Après l'adoption de la nouvelle Constitution, l'on continue à s'interroger, dans les milieux politiques et intellectuels, sur l'importance accordée, par les législateurs, aux notions de gouvernance et de gouverné. La problématique de la souveraineté du peuple, relancée par le débat actuel sur la question, mérite que l'on s'y attarde quelque peu. L'actualisation de ce concept est à la mesure de l'importance qu'accorde, à présent, le citoyen à son droit et devoir de participation à la prise de décision politique déterminant son devenir, à la place qui lui est réservée dans le fonctionnement des institutions nationales et à la responsabilité qu'il lui est attribuée dans la gouvernance du pays. Le regain d'intérêt observé à ce sujet est lié à la montée du courant souverainiste, dans bien des pays du Nord et du Sud, à la controverse que celui-ci suscite dans les mouvements contestataires et revendicatifs de la société. Dans le constat fait par les représentants de ces mouvements sur la crise majeure que connaît le régime républicain, il est fait souvent référence aux tares originelles génératrices des dysfonctionnements qui caractérisent le système politique et le modèle de développement économique et sociétal du capitalisme mondialisé. Dans l'agencement de l'inventaire établi par tous «les indignés» de la société, figurent les multiples violations de la souveraineté du peuple, perpétrées par les mentors du libéralisme, depuis l'avènement de la République instaurée par les représentants du capitalisme montant. C'est l'héritage, disent-ils, que nous a légué la bourgeoisie après sa victoire sur les suppôts de la monarchie(1). Au regard de l'ampleur de la crise actuelle et de ses méfaits, n'est-il pas temps pour les peuples, disent certains leaders de l'avant-garde des «indignés» de la société, de récupérer leur souveraineté, une et indivisible, avant tout autre initiative visant la formulation du nouveau système politique répondant à leurs aspirations et la redéfinition du mode de gouvernance souhaité ? Une démarche logique en soi puisqu'elle permet d'éviter, au nom d'une idéologie quelconque, toute parcellisation de cette souveraineté qui détournerait de sa trajectoire, encore une fois, le combat entamé par la société pour la liberté, le progrès et la justice, pour la paix et la sécurité nationale et internationale. Pour éviter les pièges du passé légués par les fondateurs de la première République, n'est-il pas plus raisonnable, pensent les adeptes du souverainisme, d'inverser la dialectique suivie jusqu'à ce jour par les théoriciens de la démocratie ? Selon eux, la maison républicaine, comme toute bâtisse, ne se construit pas par le haut, par la pose de la toiture avant ses fondations. L'édifice républicain doit inverser le procès de son instauration. Partant, la principale question qui vient alors à l'esprit est : comment faire pour que l'unification de la souveraineté du peuple soit intégrée, tout d'abord, dans les entrants de la future maison républicaine, ceux-là mêmes qui permettraient aux gouvernés d'être présents dans ses infrastructures, à tous les niveaux de ses paliers avant la détermination de sa superstructure, c'est-à-dire sa toiture, de manière à ce que la gouvernance de l'Etat soit assurée effectivement par les représentants de cette souveraineté unifiée du peuple ? Avant les aspects de structuration, d'organisation et de fonctionnement d'un système politique, ce sont les modes de gouvernance et de représentativité des gouvernés qui appellent, de nos jours, un recentrage de la pensée politique. A ce stade de la réflexion, trois questions déterminantes interpellent les politiques et les penseurs : primo, quelle procédure employer pour aboutir à l'unification de la souveraineté du peuple ? secundo, quel mode de gouvernance faut-il instituer pour pérenniser l'unicité de la souveraineté du peuple pour assurer et garantir son ascendance dans la prise de décision engageant l'avenir du citoyen et celui du pays ? Tertio, quel régime politique et quel modèle de développement faut-il imaginer qui permettent au peuple souverain d'opérer les choix politiques, économiques, sociaux et civilisationnels qui le servent en priorité et qui favorisent son émancipation, son développement matériel et immatériel ? C'est l'institution de ce nouveau régime démocratique, émanation de la volonté de cette souveraineté unifiée du peuple, selon cette inversion de la dialectique ainsi explicitée, que doivent prioriser, dans leurs réflexions, les politiques et les intellectuels, avant que les législateurs s'en saisissent pour la rédaction de la Constitution de la nouvelle République souhaitée. Pour