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Hocine Aït Ahmed : Un idéal contrarié
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Publié dans El Watan le 29 - 12 - 2015

Dda L'Hocine vient de nous quitter, après une vie consacrée au combat pour la justice, la liberté et la dignité humaine. Très jeune, à l'âge où d'autres pensaient plus à s'amuser, à vivre ou à se focaliser sur leurs études, Hocine prit la responsabilité de s'engager en faveur de la libération du peuple algérien du joug colonialiste.
Il rejoint le mouvement révolutionnaire, au sein duquel son intelligence, sa vivacité et son sens profond du patriotisme lui firent gravir rapidement les échelons de responsabilité pour être l'instigateur de l'organisation secrète (OS), l'initiateur du GPRA et le principal défenseur de la cause algérienne auprès des instances internationales. Avec Abane Ramdane et Ferhat Abbas, Hocine Aït Ahmed aurait constitué le complément idéal dont aurait bénéficié l'Algérie indépendante pour construire un avenir digne des espoirs de nos valeureux martyrs et du peuple algérien en général.
Malheureusement, les ambitions personnelles ont failli entraîner la jeune nation indépendante dans une guerre civile dévastatrice, n'était la réaction de la population qui était sortie dans la rue pour crier : «7 ans, ça suffit !» Aït Ahmed, qui avait montré sa disponibilité à contribuer à l'édification d'un Etat souverain, respectueux de la volonté populaire, a vite compris que cet objectif n'était pas le souci principal des décideurs de l'époque, ce qui le poussa à renouer avec la résistance à travers la création du Front des forces socialistes (FFS).
Par la suite, Si El Hocine allait revivre les agressions «géoliennes» orchestrées par ceux qui avaient pourtant partagé avec lui les souffrances du joug colonialiste. Son exil forcé, après l'évasion de la prison d'El Harrach, a été vécu comme une humiliation et une torture morale, car il n'avait pas sacrifié sa jeunesse pour vivre dans un pays étranger. Il aurait tant souhaité rester sur sa terre natale, partager, avec son peuple, le bonheur d'une dignité retrouvée et offrir à ses enfants un avenir de bien-être qu'il n'avait pas connu lui-même dans sa jeunesse, sur ce territoire spolié.
La flamme patriotique et le sens profond de justice l'ont poussé à poursuivre un combat pacifique pour l'instauration de la démocratie et le respect de la souveraineté populaire. Les événements d'octobre 1988 et l'ouverture forcée au multipartisme ont redonné un certain espoir à Dda L'Hocine, qui a accepté de rentrer au pays pour contribuer à l'édification d'une nation moderne. L'accueil réservé au leader du FFS lors de son retour au pays et la grande adhésion citoyenne au projet de société défendu par le vieux parti d'opposition ont redonné de l'espoir aux Algériens qui entrevoyaient une Algérie indépendante et libre, conforme aux projections de la plateforme de la Soummam.
Malheureusement, les calculs malsains des dirigeants politiques de l'époque ont favorisé l'émergence d'une mouvance islamiste radicale qui allait ramener notre pays à l'ère de l'ignorance et des conduites barbares. Le traitement brutal de la crise qui a suivi l'interruption du processus électoral de 1992 a plongé l'Algérie dans un climat de violence sans précédent, ayant coûté la vie à plus de 200 000 personnes. Hocine Aït Ahmed, grand visionnaire politique, avait pourtant attiré l'attention de nos dirigeants, d'abord pour ne pas autoriser un parti basé sur la religion, puis pour traiter politiquement la crise engendrée par l'annulation des élections législatives de 1992 afin d'éviter le recours à la violence.
L'assassinat, quelques années plus tard, du président Mohamed Boudiaf, compagnon de lutte d'Aït Ahmed, a réduit à néant les espoirs de ce dernier d'assister à la construction d'un Etat moderne et démocratique. Un nouvel exil lui a été moralement imposé, pour ne revenir qu'en 1999, acceptant à contrecœur de se porter candidat, sans grande conviction, ce qui expliquait d'ailleurs l'attaque cardiaque qui a failli l'emporter en pleine campagne électorale. A partir de cette date, Dda L'Hocine quitta définitivement le pays, la mort dans l'âme. Son exigence testamentaire d'être enterré dans son pays natal est l'expression la plus nette d'une opposition au pouvoir et non à la terre algérienne.
Quels souvenirs garder de Hocine Aït Ahmed ?
J'ai connu personnellement Si El Hocine quelques semaines après son retour en Algérie en 1989, avec quelques autres cadres de différentes spécialités, qu'il avait sollicités pour la confection de dossiers relatifs aux domaines de gestion de la vie sociale. J'ai été impressionné par son charisme, la profondeur de sa culture et le sens du contact humain. Le souhait manifesté par l'homme historique de voir la jeunesse, particulièrement intellectuelle, s'impliquer davantage dans le projet d'édification d'une Algérie démocratique moderne, a réussi à convaincre beaucoup parmi nous d'adhérer au FFS.
Pour moi qui étais, à ce moment-là, vierge politiquement, côtoyer Hocine Aït Ahmed était un honneur immense et un privilège enviable. J'ai fait mes premiers pas au contact de l'équipe dirigée par feu Hachemi Naït Djoudi, Arezki Lakabi, Djillali Leghima, Mohamed Lahlou, feus Amar Tobbal et Rachid Toudert, ainsi que d'autres anciens militants de la clandestinité.
