Mardi dernier, Ettore Scola décédait dans une clinique de Rome. Il avait 84 ans. Selon sa famille, son cœur s'est arrêté de battre «par fatigue». Rien d'étonnant pour un homme qui, inlassablement, a cherché à exprimer la condition humaine, mêlant jusqu'à la confusion pleurs et rires. Il avait en quelque sorte donné à la Commedia dell'arte une dimension shakespearienne. Pour toute une génération d'Algériens qui a passé sa jeunesse dans les années 60' et 70', la découverte du cinéma italien de cette époque fut une belle et immense surprise. Ils avaient la chance de voir ces films dans des salles de cinéma bien vivantes, et cela peu de temps après leur sortie. Leur adhésion pour ce cinéma fut si grande qu'il leur semblait qu'il avait été fait pour eux, beau paradoxe qui illustre bien l'universalité de l'art puisqu'un film italien pouvait devenir tellement algérien ! Ils apprirent ainsi à aimer ces acteurs splendides (Mastroianni, Gassman, Manfredi, Tognazzi, Sordi…), à rêver de ces comédiennes sublimes (Sophia Loren, Virna Lisi, Carla Gravina…) et à connaître ces réalisateurs de génie (Luigi Comencini, Mario Monicelli, Dino Risi…). Parmi ces derniers, Ettore Scola provoqua un coup de foudre chez le public algérien avec Nous nous sommes tant aimés (1974) et Affreux, sales et méchants (1976). Lors du lancement de ce dernier au cinéma Algeria d'Alger, un groupe de jeunes au comportement bruyant avait provoqué la colère des spectateurs. Le gérant de la salle avait arrêté la projection et le personnel avait menacé d'expulsion les troublions. Après que le film eut repris dans le calme, l'un d'entre eux lança avec émotion : «Mon Dieu, c'est comme chez moi à Gorias !» Il parlait du bidonville sur les rives de l'oued El Harrach... Des interactions de la sorte, les films italiens en produisaient à foison dans les salles algériennes. Et c'est bien toute une génération de cinéphiles qui se souvient de ces moments où il fallait, d'un côté, retenir ses larmes et, d'un autre, lâcher complètement son rire. Le cinéma italien a influencé de nombreux réalisateurs algériens et l'on peut retrouver par exemple dans L'Oranais de Lyes Salem le prétexte narratif de Nous nous sommes tant aimés. Par ailleurs, l'Algérie a coproduit quelques films italiens comme L'Etranger de Luchino Visconti, Brancaléone aux Croisades de Mario Monicelli et Le Bal d'Ettore Scola. Né en 1931 à Trevico, Ettore Scola était destiné à une carrière d'avocat. Mais, dès la fin de ses études en 1947, il se mit à exploiter son talent pictural, devenant dessinateur de presse. C'est un élément souvent négligé par ses biographes car, de la même façon qu'Hitchcock dessinait ses scénarios à la manière de story-boards, Scola dessinait dans sa tête les scènes de ces films, leur apportant une précision artistique particulière. Après un passage à la radio, il entre en 1953 dans le monde du cinéma par la porte du scénario. Il est à la fois script-doctor (rewriter de scénarios) et auteur de comédies. Plusieurs réalisateurs lui doivent des scénarios superbes, comme Dino Risi pour Le Fanfaron ou Les Monstres. La contribution de Scola au cinéma italien s'étend donc au-delà de ses propres réalisations parmi lesquelles on peut placer Une journée particulière (1977) comme un chef-d'œuvre mondial. Son premier film date de 1964, Se permettete parliamo di donne traduit assez brutalement en Parlons femmes. En quarante ans de carrière, il a réalisé quarante films et parfois deux en une année. Bardé de distinctions, il n'a jamais accédé aux plus hautes marches. Cannes lui a accordé plusieurs prix, mais jamais la Palme d'Or. Idem pour les Berlinales ou la Mostra de Venise. Mais son succès international éclatant lui a valu des dizaines de millions d'admirateurs. Nous l'avons tant aimé. Il s'en est allé. Son immense public, en Algérie et dans le monde, continuera à l'aimer à travers ses films.