ce faire, il faudrait, pense-t-on, libérer, tout d'abord, la pensée des pesanteurs du dogmatisme des idéologies dominantes. Ensuite, œuvrer à la formation d'un vaste front politique transcendant les clivages de l'heure pour faire face aux défis présents et à venir. Seule la priorisation de la souveraine unifiée du peuple, revendiquée par tous, est capable de promouvoir un large front populaire sur la base duquel il est aisé d'aboutir au consensus souhaité. LE CONSENSUS A la base de ce dernier, le patriotisme, considéré comme le refuge de sauvegarde des intérêts supérieurs de la nation, demeure le premier rempart auquel a recours le citoyen pour faire face à tout danger menaçant son existence. Il est, à ce titre, le ferment fondateur d'une solidarité sur laquelle il est possible d'envisager la formulation d'un consensus politique crédible, en mesure de mobiliser le peuple contre tout danger pouvant porter atteinte à son unité ou visant la remise en cause de sa souveraineté, de sa liberté et de son indépendance. La solidarité naissante établie sur les principes et les valeurs sous-tendus par ce consensus est la seule que puisse avancer le citoyen pour faire valoir l'unicité de sa souveraineté, pour agir efficacement et décider unanimement de ce qu'il veut être et devenir. Seul ce sursaut patriotique est capable de faire pression sur la classe politique en l'obligeant à transcender ses divisions pour promouvoir la constitution de ce vaste front dont a besoin le pays pour faciliter l'élaboration d'un consensus doctrinal qui rendrait aisée la tâche aux nouveaux gouvernants à qui incombera la mission d'affronter les défis présents et à venir. Les valeurs et principes constitutifs de ce consensus sont inscrits, avec plus de précision, dans la Constitution qui vient d'être adoptée par les élus de la nation, notamment dans son préambule et ses articles 1 à 10. Cependant, cet arsenal juridique constitutionnel ne suffit pas, à notre sens, pour garantir l'unicité de la souveraineté du peuple, indispensable à la formulation doctrinale du consensus voulu. Dans ce domaine, l'expérience de la gouvernance consensuelle vécue par le pays durant la période transitoire qu'il s'est imparti depuis les années quatre-vingt dix est assez instructive pour nous renseigner sur l'inefficience d'un consensus de crise qui n'émane pas du libre arbitre et de la volonté du peuple, de l'expression unifiée de sa souveraineté. Car, ce choix de gouvernance imposé par les circonstances dramatiques et douloureuses de l'époque, bien que souhaité par de larges franges d'une population, est une option conjoncturelle, nécessaire pour sauvegarder, par ce recours à l'unicité du pouvoir, les intérêts supérieurs de la nation et du peuple. Ce choix ne peut, il est évident, occulter ou surmonter les contradictions générées par la nature et l'évolution du système politique et du modèle de développement qui s'y rapporte. Avec la paix retrouvée et la concorde rétablie, ce consensus, de courte vue, a démontré ses limites. Les avancées démocratiques contenues dans la nouvelle Constitution répondent, sans aucun doute, à certaines aspirations de la société en matière de liberté et de droits de l'homme. Et si elles responsabilisent davantage le citoyen dans la prise de décision politique intéressant son devenir matériel et immatériel et si elles ouvrent la voie, par l'implication de ce dernier dans la gouvernance du pays, implication qui sera renforcée par l'application des lois organiques qui y sont annoncées, elle recèle, néanmoins, les insuffisances induites par la prévalence de la démocratie représentative dans l'organisation de la gouvernance et le mode de représentativité des gouvernés.Or, tout le monde sait que ce sont de tels choix qui sont à l'origine des déviations opérées dans le régime républicain, celles-là mêmes qui ont dénaturé les principes et les valeurs sur lesquels s'est fondé le système politique qui en est sous-jacent. La contestation de la société à l'échelle planétaire liée à ce dysfonctionnement de la démocratie sous-tend, à notre sens, la réalisation d'un autre consensus, plus conséquent par sa portée, celui relatif au redressement national aux plans politique, économique, social et sociétal. Les principes et les valeurs qui caractérisent ce consensus serviront d'assise à l'émergence de ce front et permettraient aux législateurs à qui incombera, demain, la responsabilité de la prochaine révision de la Constitution que l'évolution de la société et du pays imposera naturellement. Avant la finalisation de l'architecture de la nouvelle République, nos politiques et nos intellectuels devraient entamer le