Leur expérience et le sens du sacrifice qu'ils manifestaient constituaient pour moi une véritable école politique et citoyenne. Le changement opéré par le leader du parti, lors du premier congrès national, allait me propulser au secrétariat national, aux côtés de Saïd Khellil, Rachid Hallet, Mustapha Bouhadef, Abdesselem Ali Rachedi, feu Seddik Debaïli et d'autres militants de grande valeur.
Les réunions hebdomadaires que nos tenions sous la présidence de Hocine Aït Ahmed étaient des rencontres que nous attendions avec plaisir et impatience, car elles étaient très cordiales et riches en enseignements. Les débats étaient libres, chacun exprimant sa vision des événements sans gêne, tant le chef était affable et attentif.
Dda L'Hocine ne s'exprimait jamais le premier pour ne pas influencer les échanges, mais lorsqu'il développait son analyse, après le tour de table, il apparaissait d'une logique tellement évidente qu'il nous complexait quelque part pour ne pas y avoir pensé. Si L'Hocine se comportait avec nous comme un père, qui éduquait et formait ses enfants, avec beaucoup d'affection et de respect. Sa simplicité avec ses militants, notamment les jeunes, était souvent en contradiction avec l'attitude parfois arrogante, presque méprisante qu'il manifestait avec certaines figures du monde politique algérien, qu'il recevait presque la main forcée.
La rancœur était un trait de caractère chez Aït Ahmed, ce que personnellement je ne considère pas comme un défaut, car celui qui se rappelle du mal fait, n'oublie pas également le bien fait, ce qui le protège de l'attitude ingrate que l'on retrouve chez beaucoup de personnes. J'ai eu l'honneur et le privilège de le recevoir chez moi, autour d'un dîner familial, auquel avait assisté un ancien ministre qui était tellement impressionné par le charisme et la culture de l'illustre invité qu'il n'avait pas achevé son plat d'entrée lorsque nous étions au dessert. L'ancien membre du gouvernement me disait, après le départ de Si El Hocine : «J'ai eu des rencontres avec plusieurs personnalités politiques, parmi lesquelles le président de la République et le premier Ministre, je n'ai jamais été autant impressionné».
Mes liens avec la famille Aït Ahmed m'ont permis de mieux apprécier l'homme, partageant avec lui des discussions d'ordre général, enseignement qui allait me servir dans ma carrière et forger ma résistance aux coups durs que j'allais affronter, notamment dans le milieu sportif. En 1997, j'ai bénéficié du leader du FFS d'un privilège et honneur immenses qui constituaient également, pour moi, une très lourde charge. En effet, lors des élections législatives de cette année, Si L'Hocine m'appela de Lausanne pour me dire : «La wilaya de Sétif est chère pour moi, car j'y étais député ; ne pouvant pas m'y présenter de nouveau, je te demande d'y aller à ma place».
Ce fut pour moi, outre un grand honneur, une très lourde responsabilité qui avait troublé mon sommeil pendant plusieurs jours. Je me suis ainsi retrouvé tête de liste du FFS à Sétif, face à des candidats poids lourds tels que Abdelkrim Harchaoui (ministre des Finances à l'époque) du RND, Abderrahmane Belayat du FLN et Salim Saâdi (ancien colonel de l'ANP et ministre de l'Intérieur) de l'ANR. La volonté de ne pas décevoir celui qui m'avait accordé sa confiance était pour les candidats de ma liste et moi-même une motivation très énergique qui nous a permis de faire une campagne électorale extrêmement positive et riche.
Malheureusement, les manœuvres frauduleuses de l'administration ont empêché notre parti de bénéficier des résultats de confiance de la population de la deuxième wilaya nationale. Par la suite, jouissant toujours du privilège de la confiance du leader du parti, j'ai été élu par le congrès président de la commission de discipline nationale du FFS, instance qui, pour moi, devait veiller au respect des statuts du parti, sans pour autant interdire les débats contradictoires à l'intérieur de ses structures.
Malheureusement, les ambitions personnelles de certains dirigeants du parti, profitant de l'éloignement du premier responsable et de sa phobie de la manipulation des services secrets algériens, ont entraîné le renvoi illégal de huit cadres députés de valeur et provoqué une rupture organique avec les instances du parti, ayant choisi personnellement d'être en paix avec ma conscience et la conviction démocratique acquise auprès de notre maître Hocine Aït Ahmed.
Je reconnais que, malgré mon retrait des activités partisanes à partir du congrès de 2000, j'ai continué de bénéficier de rapports affectifs et respectueux de la part de Si El Hocine et sa famille. Les divergences conjoncturelles, liées au traitement de «cas disciplinaires» ne pouvaient pas m'éloigner des convictions de justice et de démocratie, acquises et renforcées au contact de ce grand leader que fut Hocine Aït Ahmed.
Dda El Hocine a quitté ce bas monde, comme tant d'autres avant lui et comme ce sera le cas pour nous tous dans le futur.
L'immense hommage, largement mérité, qui lui a été témoigné par la majorité des algériens, toutes tendances confondues, doit être capitalisé par ceux qui auront à relever le défi au sein du FFS et chez tous les militants des droits de l'homme. De là où il se trouve dorénavant, il reposera en paix, avec la conscience du devoir accompli. Si El Hocine, on peut dire, avec grande émotion, que nous avons été fiers de t'avoir connu, de t'avoir côtoyé et d'avoir profité de ta grande culture et de ta profonde bonté. Tu as vécu pleinement et tu es mort dignement, repose en paix. Adieu Grand Frère.


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