant sur un air de douce mélancolie. «C'est l'histoire d'une vie à travers les lieux marquants, Lemrassem», résume la chanteuse. Réalisé avec le studio Aswatt, le clip se veut une illustration des paroles entre des images de Nawel Mebarek et des flash-back en noir et blanc. «J'avais un scénario en tête, mais le réalisateur m'a amenée à m'éloigner de la stricte fidélité aux paroles. L'image doit raconter sa propre histoire et prendre en compte le rythme et la dynamique de la chanson», ajoute Mebarek qui explique avoir choisi son réalisateur, Amine Aït Hadi, après avoir vu les vidéos qu'il a réalisées pour des chansons du groupe Dey et Babylone. Nawel Mebarek, qui travaille par ailleurs comme manager technique, a porté elle-même ce projet de clip autoproduit. Elle explique que la vidéo reste un des meilleurs moyens de promouvoir une chanson, surtout dans le marché algérien du disque qui reste à structurer et souffre d'un piratage à grande échelle. Le clip a été tourné en deux jours avec des acteurs qui ne sont autres que des proches et amis de la chanteuse, hormis une seule comédienne professionnelle. C'est encore Amel Mebarek qui a loué ou négocié les lieux de tournage, et c'est aussi elle qui est allée chercher les accessoires. «Pour les jeux d'enfants, j'ai longuement cherché un zerbout (toupie) à l'ancienne et on a fabriqué avec un de mes musiciens un jeu de dames avec des bouchons de boisson gazeuse ainsi qu'un ballon fait de sachet de lait rembourré de journaux...», se souvient Nawel Mebarek. Bref, un clip de fabrication artisanale. Mais un clip qui commence tout de même à faire son chemin sur la Toile. La diffusion en ligne reste le principal enjeu, surtout en l'absence de chaînes musicales. Bien plus, les chanteurs préfèrent retarder la diffusion tv afin de ne pas entraver la dynamique des vues sur Youtube. Rappelons que, suite à un accord passé en 2014 entre Google et l'Office national des droits d'auteur et droits voisins, le visionnage des clips sur la plateforme vidéo rapporte de l'argent aux auteurs. Et cela peut devenir assez rentable quand un clip fait le buzz à l'image de Zina de Babylone qui affiche plus de 58 millions de vues sur Youtube ! «Aujourd'hui, même les émissions musicales sont souvent visionnées via internent, donc l'impact principal des clips est sur la Toile, particulièrement pour le jeune public», tranche Amir Meriane, du collectif Normal, qui a réalisé le clip Sbart sbart du groupe Dzaïr, sorti tout récemment. La bande à Hakim dégaine les guitares pour une excellente reprise. La musique originale est une composition d'Ahmed Malek pour le film Kahla wa Baïda de Abderrahmane Bouguermouh. Il s'agit du premier clip du groupe de rock algérois ! Dzaïr n'en est pourtant pas à ses débuts et affiche déjà dix-sept ans de carrière au compteur. Interrogé à ce sujet, Hakim, leader du groupe, nous répond : «Si ce n' était la référence cinématographique au film Kahla wa baïda, on n'aurait peut-être pas fait de clip. Cela ne nous intéresse pas de montrer nos têtes à l'écran avec deux, trois danseuses… On voit ce qui se fait comme clip et cela ne nous parle pas. On a débuté durant une période (fin des années 90') où il y avait peu de groupes. On renouait avec la musique après la décennie noire et des groupes tels que Litham et Index émergeaient. On ne pensait pas au marketing, mais seulement à faire de la musique». En effet, les musiciens de Dzaïr sont à peine aperçus dans le clip de Sbart sbart. Au départ, le clip devait être uniquement constitué de séquences du film, raconte le jeune réalisateur Amine Meriane. C'est ce dernier qui a proposé de tourner des séquences en écho à Kahla wa baïda. Et il a eu carte blanche de la part du groupe. L'ode à l'Entente de Sétif (équipe de foot locale) et à l'esprit de débrouille des petites gens réalisée par Bouguermouh en 1980 est revisitée dans le Sétif d'aujourd'hui, ville natale d'Amine Meriane. On rencontre même un des acteurs du film, qui a naturellement bien vieilli depuis, dans une des scènes du clip. Tombé amoureux de cette musique d'Ahmed Malek, le groupe Dzaïr nous propose une relecture à grand renfort de riffs de guitares électriques et de roulement de batteries. Le groupe, qui tient le pari de faire du pop-rock uniquement en arabe algérien, s'est souvent illustré dans des reprises tirées du patrimoine à l'image de Hiziya qui a propulsé leur deuxième album paru en 2004. Sbart sbart est d'ailleurs un avant-goût de leur prochain opus qui devrait paraître début 2016 chez Padidou, qui produit également le clip. «L'album pourrait bien s'appeler Sbart sbart. Non seulement pour le bon feedback que nous avons pour ce titre, mais aussi parce que nous avons beaucoup patienté [Ndlr, «Sbart» signifie «j'ai patienté»] pour sortir ce disque», plaisante Hakim qui refuse catégoriquement de se prendre pour une star, d'où peut-être sa réticence à se mettre en scène dans des clips. Quelle que soit leur approche de cet exercice, qui fait décidément partie du métier, nos chanteurs mesurent l'importance du clip. Mettre des images sur sa musique ne sert pas uniquement à vendre, mais peut également être abordé comme un prolongement de la création par d'autres moyens et en dialogues avec d'autres disciplines. Nos chanteurs s'ouvrent sur les autres arts pour le plus grand bonheur de tous. Evoluant avec la musique, la publicité, la vidéo et les médias, le clip a encore de beaux jours devant lui et de belles surprises à nous réserver, et ce qui ne gâche rien, avec une touche algérienne.