travail de réflexion sur le contenu doctrinal qui habillerait ce consensus déterminant dans l'élaboration d'un projet de société à la hauteur des aspirations de la société, et l'instauration d'un régime républicain qui épouse son temps. Perpétuer le mode de gouvernance du pays et le modèle de représentativité des gouvernés dans les différentes institutions nationales, régionale et locales tels que préconisés par le système régi par le mode électoral actuel, est la meilleure manière d'hypothéquer, encore une fois, l'avenir de cette nouvelle Constitution, d'autant que l'entrée en lice de la puissance de l'argent et son pouvoir d'intervention dans les élections communales, législatives et présidentielle faussera le clivage politique et réduira inéluctablement l'intervention de la souveraineté du citoyen à sa plus simple expression. La perversité et la nocivité véhiculées par l'argent est un facteur accélérateur de l'émiettement et de l'effritement de la souveraineté du peuple, d'affaiblissement de la liberté et du pouvoir de décision du citoyen, d'accentuation de son désengagement à la chose publique. Le diktat de l'argent et le poids de la «chkara» dans les joutes électorales locales, législatives et présidentielle dénuderont la République de ses plus beaux atours démocratiques. L'aboutissement d'un tel processus électoral reposant sur l'argent et la corruption ne peut qu'approfondir le pourrissement généralisé des institutions de l'Etat et accentuer la dégradation de la gouvernance du pays. La finalité d'un tel scénario prédisposera le pays à la résurgence des dangers de la décennie noire que le peuple a vécue et qu'il n'est pas près à revivre. Le front auquel font référence, ces derniers temps, certains hommes politiques et personnalités ne peut ressembler à celui de 1954, qui a guidé la lutte du peuple contre l'occupation étrangère. Ce front n'avait qu'un seul objectif : le recouvrement de l'indépendance nationale. Celui évoqué aujourd'hui se définit comme un consensus à connotation souverainiste, dans son acception sociétale bien plus que dans son interprétation patriotiqueet nationaliste. Des exemples de consensus ont été expérimentés par certains pays dans des circonstances particulières - état de guerre, crise politique, économique et sociale, crise institutionnelle, période de troubles intérieurs, etc. - leurs portées sont limitées et leurs résultats aléatoires. Par contre, celui diligenté par le courant souverainiste sociétal est, à notre avis, le seul apte à apporter une réponse pratique aux attentes de la société. Il est regrettable, d'ailleurs, que nos législateurs n'aient pas pris en considération cette donnée dans la nouvelle Constitution. C'est une omission qui affecte les avancées démocratiques voulues par les pouvoirs publics. Le mouvement souverainiste sociétaliste qui s'affirme de jour en jour à travers le monde est un mouvement populaire dont le combat «revêt par certains de ses aspects l'allure d'une lutte révolutionnaire contre la mondialisation du système capitaliste ultralibéral dont les retombées négatives sur le citoyen et la société rappellent étrangement les effets du système colonial. Il s'apparente, en effet, à un mouvement de libération dont l'essence et la portée rejoignent, à biens des égards, celui engagé, au XXe siècle, par les peuples colonisés, dès lors qu'il rejette l'hégémonisme d'un libéralisme qui impose à l'homme, par ses modes de production de vie et de culture, une colonisation qui tend à vider la notion de nation de ses attributs historiques, identitaires et civilisationnels»(2). Dans la vision stratégique du mouvement souverainiste, c'est la refondation de la République qui est programmée. Le contenu doctrinal de celle-ci intègre «les nouveaux éléments structurants du discours proclamé par les mouvements contestataires et revendicatifs de la société, dans un projet épuré des germes idéologiques qui ont dénaturé la notion de souveraineté du peuple et porté atteinte à son unicité, en autorisant sa parcellisation, en consacrant la division de la société en classes antagonistes, en encourageant toutes les déviations qui ont entaché et continuent de ternir le régime républicain»(3). Partant, il est primordial pour nos politiques et nos intellectuels d'inclure, dès à présent, dans leurs réflexions et leurs actions, cette problématique qui prédomine dans le débat animé par l'avant-garde des mouvements contestataires et revendicatifs de la société visant l'instauration de la nouvelle République souhaitée par le citoyen. 1-2-3) Citations du livre Une nouvelle République pour une nouvelle société du même auteur publié en 2012 par la SNED